Depuis les Kennedy, l’Amérique ne peut réfréner une sorte de fascination pour les dynasties comme pour les grandes lignées de pouvoir. Ce n’est pas le moindre des paradoxes d’un pays fondé sur une promesse démocratique de rupture, écrit Georges Ayache dans Les Roosevelt. Une dynastie américaine (Amazon.fr).
L’auteur nous rappelle qu’il y eut des précédents dynastiques aux Etats-Unis attachés aux familles légendaires d’industriels dont les Rockefeller, Vanderbilt, Gould ou encore Du Pont de Nemours. Mais il a aussi existé de grandes familles dans l’ordre du politique. Ainsi des Adams et des Harrison, qui comptèrent chacune deux présidents des États‑Unis. Ce fut également le cas des Roosevelt, qui avaient débarqué en Amérique au temps du Mayflower.
Au début du livre de Georges Ayache se trouve l’arbre généalogique symplifié des Roosevelt (que l’on peut remonter jusqu’au début du 17e siècle). Les Roosevelt d’Oyster-Bay, avec le président Theodore Roosevelt (1858‑1919), descendent de Johannes Roosevelt (1689‑1750), marié avec Heyltje Sjoerts (1688‑1752). Les Roosevelt d’Hyde Park, avec le président Franklin Delano Roosevelt ou FDR (1882‑1945), cinquième cousin par le sang et neveu par la loi de Theodore Roosevelt, descendent de Klaes Martenzsen (littéralement, Nicholas fils de Martin) van Rosenvelt (*1623 ou 1626-1659), le fils de Maerten Cornelius Gelderman van Rosenvelt et de Cornelia Lodewyck, natifs tous deux de Haarlem – respectivement en 1596 et 1600 – dans le nord de la Hollande.
Georges Ayache souligne que ce n’était pas la misère qui poussa Klaes et les siens à l’exil, leur lopin suffisant à les faire vivre mais l’hostilité persistante du voisin espagnol qui ne se résignait toujours pas à la sécession des Provinces‑Unies, qui poussait beaucoup de Wallons protestants – dont faisait partie la famille de Klaes – attachés à leur liberté comme à leur foi, à fuir. Georges Ayache note que ce ne fut pas non plus vraiment la menace religieuse qui incita Klaes et les siens à partir mais plutôt le désir de changer de vie et de montrer de quoi ils étaient capables, quitte à travailler dur et même à s’arracher à la terre en se faisant marchands.
Dans Les Roosevelt. Une dynastie américaine (Amazon.fr), le lecteur apprend que le patronyme de van Rosenvelt (littéralement le « champ de roses » en néerlandais) renvoyait à une hypothétique noblesse et s’était d’ailleurs transmis au lieu‑dit où s’étendaient les terres patrimoniales. Cela ne faisait pas forcément illusion. En effet, au nom roturier de Gelderman (l’homme d’argent), qui était celui du père de Klaes, n’avait‑on pas simplement accolé celui de «van Rosenvelt», peut‑être en hommage au seigneur local, ce qui était une pratique courante à l’époque? Quoi qu’il en soit, la famille de Klaes s’était appropriée jusqu’aux armoiries des van Rosenvelt: un blason composé d’un buisson d’où émergeaient trois roses d’un petit monticule verdoyant et surmonté de trois plumes d’autruche, rouges et argentées. Elle avait même fait sienne leur devise: «Qui plantavit curabit» (Celui qui cultive est celui qui a semé). Plus tard, Theodore puis Franklin D. Roosevelt (ce dernier étant passionné de généalogie) décidèrent de faire épurer ces armoiries en ne retenant que les trois roses. En tout cas, une ascendance nobiliaire, fût‑elle factice, n’était certes pas un handicap au moment d’émigrer sous d’autres cieux.
Georges Ayache écrit que la société de marchands néerlandais est né à Amsterdam en 1621, la Compagnie des Indes occidentales en était le bras armé. A l’instar de sa société mère (la Compagnie des Indes orientales, qui œuvrait en Asie), sa mission énoncée dans la charte qui lui avait été octroyée était de promouvoir le commerce dans une vaste zone couvrant l’Afrique de l’Ouest et les Amériques. Elle consistait aussi à organiser la colonisation néerlandaise des Amériques, donc à rechercher des candidats à l’émigration. Elles ne constituaient ni vraiment un asile ni encore un rêve, mais seulement, pour l’heure, une opportunité raisonnable. Elles permettaient de mener une vie meilleure dans des colonies en gestation, sinon d’échapper à l’intolérance catholique, cette fille naturelle de la Contre‑Réforme, souligne Georges Ayache.
Selon George Ayache, Theodore Roosevelt incarnait le moment historique d’une Amérique revendiquant sa prééminence à l’orée d’un xxème siècle qui lui était promis. Il avait été le premier de sa famille, et même de sa classe sociale, à considérer qu’il n’était pas méprisable de se consacrer à la chose publique, pourvu que la politique reste une affaire de gentlemen dans le respect des valeurs civiques de probité et d’intérêt général.
