Maillol et Sintenis

Mai 28, 2024 at 19:14 908

Du 12 avril au 21 août 2022, le Musée d’Orsay avait présenté l’exposition Aristide Maillol (1861-1944). La quête de l’harmonie. C’était la première rétrospective (notable) depuis l’Hommage à Maillol organisé en 1961 au musée national d’art moderne pour le centenaire de sa naissance.

En 2022, la Collection Oskar Reinhart «Am Römerholz» Winterthour avait envoyé des œuvres importantes à Paris. Deux ans plus tard, le Musée d’Orsay se montre reconnaissant est envoie à son tour des œuvres de qualité en Suisse. De surcroît, les commissaires de l’exposition Maillol au Musée d’Orsay, Antoinette Le Normand-Romain et Ophélie Ferlier Bouat, ont contribué des essais au catalogue du Römerholz, qui apporte ainsi de nouveaux résultats de recherche sur Maillol.

L’ancienne résidence du collectionneur Oskar Reinhart (1885-1965) avec sa galerie annexe abrite une des collections les plus importantes de la Suisse. Elle contient notamment des œuvres impressionnistes de Renoir (11), Monet (1), Manet (4), Edgar Degas (1) et Cezanne (8), mais également de leurs précurseurs tels que Delacroix (4), Courbet (6) et Daumier (14).

Au début de sa carrière, Aristide Maillol se revendique de Courbet. La Collection Oskar Reinhart possède six œuvres de ce peintre. En 1887, Maillol découvre Puvis de Chavannes et, en 1889, Gauguin qui l’entraînent dans une direction artistique radicalement différente. De Gauguin, Oskar Reinhart possède Les Toits bleus de Rouen (1884).

Du 18 mai au 15 septembre 2024, l’exposition La grandeur et la grâce. Maillol et Sintenis au musée Collection Oskar Reinhart «Am Römerholz» Winterthour présente 38 travaux d’Aristide Maillol (1861–1944) ainsi que 22 œuvres de la sculptrice et graveuse allemande Renée Sintenis (1888–1965), une artiste qui a surtout créé des figures animales plutôt de petit format et ludiques, qui ont été très appréciées dans les années vingt et trente. A cette liste, il faut ajouter une toile de Pierre-Auguste Renoir qui montre Ambroise Vollard, le marchand d’art qui a – entre autres – représenté Renoir et Maillol.

Cat. 24: Portrait d’Ambroise Vollard de Pierre-Auguste Renoir, 1908, huile sur toile, 81,6 x 65,2 cm, The Courtauld Gallery, Samuel Courtauld Trust, London. Photo copyright © The Courtauld Gallery, Samuel Courtauld Trust, London.

Dans le catalogue La grandeur et la grâce. Maillol et Sintenis, édité par Katja Baumhoff et Kerstin Richter (commandez l’édition française, acceptez les cookies – nous recevons une commission – chez Amazon.fr ou Amazon.de), le lecteur apprend qu’Ambroise Vollard avait rencontré Pierre-Auguste Renoir peu après l’ouverture de sa première galérie en 1894 et, au tournant du siècle, était devenu l’un de ses galeristes les plus importants.

Le fameux Portrait d’Ambroise Vollard montre le marchand d’art parisien qui tient une petite statuette en terre cuite dans ses mains. Il s’agit de la Jeune fille accroupie (1900; 20,3 x 8 x 10 cm) d’Aristide Maillol, une des premières figures éditées à la fois par Ambroise Vollard («édition Vollard») et Maillol lui-même («édition Maillol»). Dans l’exposition au Römerholz, la toile de Renoir est réunie avec une version en terre cuite de la Jeune fille accroupie de l’«édition Vollard» qui provient originellement de la collection de l’entrepreneur français Auguste Pellerin (1853-1929) et se trouve actuellement dans une collection particulière, courtesy Kunsthandel Wolfgang Werner (Berlin/Brême).

En tout, Renoir a peint 5 portraits de Vollard, en plus d’autres portraits imprimés. Vollard, quant à lui, commanda à Maillol un portrait en buste de Renoir et veilla à ce que les figures de Maillol soient éditées et coulées en bronze.

