André Tardieu : L’incompris

Déc 14, 2020 at 15:36 1779

L’ancien haut fonctionnaire français Maxime Tandonnet (*1958) a écrit un autre live. Cette fois-ci une biographie d’un certain André Tardieu (1876-1945), notamment président du Conseil des ministres en 1929, 1930 et 1932. Aristide Briand lui a collé le surnom qui reste gravé dans la mémoire de tous les historiens : Le Mirobolant.

Sous le titre André Tardieu : L’incompris, Maxime Tandonnet nous présente sur 352 pages un homme politique éblouissant, aveuglant, mirobolant, un personnage calamistré au long fume-cigarette d’ambre, qui de sa lippe débordant de morgue, vous précisait quelles avaient été les réponses apportées par la France à ses partenaires ès conférences, en reprenant une description contemporaine de Léon Daudet (dans L’Action française).

Maxime Tandonnet décrit André Tardieu comme un épicurien et fin gourmet, un incorrigible Don Juan qui collectionne les conquêtes féminines qui s’entoure d’un petit groupe d’amis fidèles composé de partenaires politiques et de personnalités du monde littéraire. Il est aussi un grand voyageur, constamment en mouvement.

Parisien jusqu’au bout des doigts, André Tardieu sort beaucoup, assiste à tous les spectacles donnés dans la capitale en particulier l’opéra, une de ses passions, avec une préférence pour l’œuvre de Richard Wagner dont il fredonne, en allemand, des passages appris par cœur.

André Tardieu n’a pas écrit de mémoires. Il a préféré s’effacer derrière une œuvre politique, gouvernementale et intellectuelle. Son humilité à cet égard contraste avec la réputation de magnificence issue des quelques témoignages le concernant, passés à la postérité.

Contrairement à Clemenceau, Poincaré, Herriot, Daladier, Blum et Laval, Tardieu a été oublié par les historiens. Selon Maxime Tandonnet, il a été un personnage atypique qui recèle un véritable mystère. Chez lui, la forme est aux antipodes du fond. La façade étincelante du bon vivant et du poseur a suscité de la part de ses contemporains bien plus d’exaspération que de sympathie. Notre auteur se demande si l’arrogance n’est pas le masque d’une fragilité intérieure, d’un doute ou d’une souffrance. Que recèle ce côté rabelaisien, dominateur, envahissant ? Sous le vernis du Mirobolant se profilent les traits d’un homme d’une rare complexité, obsédé par le destin de la France, rongé par l’angoisse que lui valent
ses intuitions prophétiques, dans l’indifférence ou l’aveuglement de ses contemporains.

Dans André Tardieu : L’incompris, Maxime Tandonnet se penche sur les contradictions de la personnalité de Tardieu : mondain et grand solitaire ; misanthrope et proche du peuple ; joyeux drille et mélancolique ; fort et maladif ; bourreau de travail mais nonchalant et désinvolte à ses heures ; voyageur et casanier ; organisé mais imprévisible ; crâneur et modeste ; méprisant et d’une affectivité hors du commun ; intellectuel rejetant l’élitisme ; chantre de l’autorité mais plus encore de la liberté, et ennemi du despotisme sous toutes ses formes.

Selon Maxime Tandonnet, cet impressionnant tumulte intérieur fut la richesse mais aussi le tendon d’Achille d’André Tardieu, un homme venu à la politique avec l’enthousiasme d’un homme déterminé à agir pour le bien commun qui en est sorti désenchanté et meurtri.

Parmi les chapitres de son livre bien fouillé, notons des informations sur la famille, les valeurs et l’éducation d’André Tardieu, sa vocation de journaliste avec des articles qui trouvent une audience en France comme à l’étranger, le combattant volontaire Avec Foch (tel le titre de son dernier livre), ses années de professeur à Harvard, son temps à côté de Clemenceau, son ascension politique jusqu’au sommet de l’Etat, échec et chute, le visionnaire Tardieu (« Le danger, c’est Hitler »), ses écrits, sa croisade pour le vote des femmes, sa critique du Front populaire, vainqueur des législatives le 3 mai 1936 et du gouvernement Léon Blum qui en est issu, sa collaboration sulfureuse avec Gringoire, hebdomadaire grand publique qui bascule peu à peu dans l’extrémisme de droite, avec Tardieu utilisant les colonnes de cette publication pour dénoncer vigoureusement la menace hitlérienne.

Selon Maxime Tandonnet, les critiques formulés par André Tardieu sont parfois virulentes, polémiques, sans concession, teintées de provocation, mais elles s’en tiennent au champ du débat d’idées. Voilà ce qui le différencie, fondamentalement, des chroniqueurs fascisants qui pullulent en cette période. Tardieu s’accommode néanmoins d’une situation ambiguë. L’heure de l’explication viendra plus tard, soudaine et violente.

Après l’Anschluss de l’Autriche, sous le titre « Les gens qui nous trompent », André Tardieu porte le fer contre l’esprit de démission et l’inaction de l’exécutif. Il attaque la politique de la France et de l’Angleterre, et il fustige le pacifisme. Plus tard, il écrira un article contre les accords de Munich. Il est relativement seul. Et il ne se reconcilie ni avec Louis Marin ni avec Paul Reynaud. Sa relation avec Georges Mandel, qui partage ses idées sur le danger nazi, continue à se détériorer. Par contre, Charles de Gaulle n’a jamais caché son soutient fervent au Mirobolant.

Le 22 juillet 1939, André Tardieu est victime d’une attaque cérébrale. Il meurt le 15 septembre 1945.

A la fin de sa biographie, Maxime Tandonnet souligne que le temps présent n’est sans doute pas le plus propice à la tentative de raviver le souvenir d’André Tardieu. L’idéologie dominante et la pensée unique règnent sans partage sur le 21ème siècle. Il se demande si un personnage tel que le Mirobolant, prince de l’anticonformisme poussé à son paroxysme, peut intéresser une époque qui étouffe sous le couvercle
du conformisme.

Maxime Tandonnet : André Tardieu : L’incompris. Perrin, 2019, 352 pages. Commandez ce livre chez Amazon.fr.

Pour faciliter la lecture, les citations et citations partielles du livre présenté ne se trouvent pas entre guillemets.

Critique de livre ajouté le 14 décembre 2020 à 15:36 heure de Paris.