Jean Dubuffet, un barbare en Europe

Août 02, 2019 at 20:02 1770

Le catalogue et l'exposition au Mucem à Marseille

Dans sa préface du catalogue Jean Dubuffet, un barbare en Europe (Amazon.fr), le Président du Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée à Marseille (Mucem), Jean-François Chougnet, souligne la tendresse exprimé par Dubuffet pour les objets et leurs créateurs singuliers et rappelle au lecteur que l’artiste avait décrit les musées comme des « organismes de propagande » de l’État, en rejetant « l’action stérilisante de ses pompes culturelles. » Il fuyait « ses morgues d’embaumement, ces citadelles de la culture mandarine. » Selon Jean Dubuffet, « A confiner les œuvres dans les musées, on empêche qu’elles soient reçues dans la cité vivante ; on les dote d’un caractère intouchable, interdit, qui détourne le public d’en faire usage. »

En se référant à Hubert Damisch, Jean-François Chougnet rappelle également le paradoxe que le même Dubuffet a déployé d’importants efforts pour donner aux œuvres produites hors de « l’art professionnel » un statut artistique.

L’exposition et le catalogue Jean Dubuffet, un barbare en Europe au Mucem offrent l’occasion de regarder cette œuvre novateur différemment, grâce à l’analyse d’une nouvelle génération d’historiens de l’art tels que Baptiste Brun et Isabelle Marquette. Thierry Dufrêne rappelle dans sa contribution à ce catalogue que l’Art Brut à failli prendre le terme étonnant d’ « Art Obscur ».

Boris Wastiau, le directeur du Musée d’etnhographie de Genève (MEG), qui accueillera l’exposition Jean Dubuffet, un barbare en Europe plus tard, met l’accent sur la « connexion helvétique » de Dubuffet. En 1945, à l’invitation de l’Office national de tourisme, l’artiste entreprend un voyage formateur en Suisse. C’est pendant cet été qu’il forge le concept d’ « Art Brut ». Il rencontre le bouillonnant professeur Eugène Pittard, directeur du Musée d’ethnographie de Genève, qui lui présente des collections avec lesquelles il n’a encore rien de familier tels que le peintre congolais Albert Lubaki, les collections de masques aux visages tortueux de Lötschental, vallée alpine suisse, les aquarelles de Berthe Urasco, une patiente du psychiatre Charles Ladame à l’asile genevois de Bel-Air, etc.

Plus tard, le docteur Ladame lui fera don d’ œuvres de Berthe Urascao, Joseph Heuer et bien d’autres patients, qui formeront le socle de la Collection de l’Art Brut de Jean Dubuffet. Pendant ce voyage de 1945 et de ceux qui succéderont, l’artiste découvre également les créations du « Prisonnier de Bâle », celles d’Aloïse Corbaz, d’Heinrich Anton Müller et de Louis Soutter ; ce dernier est un de mes artistes favoris de l’Art Brut dont on trouve parfois des œuvres à l’Art Basel (comme en 2019) pour des sommes pharamineuses.

Jean Dubuffet est un grand lecteur du citoyen de Genève, Jean-Jacques Rousseau, avec lequel il partage une ferme opposition à la culture et aux arts dominants, maniérés, qu’ils jugent élitaires et discriminants.

Boris Wastiau mentionne également que Dubuffet se lie avec le Soleurois Josef Müller, dont les œuvres collectées constitueront plus tard le fondement de la collection Barbier-Mueller à Genève. En 1939, ce dernier acquiert sept sculptures (plusieurs avec barbes et moustaches) en pierre d’origine européenne indéterminée et de facture récente. Dubuffet les nomme les « Barbus Müller ». Et, en 1946, il intitulera son premier fascicule de L’Art Brut « Les Barbus Müller et d’autres pièces de la statuaire provinciale. » Il les expose au Foyer de l’Art Brut, un nouvel espace, au sous-sol de la galerie Drouin place Vendôme à Paris. Et, en 1949, Dubuffet nous donne sa définition de ce nouveau courant artistique dans son texte « L’Art brut préféré aux arts culturels », publié en 1949 dans le catalogue de la galerie René Drouin.

En 1971, Jean Dubuffet fait don de sa collection de l’Art Brut à la ville de Lausanne. Elle comporte quelques 500 œuvres réalisées par 133 créateurs et créatrices. En 1976, elle ouvrira ses portes au public.

Le catalogue Jean Dubuffet, un barbare en Europe contient un Portrait de Jean Dubuffet en anthropographe par Baptiste Brun et Isabelle Marquette, une contribution par Thierry Dufrêne au sujet de Dubuffet et le populaire. De l’ « Art Obscur » à l’ « Art Brut », par Maria Stavrinaki au sujet De l’usage de l’histoire et du mythe par Jean Dubuffet, par Vincent Debaene au sujet de Jean Dubuffet et l’ethnologie, par Christophe David et Baptiste Brun au sujet de la critique de la culture par Jean Dubuffet ainsi que plusieurs textes par Jean Dubuffet lui-même.

Le catalogue reproduit 131 des 290 œuvres et objets présentés à Marseille. A part des œuvres de Jean Dubuffet, on y trouve des créations d’autres artistes de l’Art Brut, des photographies, etc. qui proviennent de collections publiques et privées de toute l’Europe.

L’exposition Jean Dubuffet, un barbare en Europe est/sera présentée
– au Mucem à Marseille du 23 avril au 2 septembre 2019
– à l’IVAM (Institut Valencià d’Art Modern) du 8 octobre 2019 au 16 février 2020
– au MEG à Genève du 8 mai 2020 au 3 janvier 2021

Catalogue d’exposition : Jean Dubuffet, un barbare en Europe. Sous la direction de Baptiste Brun et Isabelle Marquette, commissaires de l’exposition, avec les contributions de Christophe David, Vincent Debaene, Thierry Dufrêne et Maria Stavrinaki. Éditions du Mucem / Hazan. Format 19 x 28,5 cm, 224 pages. Parution avril 2019. ISBN 978-27-54110-95-2. Commandez ce livre chez Amazon.fr.

Article ajouté le 2 août 2019 à 20:02 heure de Paris.