Le Portrait d’Ambroise Vollard est influence par les tableaux de collectionneurs peints par les maîtres de la Renaissance italienne. Renoir présente son galeriste de façon enjolivée. Vollard est en homme corpulent avec un nez bulbeux, bref un personnage peu attrayant.

Au début du 20e siècle, on aimait à faire valoir à Winterthour que la ville avait un Renoir pour 1000 habitants et possédait la plus forte concentration de sculptures notoires de Maillol hors de France.

En novembre 1916, au milieu de la Première Guerre mondiale, Ambroise Vollard se rendit à Winterthour pour le compte du département de propagande du ministère français des Affaires étrangeres et donna une conférence sur Renoir au Kunstmuseum Winterthur, à l’occasion de l’importante exposition sur l’art moderne français.

Quant à Aristide Maillol et Renée Sintenis, ce qui les unissait, à part le respect mutuel et des projets apparentés, c’était leur mécène commun – Harry Graf Kessler, le fameux comte Kessler (1868–1937).

Cat. 4: La sculpture La Méditerranée d’Aristide Maillol, réalisée vers 1905-1907. Pierre de Lens, 114 x 78 x 107.5 cm. Collection Oskar Reinhart «Am Römerholz», Winterthour. Photo © Sammlung Oskar Reinhart «Am Römerholz», Winterthur.

La Méditerranée d’Aristide Maillol

Dans son essai, Ophélie Ferlier Bouat explique qu’Aristide Maillol a d’abord pratiqué la peinture, la tapisserie et les arts décoratifs avant de s’orienter vers la sculpture. Il s’essaie à la taille de reliefs, puis de statuettes en bois (cat. 19 et 20). Aussitôt, il aborde le modelage dans un format monumental et conçoit des sculptures décoratives pour le plein air. Il entreprend ainsi un groupe de «femmes en train de se battre» (détruit) et imagine un ensemble de statues pour un projet de monument pour Emile Zola (1902-04, non réalisé).

De longue date, Maillol s’intéresse au sujet d’une femme assise (fig. 1 dans le cat.). Il explore en particulier le motif de la baigneuse, ce qui le conduit à son œuvre emblématique Femme à la vague (vers 1895, huile sur toile, collection particulière) et trouve son aboutissement dans le grand relief Femme au bain, qui présente des liens formels avec la future Méditerranée (fig. 2).

La biographe d’Aristide Maillol, Judith Cladel, écrit que, vers 1903-04, l’artiste «se lance avec audace dans l’élaboration d’une figure plus grande que nature, une femme drapée, assise, une jambe repliée sous le corps, la tête dressée. Il la nomme La Nymphe.» Son épouse Clotilde pose pour les sculptures de cette période.

Le collectionneur Karl Ernst Osthaus en commande une version en pierre pour son parc de Hagen (Sérénité, fig. 3, détruite). Le buste redressé se tourne vers son genou replié, le bras droit soulevant une draperie. Simultanément, Maillol travaille à une femme nue assise, grandeur nature, davantage ramassée. Selon Judith Cladel, dès le printemps 1900, l’artiste ramène à Paris un premier état de celle qu’il nomme tout bonnement Femme accroupie.

En 1937, sa modèle Dina Vierny assiste à l’entretien entre Maillol et Cladel. Elle prend des notes et rapporte les propos de Maillol: «J’ai commencé à matérialiser La Méditerranée en sculpture en 1899-1900. Le premier grand essai arriva en 1900. J’ai fait deux autres essais qui ont été cassés, mais un grand torse avec tête fragmentaire […] me plut. Je l’ai conservé dans mon atelier […] Ce grand torse avec tête obtenu en 1902 m’a aidé à construire la tête définitive. Quand Kessler visita l’atelier en 1904, il vit naturellement cette grande œuvre fragmentaire, qu’il comprit immédiatement. J’étais en trains de chercher la position des jambes. C’était infernal. Je voulais échapper au réalisme.»

