Biographie, CDs, photos de la flutiste de jazz
L’histoire de la flûte dans le Jazz n’est pas très longue. Cet instrument reste encore marginal et on ne sait pas trop pourquoi. Il faut remonter à la fin des années 20 pour y trouver une trace avec Alberto Socarras chez le chef d’orchestre Clarence Williams en 1927. Puis c’est Wayman Carver qui, au début des années 30, en joue un peu (de façon magnifique d’ailleurs). Il enregistre en superbe solo de flûte dans l’orchestre de Chick Webb en 1937 avec le titre « Sweet Sue, Just You ». A l’exception du chorus de Harry Klee sur « Caravan » par l’orchestre de Ray Linn en 1946, il faut attendre le début des années 50 pour voir réellement apparaître la flûte. L’un des pionniers et responsable de cette « naissance » est le fantastique saxe Frank Wess, que Count Basie recruta en 1952 pour former son nouveau big band. Le Count, fasciné par cet instrument, demande alors à Frank Wess d’en jouer. Mieux, encore, Count passe commande à ses arrangeurs pour composer des thèmes exprès pour Frank le mettant en avant avec cet instrument. Sans le savoir, ils innovent.
D’autres, grands musiciens aussi d’ailleurs, suivent mais ce ne sont toujours que des saxes qui doublent à la flûte : Bud Shank, Jérôme Richardson, Buddy Collette, James Moody, Leo Wright, Bobby Jaspar, Yusef Lateef, Paul Horn, Sam Most, David Newman, Eric Dixon et Les Spann.
Dès le début des années 60, elle devient complètement intégrée avec des gens tels que Herbie Mann. Eric Dolphy l’adopte avec maestria, ainsi que Charles Lloyd, Joe Farrell, et quelques autres. Roland « Rahsaan » Kirk ouvre encore des spectres tout nouveaux. Mais les flûtistes qui ne jouent que de cet instrument ne sont pas très nombreux : Jeremy Steig, Hubert Laws, James Newton, Steve Kujala et Michael Edelin en France entre autres.
Puis, à la fin des années 80, arrive, sur la pointe des pieds, UNE flûtiste et non des moindre : j’ai nommée Madame Holly Hofmann. Elle est non seulement une fantastique musicienne mais également tout à fait unique dans son genre! La seule …
Elle étudie cet instrument dès l’âge de 5 ans. Son père était guitariste de Jazz à Cleveland, Ohio et l’initie à la musique. En fait elle va écouter son père dans tous les clubs et mémorise d’oreille tous les titres joués alors. Elle « gratte » un peu la guitare de son père et apprends quelques accords de Jazz et de Blues. Le Blues est très présent dans l’univers musical des Hofmann, ce qui imprègne très profondément la toute jeune Holly. Dès l’âge de 7 ans, elle étudie avec Walter Mayhall qui l’influence beaucoup au niveau du son. Puis elle rencontre le grand Maurice Sharp, flûtiste dans l’orchestre Philarmonic de Cleveland. Elle étudie très sérieusement et obtient le diplôme de l’université de musique de Cleveland, très réputé et considéré comme un des meilleurs des USA. Elle étudie la musique classique puis, bien plus tard, elle s’intéresse plus particulièrement au Jazz. Mais au collège, c’est le choc quand on lui dit qu’elle ne fera aucune carrière si elle ne joue pas du saxe pour avoir « deux casquettes » : « la flûte ne te nourrira jamais » lui a-t-on dit alors. Mais elle ne veut rien savoir et croit encore plus fort en toutes les qualités et capacités de son instrument de prédilection. Elle essaye tout de même le ténor mais elle remarque que quand elle joue du ténor et ensuite de la flûte, le son et la justesse de la flûte en sont énormément altérés. Alors, elle décide de ne jouer que de la flûte.
Elle écoute alors beaucoup des grands solistes de Jazz, ceux qui jouent le Blues, tels que Ben Webster, « Sweets » Edison, Johnny Hodges. Puis elle fasciné par le Oscar Peterson Trio avec Ray Brown et Ed Thigpen. Elle apprend alors par cœur, les solos de basse de Ray Brown.
Elle joue ensuite avec des gens tels que le tromboniste-compositeur-arrangeur Slide Hampton, ténor-flûtiste James Moody (un autre résidant de San Diego, Californie), le guitariste Mundell Lowe etc … Elle habite, dès 1984, San Diego, Californie. Elle enregistre son premier album pour le superbe label « Capri Records » de Tom Burns en 1989, intitulé « Further Adventures ». Elle y est accompagnée par le non moins magnifique pianiste Mike Wofford trio, pianiste d’Ella Fitzgerald à l’époque. Vu le succès, elle enchaîne avec « Take Note » l’année suivante toujours avec les même musiciens. C’est le début d’une longue amitié-collaboration et enfin mariage en 2001 avec Mike Wofford. En 1992, elle dirige un club de Jazz à San Diego et engage tous les groupes qui s’y produisent. Elle travaille beaucoup avec un autre excellent pianiste de Californie : Bill Cunliffe. En 1994, elle fait une rencontre qui va marquer sa vie à jamais : celle de Ray Brown. Ils deviennent amis. Le Maître Ray Brown est beaucoup impressionné par notre flûtiste. C’est le début d’une régulière collaboration. Elle enchaîne les albums et les concerts puis les tournées aux USA. Ray Brown décide de la prendre pour sa tournée de ses « 75 ans » en Europe en 2001. En 2003, elle forme un groupe très original: « Flutology » avec un de ses maîtres, le grand Frank Wess, et une autre magnifique flûtiste, Ali Ryerson. Ils enregistrent, toujours pour le label de Denver « Capri Records », un premier album, nommé tout simplement « Flutology ». Le succès est immédiat.
