Selon un sondage Elabe, publié le 1 novembre 2025, si le premier tour de l’élection présidentielle avait lieu dimanche prochain, le candidat du Rassemblement National (RN) Jordan Bardella serait très largement en tête avec 35%. Selon différents hypothèses testées, devant Edouard Philippe (15,5%), Jean-Luc Mélenchon (12,5%), Raphaël Glucksmann (11%), Bruno Retailleu (8%), etc. Dans une configuration comparable, Marine Le Pen arrive à 34%.
Actuellement, l’option Bardella semble plus probable, car Marine Le Pen a été condamnée en première instance en mars 2025 à quatre ans de prison, dont deux fermes, ainsi qu’à cinq ans d’inéligibilité avec exécution provisoire. Elle a fait appel du jugement, ce qui lui permet de conserver son mandat de députée.
Comme le RN arrive clairement en tête dans les sondages pour les élections présidentielles et législatives, il vaut la peine de jeter un œil au nouveau livre de Christophe Bourseiller, journaliste et historien de gauche, qui a déjà publié une bonne trentaine de livres.
Christophe Bourseiller: Les Le Pen. Une famille française. Perrin, septembre 2025, 416 pages. ISBN-10: 2262102651. Acceptez les cookies – nous recevons une commission, prix identique – et commandez ce livre chez Amazon.fr.
Jean Le Pen naît le 20 juin 1928 à La Trinité-sur-Mer. Ce n’est qu’en 1956 que son amie Pierette Lalanne, mannequin de profession, mariée à l’entrepreneur de spectacles Claude Giraud, lui conseille de se renommer «Jean‑Marie» pour ainsi séduire l’électorat catholique.
Il est le fils unique d’un marin‑pêcheur nommé Jean Le Pen qui, en 1942, trouve la mort à bord d’un chalutier, dont il est le patron. Tandis qu’il pêche la sole, son bateau saute sur une mine. Détail humiliant selon Christophe Bourseiller: la sortie en mer répond à une commande de l’hôtel Le Rouzic, que héberge des officiers nazis.
Le fils fait le serment de tuer un allemand pour venger son père. Tout se détraque. Jean Le Pen est forcé d’abandonner le collège en raison des réquisitions qui contraignent les jésuites à restreindre le nombre d’internes. En septembre 1943, il intègre un lycée confessionnel, qui s’est délocalisé sur l’île de Berder pour fuir les bombardements. Les choses empirent. Privé du repère paternel, le jeune garçon devient insolent, turbulent, farceur, en un mot intenable.
Toujours selon Christophe Bourseiller, en juin 1944, quand on apprend la nouvelle du débarquement allié, l’établissement ferme ses portes, tandis que nombre de professeurs et d’élèves prennent le maquis. D’autres, comme Jean Le Pen, rentrent chez eux. Durant l’été 1944, les Allemands évacuent progressivement La Trinité‑sur‑Mer. Les combats se concentrent désormais sur la poche de Lorient, qui demeure un bastion nazi jusqu’en mai 1945.
Profitant du flottement général, Jean Le Pen décide de tenir son serment de vengeance et d’assassiner un Allemand. Muni d’un pistolet et de munitions trouvés dans un tiroir de son père, il rôde plusieurs heures à la recherche d’un soldat isolé. Il en déniche un, mais la cible est plutôt brave; elle met les habitants en garde contre les mines abandonnées. Le jeune homme plonge dans le désarroi. Il se ravise et rengaine son arme.
Jean Le Pen est hostile à l’envahisseur et se sent en phase avec la Résistance. Mais en tant que fils de marin, il en veut aux Anglais, qui ont coulé la flotte française à Mers el‑Kébir en juillet 1940 pour éviter qu’elle ne tombe aux mains des nazis.
En juillet 1944, Jean Le Pen se rend par curiosité à Auray pour y voir passer le général de Gaulle, qui lui serre, dans la foule, une main distraite. En 2018, Jean-Marie notera dans ses mémoire Fils de la nation: «Il me parut laid et dit quelques banalités à la tribune tendue de tricolore. Un héros doit être beau. Comme saint Michel ou le maréchal Pétain. J’étais à nouveau déçu.» Jean‑Marie garde le souvenir d’une cohabitation impossible: “Moi, j’étais pétainiste et gaulliste à la fois”, résume‑t‑il, selon un article paru dans Le Monde en 1987.
Christophe Bourseiller note, qu’en 1946, le jeune lycéen flirte en temps avec le communisme et s’abonne à L’Avant-Garde, organe de l’Union de la jeunesse républicaine de France, qui rassemble alors les jeunes stalinistes.