Dans son Journal, Harry Graf Kessler relate cette première visite à Marly, le 21 août 1904. Il mentionne la volonté de Maillol de réaliser une statue grandeur nature d’une petite Femme accroupie et évoque le projet de transcription en sculpture d’une esquisse dessinée de la future Méditerranée. La version définitive de Méditerranée ne commence donc véritablement qu’après cette première visite de Kessler.

A une phase intermédiaire de la sculpture pourraient correspondre une terre crue de la collection Hahnloser (cat. 9) et une terre cuite aujourd’hui au Petit Palais (cat. 10). Ophélie Ferlier Bouat note qu’au Salon d’Autonme de 1905, Aristide Maillol présente la première fois publiquement le plâtre de son nu assis grandeur nature sous le nom laconique de Femme. Kerstin Richter note que le titre La Méditerranée n’apparaît qu’en 1923.

Dans leurs articles au sujet du Salon d’automne de 1905, les critiques ont mis en évidence la distance de Maillol par rapport à l’art d’Auguste Rodin, ce qui a contribué à la percée de Maillol.

Kerstin Richter écrit dans le catalogue du Römerholz qu’Aristide Maillol était continuellement à la recherche de l’équilibre et de l’harmonie des masses avec une réduction constante, qu’il cherchait l’idée universelle derrière la représentation du modèle. Harry Graf Kessler, voyait en Maillol un moderne intuitif et archaïque.

Aristide Maillol a commencé en autodidacte en taillant sa première pierre, ce qui l’a amené à la fameuse Méditerranée (cat. 4). A Berlin, elle ornait le salon de Harry Graf Kessler, son commanditaire. L’effet de douceur à la surface de la sculpture est dû au matériau choisi. Kerstin Richter écrit que la pierre de Lens est un calcaire qui vient principalement de la région Languedoc-Roussillon et qui a été largement utilisé par les sculpteurs français au 19e et au 20e siècles. Maillol appréciait sa couleur blanche, sa texture apparente et son grain fin. Pendant de longues années, La Méditerranée trouva sa place idéale dans le jardin d’Oskar Reinhart au Römerholz. C’est dans le parc que la sculpture a trouvé sa patine actuelle. Aujourd’hui, elle n’est plus exposé aux éléments.

A l’été 1907, Harry Graf Kessler se rendit dans l’atelier d’Aristide Maillol à Marly en compagnie du plus célèbre sculpteur français, Auguste Rodin (photo de cette visite dans le catalogue; fig. 5). Kessler note que Rodin fait tourner La Méditerranée dans tous les sens pour mieux la contempler et en loue chaleureusement le « modèle ». Et Aristide Maillol explique à Kessler: «J’y ai pensé pendant des années, et quand j’ai voulu la faire, il s’est trouvé que j’avais des dessins de tous les côtés, je n’ai plus eu besoin que de les rassembler C’est pour ça qu’elle exprime si bien ma conception, parce que je l’ai mûrie. J’aurais pu m’en tenir à cette figure-là de la femme.»

Au Römerholz, le point d’orgue de l’exposition est constitué par trois grandes versions de La Méditerranée réunies dans une même salle: La version en plâtre (111 x 116 x 80 cm) provenant d’une collection privée, Courtesy Fondation Dina Vierny – Musée Maillol, Paris ; la version en marbre (110,5 x 117,5 x 68,5 cm) réalisée en 1927 et provenant du Musée d’Orsay, Paris; ainsi que la version en pierre calcaire réalisée vers 1905-1907 (Pierre de Lens, 114 x 78 x 107. 5 cm), réalisée pour Harry Graf Kessler et qui se trouve depuis 1931 dans la Collection Oskar Reinhart «Am Römerholz», car le mécène Kessler s’est trouvé en difficulté financière après le krach boursier de 1929 et la crise économique mondiale qui s’en est suivie et a dû se séparer d’œuvres d’art.