Son tout dernier opus, « Minor Miracle », est tout sauf un événement mineur ! Bien au contraire. Elle est accompagnée de manière remarquable par le Mike Wofford trio : Mike au piano, Peter Washington à la basse et Victor Lewis à la batterie. Une rythmique de rêve, sur des arrangements conçus exprès pour notre héroïne, signés pour la plupart par Mike lui-même et par Ray Brown pour 2 autres titres. La très belle mélodie peu connue de Cole Porter, « Every Thing I Love », débute cet album. Il s’agit d’une relecture qui, à la base, était une balade; elle devient ici une bossa nova nonchalante. C’est un arrangement difficile, surtout pour un souffleur (signé Ray Brown). Holly y improvise de façon renversante et « crie » son solo avec beauté. Le grand Peter Washington nous émeut et est particulièrement inspiré dans ses interventions entre les musiciens. « C’est l’esprit et le son de Ray Brown qui m’ont aidé » m’a avoué Peter.
Le Blues est la base du Jazz et Holly ne l’a jamais mis de côté. « CRS-Craft », signé et arrangé encore par Ray Brown, est un médium qui permet de se rendre compte de toutes les grandes capacités de chacun. Holly « transpire » le Blues, les 4/4 de Peter et Victor sont délectables. Mike est aussi un super bluesman aussi. Il y a des influences flagrantes d’un autre grand en la matière, le pianiste Gene Harris. « Yeah ! ».
Holly-Mike composent et arrangent « Minor Miracle » avec brio. Une mélodie funky-bluesy, teintée de rock, pas facile à jouer, nous envoie sur une autre planète mais toujours avec feeling, subtilité et raffinement. Le solo de Peter est remarquable particulièrement. Holly se balade de l’aigu au grave avec aisance renversante. Cela me fait penser à un autre inoubliable de l’instrument qui était capable d’en faire de même : Bud Shank (dommage qu’il ait abandonné la flûte il y a 20 ans déjà).
Un tout grand moment de cet album, un chef d’œuvre et je pèse mes mots : le duo Holly-Mike dans le fameux « Samba Do Avao » de Tom Jobim. Il est difficile d’écrire sur ce moment magique. Juste écoutez et vous entendrez ce moment exceptionnel de Musique ! Et puis, j’attire votre attention sur les accords finaux du piano de Mike (les 34 dernières secondes du morceau) : on n’entend plus le son d‘un piano mais on croirait qu’il s’agit d’une guitare acoustique « à la Laurindo Almeida ». Je n’avais jamais entendu ça auparavant. Fantastique.
Le brillant pianiste Ray Bryant est également un compositeur redoutable. « Tonk » en est bien la preuve. Notre quartet s’envole et swingue comme des enragés. On n’arrive plus à les arrêter. A nouveau, un arrangement absolument superbe de Mike. On en redemande. Un grand « merci » à Tom Burns, le producteur de la séance et patron de « Capri Records », d’avoir demandé à Holly de jouer ce thème.
Les amateurs connaissent bien sûr Duke Ellngton, Billy Strayhorn et Johnny Hodges. « Johnny Come Lately » est, à l’origine, un thème « up tempo ». Le voici revisité en mode « afro cubaine ». Incroyable mais vrai et ça fonctionne à merveille. On redécouvre ce morceau avec émerveillement. Le « pont » de la mélodie est très intelligemment ré-harmonisé par Mike. Subtil à souhait. A écouter avec soin si vous êtes musicien. Il y a quelque chose à prendre là dedans. Holly est particulièrement incisive dans l’attaque de ses notes et ses phrases. Le grand batteur Victor Lewis prend un solo de musicalité, de finesse mais aussi de tonus et d’inventivité à la fois. Une véritable leçon de batterie. Bravo.
La magnifique mélodie brésilienne « Minha », de Francis Hime, représente encore une autre facette de la musique brésilienne. Arrangée en balade mi bossa, Holly nous offre une autre palette de son immense talent, autant dans les teints des tessitures de la mélodie que de la flûte. Un autre moment incontournable de cet album.
Pour terminer cet enchantement, un vieux standard, « Will You Still Be Mine » dont le pianiste Erroll Garner a, entre autres, marqué à jamais son emprunte (séance en trio pour Columbia en 1953). Mike Wofford joue avec brio sur différents accords de la mélodie -parfois inattendus- sans jamais se départir d’un swingue à toute épreuve. Peter et Victor y sont pour quelque chose bien entendu. Et puis Holly jubile et les 4/ 4 avec son mari sont d’une inspiration admirable.
Vous l’avez compris: cet album est non seulement indispensable mais un des meilleurs de l’année 2005. Si vous êtes amateurs, vous allez être sans voix et aux anges. Si, en plus, vous êtes musiciens, cela sera tout bonnement 53’50 de véritable leçons musicales. Holly, Mike, Peter et Victor : nous attendons la suite.
Holly Hofmann, flute. Ray Brown, bass. Photo © Azica Records.
Holly Hofmann Quartet: Minor Miracle. Septembre 2004. Commandez ce CD chez Amazon.fr.
Flutology: First Date. Août 2003. Commandez ce disque chez Amazon.com.
Holly Hofmann: Flutopia. Avril 1999. Commandez ce disque chez Amazon.fr, Amazon.com.
Le groupe Flutology. Photo © Thomas Burns.
Article par « Beethoven » Jean-Michel Reisser.