Biographie de Jean Fautrier
Le Kunstmuseum Winterthur montre encore jusqu’au 12 novembre 2017 l’exposition Jean Fautrier, un artiste toujours méconnu du grand public en France. Dans son pays natal, la dernière rétrospective remonte à 1989 (Paris) ! En Suisse, l’artiste a quand même encore été montré en 2004 à Martigny.
Le Kunstmuseum Winterthur est le seul musée suisse à posséder des toiles et des dessins de l’artiste. Une rétrospective dans cette ville dédiée à la culture fait donc sens.
Le catalogue d’exposition: Jean Fautrier, Kunstmuseum Winterthur, Richter Verlag, 2017, 240 pages avec des photos de toutes les 121 œuvres exposées ainsi que d’autres illustrations. Le livre est bilingue (allemand/français). Commandez ce livre chez Amazon.de ; d’autres livres au sujet de Jean Fautrier chez Amazon.fr.
Selon ses propres dires, Jean Fautrier se refusait à entrer dans une école quelconque, cubiste ou autre. Il considérait le cubisme une chose finie, et le surréalisme, qui était à la mode alors, également. Il voulait se libérer de la représentation photographique, et donc du style réaliste de cette peinture, et puisqu’il ne connaissait rien des abstractions de Kandinsky, il n’aurait pas oser à se hasarder à créer quelque chose de complètement “informel”.
Le commissaire de l’exposition, Dieter Schwarz, explique dans le catalogue que la présentation de Jean Fautrier en tant qu’inventeur de l’art informel, en tant que représentant d’une nouvelle forme de peinture non figurative, n’est pas tout à fait exacte, car la création d’un tableau vise quelque chose de réel, mais que ne peut être réduit ni à la réalité en tant que telle, ni à une réalité psychique.
Dieter Schwarz cite le critique italien Giulio Carla Argan qui remarque que la matière de Fautrier n’était plus un moyen de représentation ainsi qu’il l’était pour les Impressionnistes et les Cubistes, mais ni d’expression immédiate comme pour Van Gogh et les Expressionnistes. Fautrier aurait écarté le côté tragique de l’expressionnisme car sa matière, qui semble remodeler un objet et conférer illusoirement à l’image picturale la fixité et le poids du réel, serait en réalité la matière picturale travaillé d’un Chardin.
Dieter Schwarz remarque dans le catalogue que si Fautrier voulait abandonner la mimésis, et passer à une forme non mimétique de la peinture – on on peut se demander s’il l’a réellement fait – , il s’agissait de trouver un rapport à l’objet désormais inexistant, à son “manque” dans le tableau. Quelque chose fut introduit à la place, ce n’était pas la peinture en soi – on pas de la “peinture pure” – mais plutôt quelque chose d’extérieur, que le peintre décrit un peu vaguement comme de l’“auto-expression”. Selon Dieter Schwarz, le poète italien et ami de Fautrier Giuseppe Ungaretti trouva les mots justes lorsqu’il écrivit que l’artiste remplaçait l’imitation de la nature par la “vie vivante de la nature”, par les “cas particuliers nouveaux, inoubliables de la nature en soi.”
Lors du vernissage au Kunstmuseum Winterthur le 25 août 2017, non seulement le directeur du musée, le commissaire de l’exposition et de nombreux prêteurs étaient présents, mais également quelques membres de la famille Fautrier.
L’exposition présente 121 œuvres qui couvrent toutes les évolutions artistiques de Jean Fautrier. Les dessins sont peu représentés car, selon Dieter Schwarz, il jouent un rôle important pour Fautrier et une exposition dédiée uniquement à ses travaux-là s’imposerait. Par contre, son œuvre sculpturale étroite – créée en deux phases autour de 1928 et autour de 1940 – et encore peu connue est presque intégralement représentée à Winterthur.
Muriel Pic cite dans sa contribution au catalogue la poétesse suisse Edith Boissonnas que essaie d’élucider l’énigme Fautrier : “Comment se fait-il que chez un peintre dans le chemin et le vouloir se sont éloignés le plus possible de toute représentation, comment se fait-il que ce soit chez Fautrier que surgisse le réel maudit, d’une manière inattendue, par la couleur, sinon par la forme informelle [?]”