L’Etat français ne s’est intéressé que tardivement à Aristide Maillol. Un exemplaire de La Méditerranée en marbre a été commandé par l’Etat français par décret le 28 août 1923. Lorsque le ministre de l’Education nationale et des Beaux-Arts Léon Bérard passa cette même commande à Léonce Bénédite, conservateur du musée du Luxembourg, afin de renforcer la présence de Maillol au musée des Artistes vivants, l’artiste avait déjà 61 ans. Aristide Maillol préférait d’ailleurs la pierre au marbre, auquel il reprochait «une sorte d’éclat excessivement riche», comme le racontait son ami Pierre Camo en 1950 dans son livre Maillol, mon ami.

Ophélie Ferlier Bouat note dans sa notice du catalogue Römerholz consacrée à la version en marbre de La Méditerranée que, pour cette version, Aristide Maillol a légèrement modifié les volumes: le torse est devenu plus géométrique et le volume a été simplifié. L’œuvre porte les marques des années 1920, période à laquelle elle a été réalisée.

Cat. 46: La petite sculpture Sich kratzendes Fohlen de Renée Sintenis, 1918, bronze, 6.8 x 8.5 x 4.5 cm, Collection Oskar Reinhart «Am Römerholz», Winterthur. Photo copyright © Sammlung Oskar Reinhart «Am Römerholz», Winterthur.

Renée Sintenis et ses figures animalières

La sculptrice, graphiste et médailleuse Renate Alice Sintenis est d’origine huguenote. Son père était juriste. Le nom de famille serait dérivé de Saint-Denis. Née à Glatz (alors en Basse-Silésie, aujourd’hui Pologne), elle arrive à Berlin à l’âge de 17 ans, où son père a trouvé un emploi de juriste à la Cour d’appel (Kammergericht). De 1907 à 1912, elle étudie à l’Institut d’enseignement du Musée des arts et métiers de Berlin, où les femmes étaient admises, contrairement à l’Ecole supérieure des beaux-arts. C’est à cette époque qu’elle change son prénom en Renée.

A la Kunstgewerbeschule, Renée Sintenis fait la connaissance du peintre, typographe et illustrateur Emil Rudolf Weiss, qui a 13 ans plus qu’elle. Ils se marient en 1917 (fig. 4). Il meurt en 1942. Cette perte ainsi que le régime nazi et la Deuxième Guerre mondiale l’affectent beaucoup.

En 1933, son mari Emil Rudolf Weiss perd son poste universitaire après avoir vivement critiqué le régime nazi. En 1937, Renée Sintenis est renvoyée de l’Académie des arts de Prusse en raison des origines juives de l’une de ses grands-mères. Huit de ses œuvres dans les musées allemands sont confisquées lors de l’action «Art dégénéré» de 1937.

La destruction de son atelier berlinois en 1945 se répercute sur son apparence extérieure – dont les autoportraits tardifs sont un témoignage poignant. En 1941, le régime lui interdit de couler des bronzes. Mais elle reste fidèle à la ville de Berlin, qui l’inspire. Ses figures animalières restent jeunes et dynamiques comme au premier jour, selon la contribution au catalogue Römerholz d’Angelika Affentranger-Kirchrath.

Aujourd’hui, Renée Sintenis est peu connu du grand public bien que son adorable ourson (Ours d’or/Goldener Bär, Ours d’argent/Silberner Bär) soit le symbole de la Berlinale, le Festival international du film de Berlin.

Renée Sintenis s’est d’abord fait connaître comme créatrice de petites figures féminines. Ce sont toutes des femmes très minces, d’une silhouette élancée – comme l’artiste elle-même – dans des poses gracieuses, souvent dansantes. Elle a commencé sa carrière de sculptrice animalière en 1915 et est restée fidèle au genre toute sa vie. Elle élevait des chiens et était une cavalière passionnée. Outre les biches, les boucs, les éléphants et les ours, elle s’est toujours consacrée à la représentation de chiens et de chevaux.

Avec son 1.80 mètre, Renée Sintenis dominait la plupart de ses contemporains. Toujours vêtue à la mode, les cheveux courts, cette «géante aux allures de garçon» se faisait remarquer et inviter lors de fêtes et de soirées. La Garçonne devint un modèle recherché par des photographes comme Frieda Riess, Hugo Erfurth ou Jaro von Tucholka (fig. 1).

