Collaboratrices 1940-1945 : Histoire des femmes qui ont soutenu le régime de Vichy et l’occupant nazi

Sep 19, 2025 at 14:05 134

En 1931, quand Pierre Laval – alors président du Conseil – rend visite au chancelier Heinrich Brüning – membre du Zentrum (parti démocratique, largement catholique) –, il déclare devant la presse: «Une collaboration loyale s’impose.» Il s’agit, après la Grande Guerre et les années de tensions entre la France et l’Allemagne vaincue qui ont suivi, d’apaiser les relations entre les deux pays.

Le maréchal Pétain, nommé président du Conseil dans la nuit du 16 au 17 juin 1940, décide encore dans la nuit de demander l’armistice. Il fait diffuser un discours qu’il enregistre à la radio:

« C’est le cœur serré que je vous annonce qu’il faut cesser le combat. Je me suis adressé cette nuit à l’adversaire pour lui demander s’il est prêt à rechercher avec moi, entre soldats, après la lutte et dans l’honneur, les moyens de mettre un terme aux hostilités. »

Le jour même, le général de Gaulle quitte Bordeaux pour Londres à 9 heures du matin, dans un avion anglais mis à sa disposition par Winston Churchill, Premier ministre du Royaume-Uni depuis mai 1940. Le lendemain, Charles de Gaulle lance sur les ondes de la BBC son célèbre appel du 18 juin [moi: un appel que presque personne n’a entendu en France].

L’article 3 de la convention d’armistice signée le 22 juin 1940 entre l’Allemagne et la France précise: « Le gouvernement français invitera immédiatement toutes les autorités et tous les services administratifs français du territoire occupé à se conformer aux réglementations des autorités militaires allemandes et à collaborer avec ces dernières d’une manière correcte. »

C’est en évoquant ces faits que Pierre Brana et Joëlle Dusseau ouvrent leur ouvrage consacré aux Françaises qui ont soutenu le régime de Vichy et l’occupant nazi entre 1940 et 1945.

Pierre Brana et Joëlle Dusseau: Collaboratrices 1940-1945: Histoire des femmes qui ont soutenu le régime de Vichy et l’occupant nazi. Perrin, 2024, 384 pages. ISBN-13: ‎ 978-2262100100. Acceptez les cookies – nous recevons une commission, prix identique – et commandez ce livre chez Amazon.fr.

Joëlle Dusseau, professeur agrégée d’histoire et docteur ès lettres, femme politique française (PSU, PS, PRG), et Pierre Brana, homme politique (PS), écrivain et ingénieur (EDF-GDF), notent également au début de leur livre que c’est uniquement par la suite que le mot «collaboration» prendra la connotation péjorative.

Selon nos auteurs, le 10 juillet, un premier pas décisif est franchi par Pierre Laval qui reprend le terme de «collaboration», mais lui donne un sens différent. « Nous n’avons pas d’autre chemin à suivre que celui d’une collaboration loyale avec l’Allemagne et l’Italie […]. Cette collaboration, je l’ai voulue dans la paix; je regrette avec tristesse d’avoir à la faire au lendemain de la défaite. »

Philippe Pétain reprend le mot dans son discours du 11 octobre 1940 dans lequel il plaide pour un «véritable nationalisme, celui qui […] se dépasse pour atteindre la collaboration internationale» que la France «est prête à […] rechercher dans tous les domaines, avec tous ses voisins».

Le 24 octobre 1940, Pétain salue Hitler d’une poignée de mains qui frappe l’opinion. Le 30 octobre, dans un nouveau discours, Pétain réaffirme: « Une collaboration a été envisagée entre nos deux pays. J’en ai accepté le principe. Les modalités en seront discutées ultérieurement. »

Selon Pierre Brana et Joëlle Dusseau, l’analyse qu’en font les journaux deux jours tard, notamment L’Œuvre de Marcel Déat, qui va faire pencher en faveur de la collaboration et de l’antisémitisme, alerte l’opinion.

Nos auteurs ne se penchent pas sur les motivations du chef de l’Etat français. Ils soulignent cependant que Pétain vient de se débarrasser des assemblées élues, d’interdire les centrales syndicales, de cumuler les pouvoirs législatif et exécutif, de s’attaquer à la franc-maçonnerie, d’emprisonner les hommes politiques de la IIIe République (Blum, Mendès France, Mandel, Daladier) et d’adopter le premier «statut des juifs».

Nos auteurs apportent encore plus de détails. Et ils soulignent que le totalitarisme est une notion masculine. Vichy, réactionnaire au sens premier du terme, renvoie la femme, même la garçonne, la sportive, l’étudiante qui se rêvait médecin ou ministre – comme le furent Suzanne Lacore, Irène Joliot-Curie et Cécile Brunschvicg – aux tâches domestiques.