Le Musée d’art moderne de la ville de Paris reprendra l’exposition de Winterthur (légèrement modifiée).
Biographie de Jean Fautrier
Dans une lettre autobiographique de 1944 envoyée au critique et ami Jean Paulhan, Jean Fautrier (1898-1964) raconte sa vie. Elle est reproduite dans le catalogue du Kunstmuseum Winterthur. Cette lettre ainsi qu’une petite biographie à la fin du livre sont les sources principales pour cette biographie.
Jean Fautrier naît hors mariage le 16 mai 1898 à Paris de parents Béarnais. Il est élevé par sa grand-mère maternelle irlandaise. Sa mère mène une vie très mondaine et son père est trop pris par ses entreprises industrielles.
Le père et la grand-mère meurent tous les deux en 1907. Le père est subitement mort d’une crise cardiaque. Toute l’explication qui fut fournie à Jean à l’égard du décès de sa grand-mère était que dans ses accès de rage il lui avait donné un coup au sein et elle mourrait d’un cancer que lui lui aurait provoqué.
A partir de ce jour-là, Jean est remis entre les mains de nurses de diverses nationalités. Il ne voit pratiquement jamais sa mère qui, en 1908, s’installe à Londres pour changer d’ambiance. Le petit Jean reste pendant six mois dans un internat, puis rejoint sa mère.
A Londres après deux années d’études insipides où il a d’aussi mauvaises notes qu’à Paris et où il est menacé d’expulsion du collège même lorsqu’il s’efforce réellement, il comprend qu’il aimerait peindre et que l’art l’attire irrésistiblement. Sa mère le fait entrer dans une école de dessin et de peinture. Après une année de travail il est considéré comme un phénomène et il est reçu à l’Académie Royale de Londres. A 14 ans et un de seulement une vingtaine d’élèves !
Selon ses propres dires, après deux ans, il comprend qu’il n’a plus rien à apprendre entre leurs mains et les choses vont mal. La mère veut qu’il reste à la Royal Academy et qu’il fasse du portrait par la suite, seule chance dit-elle de rendre l’art de peindre rentable.
La mère tombe malade d’une pneumonie. Elle s’installe à Bournemouth où le climat est plus favorable à sa guérison. Jean est confié à un directeur de collège libre. Un beau jour, il annonce qu’il quitte la Royal Academy pour ensuite prendre des cours à l’Université de Londres où les meilleurs peintres modernes enseignent; dans la biographie à la fin du catalogue on mentionne qu’après la Royal Academy, il est élève de Walter Sickert à la Slade School. Dans son texte autobiographique, Jean Fautrier écrit que deux mois à l’Université de Londres lui suffisent pour comprendre que là encore il ne s’agit que de routine et que seulement tout seul il peut en sortir.
Il quitte la vie confortable de la bonne bourgeoisie et se retrouve avec un sentiment d’insécurité. Il fait la connaissance d’un tragédien belge qui le fait connaître tout Londres. Il arrive à vendre un peu de dessins et de peinture et peut prendre un atelier en frais communs avec le Belge et enfin travailler. Il passe deux années très heureuses, fait des recherches et expose avec succès dans les salons avancés. Paris les amis qui l’aident il mentionne le compositeur extra-révolutionnaire et critique extraordinaire Bernard Van Dieren, un homme raffiné dans tous les domaines qui lui apporte plus de lumière que toutes les écoles du monde.
Il aime follement la musique, lis un peu et adore Rimbaud, Villon, Bach, Debussy, Turner et Chardin.
En 1917 il retourne en France en tant que soldat volontaire “pour aider à terminer cette guerre”. Il y est engagé en tant qu’ambulancier. Dans sa lettre à Jean Paulhan, il écrit qu’il avait oublié son pays et éprouvait un sentiment d’horreur ainsi que de l’admiration sans bornes pour le rythme de vie, la lumière et le tempérament si différent en France. En débarquant au Havre, il comprend qu’il ne quittera jamais ce pays.
Quant à la guerre et au front, il mentionne trois années totalement perdues. En 1920 il est libéré du service et s’installe à Paris, d’abord chez le Belge – car sa mère refuse de l’aider ayant voulu faire à sa façon et ne pas s’engager dans la voie du portrait commandé.