Georges Ayache souligne que FDR était aussi démocrate que Theodore était républicain. Il n’avait pas les fulgurances de son illustre parent ni son extraversion. Rien ne pouvait laisser présager en lui l’homme de rupture ou l’appel d’une destinée aventureuse. FDR balaya cependant tous les doutes et donna tort aux sceptiques, selon notre auteur.
Franklin, réélu haut la main gouverneur de New York en 1930, comprit que son heure était arrivée. L’élection de novembre 1932 serait la sienne. A son poste à Albany, il adopta des mesures plus audacieuses que ses collègues gouverneurs pour adoucir la crise. Il devint bientôt le champion des aides sociales. A la convention de Chicago, dans son discours d’acceptation de la nomination démocrate, il évoqua un New Deal pour le peuple américain, en écho au Square Deal de l’oncle Ted.
Georges Ayache ne mentionne pas que Herbert Hoover était un précurseur du New Deal car il avait créé la Reconstruction Finance Company (RFC) en janvier 1932. Déjà Herbert Hoover avait opté pour une intervention directe de l’Etat. Rexford Tugwell, professeur à la Columbia University et architecte-en-chef du New Deal avait admis plus tard: « … practically the whole New Deal was extrapolated from programs that Hoover started. » (cité par David M. Kennedy: Freedom From Fear. The American People in Depression and War 1929-1945. The Oxford History of the United States vol. 9, Oxford, OUP, 1999, 936 pages; édition en anglais chez Amazon.fr, Amazon.com).
Georges Ayache écrit par contre que, sans doute, Franklin Delano Roosevelt était‑il ce «caméléon sur une couverture écossaise» que dénonçait avec virulence Herbert Hoover. Quant aux résistances que Franklin Delano Roosevelt devait vaincre avec son New Deal, il cite le grand magnat de la presse William Randolph Hearst qui le qualifiait de «candidat officieux du Komintern».
Georges Ayache nous présente non seulement les deux présidents Roosevelt, mais également Eleanor Roosevelt, femme de FDR et grande diplomate et militante, encore aujourd’hui le modèle parfait de la First Lady, et Alice Roosevelt, fille de Theodore, rebelle et féministe avant l’heure, qui fut en son temps une superstar mondiale, qui avait lutté de toutes ses forces contre le président Taft qu’elle méprisait, comme elle méprisait Wilson qui, selon elle, n’avait eu aucun scrupule à «s’approprier» le projet de Theodore d’une Ligue de la Paix simplement toiletté en Société des Nations.
A la fin de son livre, Georges Ayache arrive à la conclusion qu’au fond les Kennedy n’auront rien inventé que les Roosevelt n’aient déjà entrepris, ou au moins pressenti. Le glamour de l’image? Le rayonnement planétaire de «Princesse Alice» avait précédé la légende universelle de Jackie Kennedy. L’instrumentalisation des médias? Le «Colonel» et ses conférences de presse fertiles en informations newsworthy, puis FDR avec ses fameuses « causeries au coin du feu » avaient été les favoris de la presse bien avant JFK. La sublimation du héros? L’exploitation de l’épisode de la bataille de San Juan et de TR chargeant à la tête de ses Rough Riders avait devancé celle du sauvetage par Jack Kennedy de son équipage du «PT‑109» dans le Pacifique. En définitive, le «show Roosevelt» valait bien le «show Kennedy».
Selon Georges Ayache, les Kennedy passent pour la dynastie politique la plus brillante et la plus adulée des Américains, mais ils laissent une image artificielle, souvent frelatée, assise principalement sur l’émotion, sinon sur un mélange douteux entre le sérieux et le paraître, entre l’habileté politique et l’argent, avec pour arrière‑plan le show‑business, voire la mafia.
Moins clinquants, les Roosevelt, toutes tendances ou personnalités confondues – de Theodore, conservateur devenu progressiste, à Franklin, patricien devenu opportuniste –, auront laissé quant à eux une trace beaucoup plus profonde et durable dans la société américaine, conclut notre auteur.
Ce ne sont que quelques détails tirés d’un livre de 380 pages. Une dynastie à redécouvrir!
Georges Ayache : Les Roosevelt. Une dynastie américaine, Perrin, mai 2023, 380 pages (Amazon mentionne 416 p., mon pdf à 380 p.). Commandez ce livre chez Amazon.fr.
Ancien diplomate, aujourd’hui avocat, Georges Ayache a déjà consacré plusieurs ouvrages aux Etats-Unis de l’après-guerre, parmi lesquels Kennedy-Nixon : les meilleurs ennemis (broché ou Kindle eBook chez Amazon.fr) et Les Présidents des Etats-Unis (broché ou Kindle eBook chez Amazon.fr). Il est également l’auteur d’une biographie remarquée de Frank Sinatra (Amazon.fr).
Pour faciliter la lecture, les citations et citations partielles ne se trouvent pas entre guillemets.
Critique de livre ajouté le 2 juin 2023 à 18:58 heure de Paris.