Historien de la Seconde Guerre mondiale et fin connaisseur de la culture britannique, Christian Destremau est, entre autres, l’auteur d’une biographie de Lawrence d’Arabie (Perrin, 2014; acceptez les cookies – nous recevons une commission, prix identique – et commandez ce Kindle e-book chez Amazon.fr), de Ce que savaient les Alliés (Perrin, 2013; Amazon.fr) ou encore Le Moyen-Orient pendant la Seconde Guerre mondiale (Tempus, 2015; Amazon.fr).
En 2024, il a publié la biographie du conquérant et fondateur de l’Arabie saoudite, Ibn Saoud (1876 ou 1880-1953). Il est le grand-père de l’homme fort actuel, Mohammed ben Salman (MBS).
Christian Destremau: Ibn Saoud Seigneur du désert, roi d’Arabie, Perrin, 2024, 384 pages. Acceptez les cookies – nous recevons une commission, prix identique – et commandez ce catalogue chez Amazon.fr.
Abd al-Aziz ibn Abd ar-Rahman ibn Saoud a régné de 1932 à 1953. Mais il a dû s’imposer, notamment contre Hussein ibn Ali (1853-1931), qui, en 1908, a été nommé par le sultan Abdülhamid chef (chérif) des Lieux saints. Dans le monde musulman, la notoriété de Hussein ibn Ali est donc bien plus forte que celle de l’obscur émir du Nejd.
Durant la Première Guerre mondiale, Ibn Saoud fit allégeance à la Grande-Bretagne et sollicita plus tard l’aide financière de Moscou. En 1932, il fonde le royaume d’Arabie saoudite. Après une dernière expédition guerrière contre l’imam du Yémen (1934), les frontières de l’Arabie saoudite sont stabilisées. Ibn Saoud règne désormais sur un territoire grand comme trois fois et demie la France. Cet homme d’Etat incontournable et madré – qui choisit de maintenir son pays dans une neutralité favorable aux Alliés durant la Seconde Guerre mondiale – a conclu en 1945 avec le président américain Roosevelt un accord stratégique motivé par la géopolitique du pétrole, plaçant l’Arabie saoudite dans l’orbite économique et sous la protection militaire américaine. A sa mort en 1953, Ibn Saoud laisse derrière lui l’un des pays les plus puissants et influents du monde musulman, membre de l’ONU et de la Ligue arabe.
Christian Destremau a étudié de nombreux documents d’archives. Selon lui, pour Ibn Saoud, comme pour ses successeurs, la religion islamique, sous sa forme « wahhabite » – à laquelle ils adhèrent pleinement – n’a pas pour mission de convertir le monde, mais doit aider la dynastie des Saoud à se maintenir au pouvoir, pour les siècles qui viennent.
Je dois m’opposer fermement à cette affirmation. La prise de la Grande Mosquée de la Mecque, le lieu le plus sacré de l’islam, entre le 20 novembre et le 4 décembre 1979, menée par plusieurs centaines d’islamistes opposés à la monarchie saoudienne, a conduit le roi Khalid à donner plus de pouvoir aux wahhabites.
Les photographies de femmes dans les journaux ont été interdites, puis les femmes ont été exclues de la télévision. Les cinémas et les magasins de musique ont été fermés. L’idéologie wahhabite radicale s’est répandue dans beaucoup de mosquées autour du globe, financée par l’Arabie saoudite, ce qui a conduit à une radicalisation d’une partie des musulmans dans des pays qui étaient auparavant dominés par des formes modérées de l’islam.
Retour au livre de Christian Destremau qui explique au début de sa biographie qu’en 1999, l’Arabie saoudite a fêté son «centenaire» – selon le calendrier islamique, fondé sur l’année lunaire – plus courte d’une dizaine de jours que l’année solaire –, l’acte fondateur du royaume était un événement historique relativement mineur qui avait eu lieu en 1902: la prise de Riyad, petite cité de quelques milliers d’habitants au cœur du Nejd, par un jeune guerrier, Abd al-Aziz ibn Abd ar-Rahman ibn Saoud, plus connu sous le nom d’Ibn Saoud.
Christian Destremau souligne que des critiques ont remarqué que le raid sur Riyad en 1902 avait été une simple escarmouche. L’attque la plus notable est venue des oulémas, les savants de l’islam, et de leur chef, Abd al-Aziz ibn Baz, qui avait publié une fatwa déclarant que les festivités du centenaire, au cours desquelles le récit de l’exploit prenait une place centrale, étaient une «innovation», bida, imitation des pratiques des mécréants et étrangère à l’islam authentique.
Selon Christian Destremau, les autorités passèrent outre, signe que le berceau du wahhabisme n’est pasimmunisé contre les enjeux de la mémoire et de l’histoire.
Le biographe affirme que, tout au long de son existence, Ibn Saoud n’a cessé de dire qu’il a forgé tout seul son destin. C’est ainsi qu’il fut perçu à l’extérieur, des observateurs contemporains avisés le rangeant parmi les self-made-men tels Cromwell ou Napoléon – voire Mussolini ou Hitler. Selon Christian Destremau souligne que rien n’est moins exact: Ibn Saoud est d’abord un héritier, le rejeton d’une grande famille et d’une grande dynastie, qui a régné par deux fois, depuis le milieu du 18e siècle, sur une grande partie de la péninsule Arabique, l’«île des Arabes», jazirat al-arab.