Jean Fautrier vit péniblement, obligé de s’employer à d’autres travaux pour parvenir à couvrir ses quelques dépenses. Il ne vend plus rien.
Enfin en 1924 ou 1925, il l’appelle l’époque de la trottinette, où il fait selon ses propres dire une peinture style jeune peinturlure française. les marchands s’emparent littéralement de lui et il peut parcourir son chemin jusqu’en 1932.
Dans la biographie du catalogue on apprend qu’en 1922 déjà, il participe pour la première foi au Salon d’Automne. L’année suivante, il quitte Montmartre pour le quartier de Montparnasse. Il réalise des gravures sur bois et des sanguines. A la galerie Fabre, il fait la connaissance de Jeanne Castel, qui commence à lui acheter des tableaux et que le présente en 1925 au marchand d’art Paul Guillaume. En 1924, Jean Fautrier a sa première exposition personnelle à la galerie Visconti.
Paul Guillaume s’occupe de lui et le laisse faire à sa guise. Il évolue rapidement. De rage, il quitte en un seul jour la peinturlure pour recommencer à zéro. C’est l’époque noire l’année suivante, puis l’époque gris clair, l’année d’après. Il écrit à Jean Paulhan que c’est pendant 2 ans l’époque riche de la peinture épaisse. Puis vient la crise. Du jour au lendemain, il ne vend plus rien.
Dieter Schwarz souligne dans le catalogue qu’il manque en plusieurs points la certitude historique quant à certaines étapes, comme son développement réel et la datation des certaines des ces œuvres. Tant qu’il n’existe aucun catalogue raisonné de l’œuvre peinte, des questions quant à certaines dates et évolutions subsistent.
Dans la biographie du catalogue en apprend que Jean Fautrier quitte Paris en 1934 pour des raisons économiques ; il devient moniteur de ski à Tignes-en-Tarentaise (Savoie), et gère l’hôtel et dancing La Cagna. Il travaille à des pastels et à des tableaux à la détrempe de petits formats.
En 1935, il marie Yvonne Loyer ; ils divorcent en 1942. De 1936 à 1939, il dirige l’hôtel La Grande Ourse à Val d’Isère, une station thermale récemment créée, mais sans succès financier. Il se remet à peindre. En 1937, il n’est pas invité à l’exposition Les maîtres de l’art indépendant au Musée du Petit Palais à Paris.
En 1939, il quitte les montagnes et séjourne, d’abord à Aix, ensuite à Marseille, puis à Bordeaux. En 1940, il retourne à Paris et loge chez Jeanne Castel. Il prend ensuite un atelier situé sur le Boulevard Raspail, où il vit avec Thérèse Malvadi. Il participe de nouveaux aux Salons.
Dans son texte autobiographique, il écrit qu’il n’a guère pu travailler que quelques mois entre 1932 et 1941.
Faisons en retour en arrière : En 1926, il peint les Petits nus (cat. no. 8-12), une série de nus noirs de petit format, qu’il ne varie que très peu. C’est la raison pour laquelle Dieter Schwarz conclut que dans l’œuvre de Jean Fautrier, la répétition, voire la sérialisation est présente dès le début. Même le dessin.
En 1930, les Editions Gallimard lui commandent d’illustrer l’Enfer de Dante avec 34 lithographies, qui doivent être achevées dans un délai de deux ans. Après des essais d’impression, l’éditeur abandonne le projet. En colère, Fautrier détruit les dessins réalisés pour les poèmes de Baudelaire.
Dans son texte autobiographique envoyé en 1944 à Jean Paulhan, Jean Fautrier souligne qu’il n’a pu tout à son aise évoluer que voici trois ans.
En 1943, Jean Fautrier est arrêté par la Gestapo, mais est libéré grâce à la caution versée par l’artiste allemand Arno Breker. Fautrier se refugie d’abord en Savoie, puis retourne à Paris, séjourne à la clinique de Châtenay-Malabry (Hauts-de-Seine) au sud de Paris. Il travaille à des illustrations pour des ouvrages de l’éditeur George Blaizot.
Toujours en 1943, il rencontre Jeannine Aeply ; ils auront ensemble deux enfants, un garçon et une fille.
Après une exposition personnelle à la galerie Alfred Poyet en 1942, il a une exposition personnelle avec des tableaux couvrant la période de 1915 à 1943 à la galerie René Drouin l’année suivante.
