Notre homme à Washington: Trump dans la main des Russes

Nov 04, 2024 at 11:40 651

Dans son dernier livre Notre homme à Washington: Trump dans la main des Russes, Régis Genté se penche sur une question que beaucoup d’observateurs se posent depuis une décennie: Est-ce que Donald Trump travaille pour la Russie, pour Poutine?

Régis Genté: Notre homme à Washington: Trump dans la main des Russes, Grasset, octobre 2024, 224 pages. Commandez ce livre (acceptez les cookies – nous recevons une commission, prix identique) chez Amazon.fr.

Dans les premières pages déjà, l’auteur souligne que Donald Trump est très prévisible du point de vue de Moscou. De retour de son premier voyage à Moscou en 1987, il plaide pour que les États-Unis «cessent de payer pour défendre des pays qui ont les moyens de se défendre eux-mêmes», notamment les pays de l’OTAN. 37 ans plus tard, le 10 février 2024, le même Donald Trump, ancien et peut-être futur président des Etats-Unis, lance à ces mêmes alliés de l’OTAN une bombe géopolitique à l’occasion d’un meeting électoral en Caroline du Sud: «Vous êtes des mauvais payeurs? (…) Non, je ne vous protégerai pas. En fait, j’encouragerai [les Russes] à faire ce que bon leur semble.» Régis Genté précis que cela veut dire sans que Washington ne réagisse, alors que l’OTAN prévoit justement la solidarité entre chaque membre del’Alliance si l’un d’eux venait à être agressé. Ce principe est la colonne vertébrale de la sécurité de l’Europe.

L’auteur note les cohortes de Russes et d’Américains prorusses qui tournent autour de Trump depuis quatre décennies: «mafieux rouges» qui s’offrent au prix fort des appartements de luxe dans la Trump Tower et blanchissent leur argent dans ses casinos (tout juste débarqués d’URSS, dans les années 1970, à Brighton Beach, à New York), ambassadeurs policés, espions opérant aux Etats-Unis sous couverture de diplomate ou de banquier, oligarques, etc. Quant aux Américains qui eux aussi admirent la Russie ou qui simplement entretiennent des liens d’affaires avec des gros poissons russes, ils se bousculent autour du candidat Trump pour la présidentielle de 2016.

Pour Régis Genté, la question qui se pose, examinant les quarante ans de relations entre Trump et les Russes, ou plutôt entre les Russes et Trump, est moins de savoir si l’ancien et peut-être futur président des Etats-Unis d’Amérique est d’une façon ou d’une autre un «agent» de Moscou qu’une sorte d’«idiot utile», plus dangereux, plus influent, tant parce qu’il y a ses intérêts, pécuniaires et personnels, que parce qu’il croit fermement à la nécessité de former une entente avec la Russie et d’autres régimes autoritaires pour façonner un monde régi par des hommes forts, un monde débarrassé de l’ennuyeuse démocratie, de ces «nice people» (gens aux bonnes manières) qu’il hait, de ces Européens qui se vantent tant de leur culture ou d’avoir inventé les droits de l’homme dont lui n’a que faire.

Vers la fin du livre, Régis Genté cite Luke Coffey, un spécialiste des questions internationales et de sécurité au Hudson Institute, qui est un de ceux qui sont moins alarmiste au sujet de Donald Trump: «Son gain immédiat attire Trump comme un aimant, mais cela pourrait tout aussi bien le conduire à s’opposer à Poutine s’il y voyait un bénéfice possible. Lors de son premier mandat, il ne s’est pas opposé à renforcer l’OTAN en Europe de l’Est, il a même soutenu l’élargissement de l’organisation au Monténégro et à la Macédoine ou accepté que des missiles Javelin soient fournis à l’Ukraine, ce qu’Obama n’avait pas fait.»

En effet, Barack Obama est resté très timide face à Vladimir Poutine. A la fin de 2017, Donald Trump a été le premier à approuver un plan visant à fournir des armes létales à l’Ukraine, y compris des systèmes et des missiles antichars Javelin (produit par Raytheon et Lockheed Martin). Et, à la fin de 2019, l’administration Trump a approuvé une autre livraison de missiles antichars à l’Ukraine. Donald Trump a fait trop peu pour l’Ukraine, mais plus que Barack Obama. En même temps, il a toujours eu un faible pour les dictateurs et les hommes forts de ce monde, de Poutine à Kim Jong-il, de Viktor Orbán à Recep Tayyip Erdogan, pour n’en citer que quelques-uns.