En 1947, le Breton arrive à Paris, où il décroche son baccalauréat avec mention. Avec un copain, il fête l’événement au Moulin-Rouge. Les deux garçons finissent la nuit en compagne de deux femmes. Mais à 5 heures du matin, les voilà tirés du lit. Les donzelles sont mariées et leurs maris, qui sont mitrons, vont rentrer d’une minute à l’autre. Les deux loustics déguerepissent au plus vite. Selon Christophe Bourseiller, Le Pen impose d’emblée un style: c’est un trublion doublé d’un farceur. Le livre contient de multiples anecdotes.
En octobre 1948, Jean intègre la faculté de droit du Panthéon à Paris. En 1949, il est élu président de l’Association corporative des étudiants en droit. A l’époque, toutes les «Corpos» de France sont dirigées par des membres du PCF. Toutes, sauf la «Corpo» de droit. Tout comme son père, Jean défend la tradition, l’armée, la France, et il professe désormais un solide anticommunisme. Pour bien marquer sa différence, le président Le Pen en porte perpétuellement le béret, qu’on appelle «la faluche». A la «Corpo», on le surnomme «Le Pêne de la serrure de chasteté».
Une anecdote parmi d’autres: en 1952, accompagné de Reine Bouchara, héritière de la maison de tissus du même nom, Le Pen descend un jour le boulevard Saint‑Michel, quand il croise un Arabe coiffé d’un chapeau. Il lui dit: «Enlève ton chapeau!» L’homme se demande pourquoi il devrait l’ôter. Réponse de Le Pen: «Parce que je passe.» L’autre s’indigne. Aussitôt, le président siffle et les copains déboulent. C’était une embuscade. La bagarre éclate. Tout le monde finit au commissariat.
Christophe Bourseiller souligne que Le Pen est, par nature, un animal social. Quel que soit le contexte, il crée des réseaux, se fait des copains, des amis. Il se lie notamment avec Claude Chabrol à l’époque où le futur cinéaste étudie le droit. Ce dernier est l’un des piliers de la «Corpo», dont il dépeindra l’atmosphère festive, en 1958, dans le film Les Cousins. Ainsi, cette scène dans laquelle l’acteur Jean‑Claude Brialy habillé en SS réveille en sursaut l’un de ses amis juifs, une torche à la main, en criant: «Allez, debout, police allemande!» Or Marc Guldé, le trésorier de la «Corpo», a justement pour fâcheuse habitude de sortir dans la rue en uniforme SS. Ses camarades l’appellent affectueusement «Gross Tresorierrr Korporatist».
Dans ses mémoires, Chabrol évoque Le Pen avec une certaine tendresse: «Il était déjà grand et large. Il avait alors ses deux yeux. Il jouait très adroitement d’une voix puissante. Son quotient intellectuel n’égalait peut‑être pas celui d’Einstein, mais il n’était pas sot. […] Un des lieutenants de Le Pen était Jacques Dominati, qui devint président giscardien du Conseil de Paris. Malgré ses efforts, il était beaucoup plus terne.»
Le principal complice de jeu de Le Pen est le futur traducteur Tanneguy de Liffiac, avec qui il décide de vivre en colocation en 1948, dans un appartement situé au 9, villa Poirier (15e arrondissement). Le bien appartient à l’industriel Victor Rochereau, qui fut député avant guerre et vota les pleins pouvoirs au maréchal Pétain. Le Pen vivra jusqu’en 1976 dans ce logement qui n’est guère luxueux.
Tactiquement allié aux gaullistes du Quartier latin emmenés par Jacques Dominati, Le Pen est selon Christophe Bourseiller en réalité peu soucieux de la chose politique. Apprenant un jour de la bouche de son condisciple Emile August que des copains s’en étaient pris à des étudiants de gauche, il vitupère: «August, on ne fait pas de politique à la “Corpo”.»
En 1952, Jean Le Pen est déjà si critiqué pour ses outrances physiques et verbales qu’il doit abandonner la présidence de l’association au profit du très catholique Claude Mouret. Le jeune homme en demeure toutefois le «président d’honneur».
Christophe Bourseiller note que, grand, blond, baraqué, gouailleur, Jean Le Pen collectionne les conquêtes féminines. Il vit, en particulier, une brève et intense histoire d’amour avec Régina Zylberberg qui, sous le nom de Régine, deviendra chanteuse, actrice et «reine de la nuit». L’historien oublie de mentionner que Régina Zylberberg est la fille d’une couple de juifs ashkénazes polonais.