Les Al-Saoud étaient alors devenus les émirs de la grosse bourgade de Diriya, située à une quinzaine de kilomètres au nord de l’actuelle capitale de l’Arabie saoudite, au cœur d’une région aux contours mal délimités appelée simplement Nejd, «haut plateau» en arabe. Les Saoud sont des commerçants, leur fortune est modeste et, contrairement à une légende dorée, ce ne sont pas des bédouins.
Christian Destremau note que c’est à cette époque que se fait entendre une nouvelle voix, porteuse d’une prédication religieuse: celle d’un certain Muhammad ibn Abd al-Wahhab. Jeune lettré, il prêche le retour aux principes fondamentaux de l’islam, en premier lieu le monothéisme pur et l’unicité de Dieu. L’islam, clame-t-il, s’est divisé en sectes et en écoles. Pire encore, selon Abd al-Wahhab, dans une bonne partie del’Arabie, l’islam a presque disparu, notamment chez les bédouins. Il exige la destruction des idoles et des icônes, la fin du culte des saints personnages, le refus de toute intercession. Pour les observateurs occidentaux du début du 19e siècle, notamment le Français Corancez ou le Suisse Burckhardt, le wahhabisme est comparable au protestantisme.
Christian Destremau écrit, qu’avec Muhammad ibn Saoud, Abd al-Wahhab signe, vers 1745, le pacte dit «de Diriya»: l’émir de la cité appuiera la prédication, en échange de quoi le prédicateur lui apportera son soutien dans ses projets d’expansion et d’unification de l’ensemble du Nejd. Selon notre biographe, ce pacte est un succès pérenne: avec la doctrine wahhabite comme ferment idéologique, les descendants de Muhammad ibn Saoud étendent leurs domaines bien au-delà des ambitions initiales – c’est le premier «État» saoudien, qui dure de 1745 à 1811.
Retour à Ibn Saoud: Au début des années 1950, la population globale du royaume est estimée à 4,5 millions d’habitants. Il y a au total, dans tout le pays, moins de trois cents écoles publiques non religieuses, accueillant, selon les estimations, entre 20,000 et 40,000 mille élèves – uniquement des garçons.
Christian Destremau cite un article de The Economist qui dénonce une réalité sombre à la fin du règne d’Ibn Saoud:
« Voici les faits. En 1949, le roi a reçu environ 90 millions de dollars, principalement en or. […] Officiellement, ces fonds sont destinés à élever le niveau de vie de son peuple; la réalité est que seuls 10%, qui servent surtout à payer les tribus pour qu’elles restent tranquilles, ne vont pas dans les poches sans fonds du roi, de sa famille proche et de son entourage. […] Comme on peut s’y attendre, la famille des Saoud est entièrement disposée à utiliser les revenus de façon à préserver le caractère médiéval du pays. »
Christian Destremau note, qu’au cours de l’année 1946, 150 000 dollars sont consacrés à la construction d’écoles dans tout le pays et plus de dix fois plus au parc automobile de la cour, le souverain ayant quant à lui une affection spéciale pour les Packard, commandées par douzaines. C’est pourquoi ce dernier chapitre (avant l’Epilogue) s’intitule Le temps des Cadillac.
La compagnie pétrolière Aramco par contre est en pointe pour «blanchir» l’image du royaume auprès du public américain et s’efforce de faire passer le message qu’elle n’est pas en Arabie uniquement pour le pétrole, mais pour participer au développement global du pays, en association avec un souverain visionnaire.
En Arabie saoudite, le vol d’un mouton est puni par amputation d’un ou plusieurs membres, alors que la corruption à grande échelle (au sommet de l’Etat) est vue avec la plus grande indulgence.
Selon Christian Destremau, Ibn Saoud a très tôt compris l’importance d’une puissance chrétienne, le Royaume-Uni, dont il a sollicité à maintes reprises la protection. Raison de plus de ne pas se présenter comme le héraut d’un wahhabisme offensif, qui risquerait d’inquiéter à la fois les hommes de l’India Office, attentifs à toute effervescence religieuse en raison des possibles répercussions sur l’attitude des musulmans de l’Inde, et ceux du Foreign Office, fermement attachés au maintien de relations cordiales avec l’Empire ottoman.
Le 9 novembre 1953, à Taïf, Ibn Saoud meurt dans son sommeil d’une attaque cardiaque. Il laisse derrière lui un pays corrompu. Mais également un pays immensément riche qui s’est émancipé du Royaume-Uni.
Ce ne sont que quelques détails tirés du livre de Christian Destremau: Ibn Saoud Seigneur du désert, roi d’Arabie, Perrin, 2024, 384 pages. Acceptez les cookies – nous recevons une commission, prix identique – et commandez cette biographie chez Amazon.fr.
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Critique du livre Ibn Saoud Seigneur du désert, roi d’Arabie ajouté le 27 août 2025 à 19h14, Paris. Dernière mise à jour à 19:46.