Pierre Brana et Joëlle Dusseau notent que le mot «collaboratrice » – s’il fut parfois utilisé – n’a pas, de près ou de loin, la même connotation que «collaborateur» au masculin. Le mot «Collabo» – largement utilisé pendant la guerre et au moment de l’épuration – a l’avantage d’être «grammaticalement neutre» ; pour autant, l’image qu’on associe mentalement à ce mot est presque toujours celle d’un homme. Sauf quand il s’agit de collaboration «horizontale».

Pendant longtemps, dans l’imaginaire de la plupart des gens, même le monde de la résistance a longtemps et largement été masculin. Cependant, l’historiographie a évolué.

Par la suite, Pierre Brana et Joëlle Dusseau étudient la collaboration féminine. Ils ne se limitent pas à la collaboration horizontale et aux cas fameux tels que d’actrices comme Arletty («Mon cœur est français, mon cul est international.»), Danielle Darrieux, Mireille Balin, Suzy Solidor, Corinne Luchaire, Viviane Romance, la pianiste Lucienne Delforge, la chanteuse d’opérette Alice Cocéa, la cantatrice wagnérienne Germaine Lubin, la célèbre Mistinguett, la richissime Florence Gould et son salon du jeudi, la couturière Coco Chanel, la grande Colette, l’étonnante sportive Violette Morris, l’intellectuelle Gabrielle Castelot, l’actrice et journaliste Maud Sacquard de Belleroche, l’avocate Juliette Gou-blet, les espionnes au service des nazis comme Lily Carré et Magda Fontanges, des aventurières comme Margad’Andurain, la comtesse d’Abrantès proche de Bonny et de la Carlingue, Evanne Mourousi, ainsi qu’Antoinette Masse, engagée dans le Mouvement social révolutionnairede Deloncle.

Pierre Brana et Joëlle Dusseau vont plus loin et examinent les cas de milliers de collaboratrices inconnues. Dans un monde dur et misogyne – tant à Vichy qu’en zone occupée – la place de la femme est au foyer et que leur rôle est d’être mères. Quelques-unes – comme les artistes, écrivaines, journalistes, artistes mentionnées ci-dessus – parviennent tout de même à sortir du lot et exercer un métier.

Mais nos auteurs s’occupent des cas de toutes les collaboratrices – fameuses ou innconues. Pendant la guerre, comment s’accommodent-elles avec les dirigeants et occupants qui contrôlent tout? Comment sont-elles manœuvrées ou comment s’affirment-elles dans le monde masculin? Certaines d’entre elles ont pu entrer dans le monde de la collaboration, parfois sans en être vraiment conscientes,p arfois en l’assumant partiellement ou totalement. Un panorama (forcément) sélectif permet de rencontrer des personnages féminins étonnants.

Le panorama est large et varié: épouses et concubines, «filles de», égéries, «salonnières», mais également collaboratrices au travail, collaboratrices horizontales, dénonciatrices, délatrices, des femmes politiquement engagés dans des partis et mouvements collaborationnistes, des mouvements pétainistes ou à Vichy, les «femmes d’Otto» et de la Carlingue, des femmes dans les services de renseignement.

Pierre Brana et Joëlle Dusseau concluent qu’il est difficiles de porter un jugement sur les collaboratrices car les accommodements/accommodations ont varié selon le milieu social, la plus ou moins grande proximité avec les occupants – l’occupation de la zone libre après 1942 ayant peu à voir avec celle de la zone occupée dès juin 1940 –, la profession, les opinions antérieures ou les ambitions. Ils ont aussi évolué dans le temps, à mesure que l’on avait connaissance des événements extérieurs et que la répression allemande se faisait de plus en plus brutale.

Les auteurs soulignent qu’ils ont essayer de sortir de la problématique de la liaison amoureuse qui, depuis plus de vingt ans, focalise le débat, réduisant une fois de plus les femmes à leur corps et leur sexualité.

Pierre Brana et Joëlle Dusseau: Collaboratrices 1940-1945 Histoire des femmes qui ont soutenu le régime de Vichy et l’occupant nazi. Perrin, 2024, 384 pages. ISBN-13: ‎ 978-2262100100. Acceptez les cookies – nous recevons une commission, prix identique – et commandez ce livre chez Amazon.fr.

Pour faciliter la lecture, les citations et citations partielles tirées du livre Collaboratrices 1940-1945 Histoire des femmes qui ont soutenu le régime de Vichy et l’occupant nazi ne se trouvent pas entre guillemets.

Critique du livre Collaboratrices 1940-1945 Histoire des femmes qui ont soutenu le régime de Vichy et l’occupant nazi ajouté le 19 septembre 2025 à 14h05, Paris.