Le 31 janvier 1953, un raz‑de‑marée meurtrier submerge la Hollande, causant plus de 2500 morts. Quand il apprend la nouvelle, Jean Le Pen se précipite dans la cabine téléphonique de l’Ololo Bar, boulevard Saint‑Michel et appelle l’Elysée. Miracle: on lui passe le président Vincent Auriol, qui est lui‑même un ancien de la «Corpo» et le tutoie d’emblée: «Alors, président, qu’est‑ce que je peux faire pour toi?» L’Etat accepte de fournir au jeune homme des rations militaires, ainsi que du matériel de déblaiement. Aussitôt, Le Pen et ses amis, dont Jacques Peyrat, le futur maire de Nice, qu’il a rencontré à l’époque des études en droit, filent aux Pays‑Bas, où ils affrontent le spectacle de la mort et de la désolation. Selon Christophe Bourseiller, cette équipée humanitaire en dit long sur la psyché du jeune Jean Le Pen, qui est un homme d’action.
En tant que pupille de la Nation, Jean Le Pen est automatiquement exempté de service militaire. Mais en novembre 1953, il demande à s’engager dans les rangs de la Légion étrangère. Avec son ami et coéquipier au rugby, Pierre Petit, il réussit à intégrer l’Ecole d’application de l’infanterie à Saint‑Maixent, qui forme les officiers. Ils y sont bientôt rejoints par Jacques Peyrat. En avril 1954, le trio Peyrat‑Petit‑Le Pen intègre le 3e bataillon étranger de parachutistes (BEP), basé à Sétif, en Algérie, où ils décrochent leur brevet.
En mai 1954, ils s’envolent enfin pour l’Indochine. Ils y arrivent un peu tard. La bataille de Diên Biên Phu s’achève dès le 7 mai, sur une sanglante défaite française. Le Pen participe pourtant à plusieurs combats résiduels.
A Saigon en décembre 1954, Le Pen et Peyrat deviennent journalistes à Caravelle, l’organe du corps expéditionnaire français en Indochine. Le tonitruant lieutenant fait la connaissance de l’adjudant Luce‑Marie Millet, une jolie femme blonde qui est la mère d’une toute petite fille prénommée Yann, dont elle ne s’occupe pas et qui deviendra bien plus tard la députée Front national du Var Yann Piat. Luce Millet (ainsi préfère‑t‑elle se faire appeler) devient l’amoureuse de Jean Le Pen. Elle n’est pas seulement dessinatrice humoristique et photographe, mais également une farouche nationaliste, qui militera pendant des années pour le maintien de «l’empire».
Hô Chi Minh force les Français de quitter l’Indochine. En août 1955, Luce Millet, Jean Le Pen, Pierre Petit et Jacques Peyrat retournent en France. Ce retrait laisse un goût amer à Jean, la décolonisation le révulse. Le Viêt Nam constitue sa première défaite. Il a 26 ans.
En 1955, à 27 ans, Jean Le Pen devient le plus jeune député de France. Il est poujadiste. Comme mentionné ci-dessus, «Jean» devient désormais «Jean-Marie». Il est accusé de torture en Algérie, où il n’a passée qu’un séjour de six mois. Le Pen le nie, mais les témoins maintiennent leurs versions. Christophe Bourseiller cite l’historien Pierre Vidal‑Naquet: «Ce serait diffamer Le Pen que de dire qu’il n’a pas torturé.»
Au soir de sa vie, en décembre 2019, Jean‑Marie Le Pen reconnaît lui‑même à demi‑mot ses actes: «Moi, je trouve ça tout à fait naturel, que l’on extorque le renseignement de tueurs organisés qui frappaient aveuglément dans les restaurants, les bals, avec des bombes. […] Je le fais sous les ordres de mon capitaine. On prend les risques qui sont liés à la guerre.»
En 1957, Jean-Marie Le Pen se voit exclu du mouvement poujadiste. En mai, il rejoint provisoirement un groupe dissident monté en son absence par son ami, l’ancien doriotiste et collaborationniste André Dufraisse: le Mouvement national d’action civique et sociale.
Jean-Marie s’amourache de Lucienne Arpels, dite Lulu, riche héritière des bijouteries Van Cleef & Arpels (qui est, par ailleurs, une amie de la femme du général Massu), et fait aussi la connaissance de la danseuse Zizi Jeanmaire.
Après neuf mois d’absence, Le Pen effectue sa rentrée à l’Assemblée nationale en juin 1957. Comme il est non‑inscrit, son temps de parole est limité. Il continue pourtant à se fairere marquer et, inlassablement, à vilipender le gouvernement.