Retour à Régis Genté qui écrit, qu’en 2019, Trump veut que le président ukrainien Zelensky fasse ouvrir une procédure contre Hunter Biden. La presse révèle que le président américain aurait ordonné à son chef d’état-major de suspendre le déblocage d’une aide militaire d’un montant de 400 millions de dollars (les Javelins) votée pour l’Ukraine. Du chantage pur et simple. Régis Genté décrit comment, devant les caméras du monde entier, Trump insiste que l’Ukraine doit progresser au sujet de la paix au Donbass et elle doit lutter contre la corruption. Régis Genté explique ce que veut dire lutter contre la corruption: aider à abattre son adversaire, Joe Biden. Mais rien à faire, Zelensky continue à louvoyer, et il insiste sur son refus d’être «impliqué dans une élection démocratique, ouverte… une élection aux États-Unis».

Régis Genté montre le panorma des relations du personnage avec la Russie, en commençant avec la période de 1977 à 1987. A peine trentenaire, déjà ambitieux et narcissique, Donald Trump n’est pas encore le personnage sans tabou ni surmoi que l’on connaît aujourd’hui.

Régis Genté souligne que Donald Trump est sous l’emprise de son père, Fred, entrepreneur à succès. Malgré ses rêves d’ascension sociale, Donald sera toujours un Blanc du Queens des années 1970-80, qui décrypte le monde à travers les lunettes raciales du «nous» contre «eux» des bas quartiers new-yorkais. Il tient cette vision de son père, compagnon de route du Klu Klux Klan.

Régis Genté note que Donald Trump se dote d’un second père, un mentor pour la vie et les affaires, en la personne de l’avocat Roy Cohn,qui lui ouvre les portes de Manhattan et des casinos. De lui, Donald Trump retient ce credo: «Attaquer toujours. Ne jamais s’excuser. Attaquer, attaquer, attaquer». Le jeune homme d’affaires retient aussi qu’il faut toujours aller parler en tête à tête à ceux qui se mettent sur son passage, fussent-ils juges ou fonctionnaires. Prototype de l’avocat véreux, Roy Cohn tord le bras aux lois pour monter les affaires les plus douteuses, donne un vernis légal aux investissements de la pègre, s’intéresse aux politiciens sans scrupules, menace de publier des informations compromettantes à leur sujet.

Régis Genté souligne que le monde de Donald Trump est rude, sans foi ni loi. Pas si différent de celui de la mafia rouge qui débarque dans ces années-là à Brighton Beach, dans le sud de Brooklyn. Sans doute était-il fait pour s’entendre avec ces Soviétiques, souvent juifs de Russie et d’Ukraine, qui reproduisent leur univers sur les bords de l’Atlantique, bientôt surnommé «Little Odessa». A sa biographe Maggie Haberman, Donald Trump dit pourquoi il a tant désiré lancer des projets en Russie: «I love glamour». Régis Genté note ce qui l’a attiré en Russie, c’est sans doute le glamour et les filles russes qui n’ont «aucune morale», comme il l’a confié à un chroniqueur de la presse populaire new-yorkaise.

Selon Régis Genté, ce que Donald Trump ne savait peut-être pas, ou plutôt ce dont il se fichait éperdument, c’est que derrière chaque mafieux rouge se cache toujours un kagébiste, un officier du KGB. Et avec eux et d’autres Russes, diplomates ou hommes d’affaires, il va bientôt développer le goût pour la puissance et le culte de l’homme fort.

Régis Genté souligne que Donald Trump apparaît sur les fiches du KGB moscovite en 1977, via la StB, la Sûreté de l’Etat de la Tchécoslovaquie socialiste. C’est cette année-là qu’il épouse Ivana Zelníčková, un mannequin tchèque plutôt habituée des salons de l’automobile que des défilés de mode. Ils auront trois enfants: Donald Jr., Ivanka, Eric.

Les agents de la StB opèrent en étroite collaboration avec le KGB soviétique. Les archives de la StB ont récemment été exhumées. On y apprend que les visites d’Ivana en Tchécoslovaquie étaient suivies de très près. Son père informait la StB des faits et gestes de sa fille. C’est à cette condition qu’elle pouvait continuer à résider du côté ennemi tout en revenant régulièrement au pays natal. Mais c’est Donald Trump qui intéresse d’abord les services secrets tchèques.