Déjà les expositions de 1941 à 1943 un trouvé un grand écho, mais également de la critique. En 1945, cette ligne se poursuit avec l’exposition Otages à la galerie René Drouin 1945 ; elle est rejetée en raison de leur contenu et de leur caractère sériel. La beauté des tableaux qui montrent la souffrance des otages choquent. Certains parlent de mauvais goût.
En 1945, Jean Fautrier s’installe définitivement dans une maison à Châtenay-Malabry. L’année suivante naît son fils Dominique, et sa mère décède. Sa fille Manuelle naîtra en 1949.
La même année, en 1949, Jean Paulhan publie la monographie Fautrier l’enragé, illustrée avec des gravures de l’artiste, qu’il imprime lui-même.
En 1950, avec Jeannine Aeply, Jean Fautrier met au point un procédé de reproduction d’images afin d’assurer sa situation financière. Il produit une série d’Originaux multiples qu’il expose à la galerie Billiet-Caputo à Paris, puis en 1953 à la galerie NRF, et enfin en 1956 à la galerie Hugo à New York ; mais cette expérience se solde par un échec financier.
Après une interruption de plusieurs années, Jean Fautrier renoue avec la peinture en 1954 et expose à la galerie Rive Droite sa série Objetsl’année suivante. En 1956, il montre au même endroit ses Nus. En 1957 suivent ses Partisans, un hommage à la révolte contre le régime communiste qui eut lieu en Hongrie. Il s’en suit une série d’expositions aux Etats-Unis, en Allemagne, en Italie, en Angleterre, au Japon, etc.
En 1960, Jean Fautrier est l’invité d’honneur de la Biennale de Venise, où une vaste exposition lui est consacrée dans le pavillon italien. Il y reçoit le Grand prix de peinture, conjointement à Hans Hartung. En 1961, il reçoit le Grand prix de la VIIe Biennale de Tokyo.
Dieter Schwarz a souligné dans son discours lors du vernissage au Kunstmuseum Winterthur que Jean Fautrier s’est opposé à l’avancée de l’art des Etats-Unis après la Deuxième Guerre mondiale comme peu d’autres artistes européens. Dans ce contexte, il a mentionné l’altercation survenue entre les deux peintres Jean Fautrier et Franz Kline lors de la Biennale de Venise en 1960. Cette anecdote se retrouve également dans le catalogue. Selon le magazine Time, Fautrier aurait déclarer que le travail de Kline “puait”, ce dernier aurait infligé une gifle au peintre français, le faisant tomber ä terre. Le critique John Ashbery continuera sur cette ligne en 1964 à l’occasion de sa recension de la rétrospective dédiée à Fautrier au Musée d’art moderne de la ville de Parisen 1964. A Venise, Kline, emporté par la colère, aurait traité Fautrier de “French cook”.
En 1962, Jean Fautrier rencontre Jacqueline Cousin. Le peintre meurt le 21 juillet 1964, date à laquelle était prévu son mariage avec Jacqueline Cousin.
Dans une lettre à la poétesse suisse Edith Boissonnas, Jean Paulhan décrit la fin de Fautrier : Ils étaient six dans la chambre, le Maire-adjoint de Châtenay, les témoins (dont Jean Paulhan), et Jean Fautrier dans son lit, plus maigre qu’une sauterelle. Alors le téléphone sonne. Jacqueline le prends. C’était la préfecture de police, que Jean avait chargé de ramener sa fille Manuelle, en vacances avec sa maman, Jeanne Aeply. Elle refusait de rentrer. Elle avait montré aux agents une photocopie d’un acte signé par Jean et qui l’autorisait à demeurer tout le mois d’août avec Jeannine. Jean prends un tel accès de fureur et puis de rage, qu’il écume, bave et enfin, tâchant d’avaler écume et ave, s’étouffe. On le transporte aussitôt à l’institut de réanimation, mais c’est trop tard.
Jean Paulhan explique dans sa lettre que, pendant ses trois derniers mois, Jean Fautrier ne vivait que de sa haine pour Jeannine contre qui il avait réuni tout un dossier (pour obtenir contre elle la déchéance maternelle). Jean laisse à Jacqueline 400 millions (d’anciens francs français) qu’il avait déposé dans une banque suisse.
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