Hors de l’hémicycle, il s’affaire à la création de son propre appareil politique. Succédant au Mouvement national d’action civique et sociale, le Front national des combattants (FNC) voit le jour le 14 août 1957. Le Pen y occupe le poste de vice-président. Au FNC militent l’ex‑poujadiste Dominique Chaboche et l’ancien collaborationniste Paul Malaguti. Tous resteront des compagnons de route de Le Pen et rejoindront en 1972 fameux Front national (FN).
Christophe Bourseiller souligne, qu’en 1958, Jean-Marie Le Pen est gaulliste, se respectabilise, au point de devenir «rapporteur du budget de la Défense nationale». Mais en 1962, il est cofondateur de la Société d’études et de relations publiques (Serp). Cette société s’impose avant tout aux yeux du public comme un diffuseur de disques «sulfureux». Les disques de chants nazis comptent parmi les meilleures ventes du label. Chacun d’eux s’écoulera à cent mille exemplaires. Le catalogue de divers 33 tours contient les voix de Philippe Henriot, Philippe Pétain, Léon Degrelle ou Pierre Laval, sans oublier les Poèmes de Fresnes de Robert Brasillach (collaborateur, condamné et fusillé en 1945) dits par le comédien Pierre Fresnay.
Christophe Bourseiller mentionne la relation entre François Mitterrand et Jean‑Marie Le Pen, qui se sont rencontrés dans les années 1950 à l’Assemblée nationale et dans ses couloirs. Mitterrand est un homme de gauche, mais il est également antigaulliste. Les haines et les intérêts des deux hommes ont ainsi parfois convergé. Dans la nuit du 15 au 16 octobre1 1959, Mitterrand est la victime consentante d’un faux attentat, qui vise à le hisser au rang de chef de file de la lutte anti‑fasciste. Le pseudo‑attentat de l’Observatoire se retourne bien vite contre lui. Il apparaît clairement que l’attentat est factice et qu’il a été commis par des comparses. Or ces derniers proviennent tous de l’entourage politique de Jean‑Marie Le Pen.
Ce n’est qu’un petit aperçu de la jeunesse et des débuts de la carrière de Jean-Marie Le Pen. Christophe Bourseiller a écrit un livre passionnant au sujet d’une vie rocambolesque riche en événements et en rencontres. Le lecteur y rencontre toute le famille Le Pen et ses drames, y inclut le départ soudain de Pierrette en 1984.
En janvier de la même année, elle a fait la connaissance du journaliste Jean Marcilly, qui rédigeait le livre Le Pen sans bandeau. A la demande de Jean-Marie Le Pen, le rédacteur s’était provisoirement installé à Montretout. Une erreur tragique, car entre le rédacteur et l’ancien mannequin, ce fut le coup de foudre.
Pour les filles, c’est un choc terrible. Elles se sentent brutalement délaissées par leur mère, qui a pris la poudre d’escampette sans même laisser un mot d’explication ni un numéro de téléphone. Des années plus tard, Marine Le Pen confiera l’ampleur de son chagrin intime: «J’ai terriblement souffert de cette absence, souffert du manque de contact physique avec ma mère, jusqu’à en devenir malade. Je ne comprenais pas comment elle, si “animale”, pouvait supporter de ne plus voir ses enfants. Pendant un mois et demi, j’ai vomi tous les jours, j’étais incapable de me nourrir.»
Quant à Jordan Bardella, âgé de 23 ans lorsqu’il conduit la liste du Rassemblement national (RN) lors des élections européennes de 2019, il est alors le compagnon de Nolwenn Olivier, la fille de Philippe Olivier et de Marie‑Caroline Le Pen (la fille aînée de Jean-Marie). On reste en famille.
Quant à l’extrême-droite, selon Christophe Bourseiller, ce n’est qu’à partir de 1972 que Jean-Marie Le Pen franchit le Rubicon, pour rejoindre définitivement les «infréquentables» qui le fascinent tant, en s’acoquinant avec la ligue néofasciste Ordre nouveau (créé en 1969). Le Front national naît le 5 octobre 1972.
Bref, le livre de Christophe Bourseiller est passionnant du début à la fin: Les Le Pen. Une famille française. Perrin, septembre 2025, 416 pages. ISBN-10: 2262102651. Acceptez les cookies – nous recevons une commission, prix identique – et commandez ce livre chez Amazon.fr.

Pour faciliter la lecture, les citations et citations partielles tirées du livre de Christophe Bourseiller Les Le Pen. Une famille française ne se trouvent pas entre guillemets.
Critique de livre ajouté le 6 novembre 2025 à 11h58, Paris. Dernière mise à jour à 15:34.