Régis Genté écrit que l’ancien chef de la StB dans la ville natale d’Ivana affirme: «Nous savions que Trump était influent. Il a indiqué qu’il voulait un jour devenir président, nous étions curieux d’en savoir plus sur lui.» A deux reprises au moins, ce chef de la StB lancé une enquête fouillée sur les Trump dans les années 1980. Outre les détails à caractère privé, les agents de la StB sont attentifs aux ambitions politiques du développeur immobilier et à son carnet d’adresses. Malgré tout, le dossier Trump ne semble pas prioritaire pour la StB. Régis Genté dit qu’il est impossible à dire si c’est parce qu’il a vite été transmis au KGB soviétique. Il cite The Guardian qui écrit que l’intérêt s’intensifiera en 1988, lorsque Donald Trump reparlera de ses envies de Maison Blanche, au point qu’un officier traitant lui sera discrètement dépêché. A l’époque, Trump n’est encore une célébrité que pour les tabloïds de New York, et pourtant il semble être déjà apparu sur le radar des services russes, en parallèle de la veille des services tchèques. Régis Genté souligne que l’affaire se passe en 1976, lorsque Trump rachète le Commodore, l’un des plus anciens hôtels de Manhattan. Quatre ans plus tard, il y inaugure l’hôtel Grand Hyatt New York. Pour l’aménager, il contracte un prêt pour l’achat de plusieurs centaines de postes de télévision auprès de Semyon Kisline, un juif d’Odessa exilé aux États-Unis en 1972.

Trump, connu pour être très mauvais payeur, a intégralement remboursé son prêt au jour dit, soit trente jours plus tard. Semyon Kisline, devenu Sam une fois obtenue la nationalité américaine, a accordé ce prêt à l’homme d’affaires en tant que copropriétaire du magasin Joy-Lud Electronics. Ce commerce de lecteurs-enregistreurs de vidéos, de walkmans ou encore de projecteurs est une caverne d’Ali Baba pour les fonctionnaires soviétiques alors en poste à New York ou à Washington. Pas question de repartir à Moscou sans avoir fait le plein de ces appareils introuvables ou hors de prix en URSS. Régis Genté cite le journaliste d’investigation Craig Unger, qui s’est beaucoup appuyé sur le témoignage et l’expérience de Youri Chvets, un ancien espion installé aux Etats-Unis depuis 1993 après avoir été en poste à Washington sous couverture de correspondant pour l’agence de presse soviétique TASS, Joy-Lud Electronics était contrôlé par le KGB. Et Kisline et ses associés étaient des agents chargés de signaler les personnes d’intérêt aux espions soviétiques à New York. Selon Chvets, c’est certainement à partir de ce moment-là que Donald Trump a commencé à être «cultivé» par le KGB.

Régis Genté se demande ce que faisait Donald Trump avec ces personnalités si troubles. Simple hasard des rencontres? Offre avantageuse? Titulaire d’une franchise «Hyatt», pourquoi n’a-t-il pas acheté ses centaines de téléviseurs chez un grossiste de renom? Pourquoi s’être approvisionné auprès d’un magasin de vente au détail? Ne s’est-il agi que d’un prêt contracté à l’occasion d’un montage financier difficile? Proposer des prêts n’est pas précisément la fonction d’unmagasin d’électronique grand public.

Régis Genté cite un ancien des services de renseignement américains, la NSA, spécialiste des dossiers russes depuis une trentaine d’années, qui confie que «rien ne prouve définitivement que Kisline et Joy-Lud Electronics soient au cœur de l’espionnage soviétique aux Etats-Unis dans ces années-là. En revanche… Tout conduit à le penser. Est-ce là que Trump a été recruté? Je n’en suispas sûr, et d’ailleurs est-il véritablement recrutable? [rires] Mais qu’il soit apparu sans s’en rendre compte sur le radar du KGB ou du SVR en poussant la porte du 200, Fifth Avenue, ça c’est fort probable».

Ce ne sont que quelques détails du début d’un livre passionnant. Trump et Roy Cohn, Trump et Roger Stone, Trump et le nucléaire, Trump et Michael T. Flynn (le complotiste), Trump et Paul Manafort, Trump et Dimitri Simes, Trump et «l’opération spéciale» de Poutine, Trump et les trolls et hackers, Trump et son premier mandat frustrant, Trump et Poutine (si différents, si compatibles), Trump et l’OTAN, ce sont d’autres sujets abordés par l’auteur.

Régis Genté n’a pas trouvé de «smoking gun», de preuve que Trump est un espion russe ou dans la main de Poutine. Mais il a trouvé de nombreux éléments qui montrent la promixité de longue date de Trump avec l’Union soviétique, puis la Russie de Poutine et des autrocrates d’autres pays qui inquiètent.

Régis Genté: Notre homme à Washington: Trump dans la main des Russes, Grasset, octobre 2024, 224 pages. Commandez ce livre (acceptez les cookies – nous recevons une commission, prix identique) chez Amazon.fr.

Pour faciliter la lecture, les citations et citations partielles dans cette critique ne se trouvent pas entre guillemets.

Critique de livre ajouté le 4 novembre 2024 à 11:40 heure de Paris.