Renée Sintenis rencontra le pionnier de la sculpture animalière autonome, l’allemand August Gaul, qui vivait également à Berlin. Ses chats, oiseaux, singes et ours sont également pour la plupart de petit format, frappent par leu vivacité vibrante. Angelika Affentranger-Kirchrath explique que ses sculptures animalières sont souvent plus statiques et homogènes que celles de Renée Sintenis. Elles sembles plus classiques et plus sérieuses que les jeunes animaux fougueux de la sculptrice.

Angelika Affentranger-Kirchrath souligne que, formellement, les sculptures animalières de Renée Sintenis s’inscrivent directement à la suite de celles d’August Gaul, mais artistiquement parlant, elles sont avant tout proche des œuvres de Franz Marc. Lui aussi voyait l’animal comme une créature non domestiquée, vivant en harmonie avec la nature.

Cette proximité avec les travaux de Franz Marc est particulièrement visible dans l’œuvre à la pointe sèche sur papier vélin d’avant 1944: Zwei Fohlen (Deux poulains; cat. 50, 42 x 33,3 cm), qui vient du Städel Museum, Francfort-sur-le-Main.

C’est grace au mécène commun, le comte Kessler, que Maillol et Sintenis se rencontrent en 1930. Dans son Journal, Harry Graf Kessler note le 15 juillet 1930 qu’Aristide Maillol ne tarissait pas d’éloges pour les œuvres de Renée Sintenis qu’il découvrit au Kronprinzenpalais de Berlin: «C’est une grande artiste. Tout ce qu’elle fait est jeune.»

Dans ce contexte, Angelika Affentranger-Kirchrath souligne à juste titre que la jeunesse est en effet une caracteristique essentielle des figures de Sintenis, et même chez Maillol on peine à trouver un personnage d’un âge avancé (fig. 2).

Le poète Rainer Maria Rilke, qui fut un temps secrétaire et traducteur d’Auguste Rodin, fut un fervent promoteur des œuvres de Renée Sintenis. Ses recommendations portèrent des fruits: le baron Karl von der Heydt devint bientôt l’un des collectionneurs des ses œuvres en Allemagne, et Oskar Reinhart en Suisse. Renée Sintenis fut aussi mis en lien avec le galeriste important Alfred Flechtheim qui contribua à lui assurer des débuts fulgurants. En outre, le médiateur et auteur à la fois éloquent et influent, Julius Meier-Graefe, fut lui aussi conquis tant par l’artiste que par son art.

Angelika Affentranger-Kirchrath note que, fait inhabituel pour une sculptrice, elle ne cherchait pas à capturer le modèle avec de larges traits picturaux ou lui donner du volume avec des effets d’ombre et de lumière. Elle dessinait avec des lignes volontaires mais délicates.

En sculpture, elle traitait ses modèles différemment. Elle les façonnait en ronde-bosse et accordait la même signification à chaque angle de vue. Le travail avec la masse de cire (ou parfois avec de l’argile) était précédé de nombreuses observations et de quelques études devant le modèle vivant. Parfois, elle photographiait les animaux. Mais la vue sur la nature la dérangeait plutôt: «Je n’aime pas travailler dehors, cela me distrait et me perturbe. En berlinois, je dirais: ça me rend complètement paf [Det macht mich ganz besoffen].»

Vue de l’exposition La grandeur et la grâce. Maillol et Sintenis. Ici la salle avec les trois versions de La Méditerranée d’Aristide Maillol, entourés par des chefs-d’œuvres de la Collection Oskar Reinhart «Am Römerholz» tels que Dortoir de l’hôpital d’Arles (1889, huile sur toile, 72 x 91 cm) et La Cour de l’hôpital d’Arles (1889, huile sur toile, 73 x 92 cm) de Vincent van Gogh. Photo copyright © Sammlung Oskar Reinhart «Am Römerholz», Winterthur.

Vue de l’exposition La grandeur et la grâce. Maillol et Sintenis. Ici la salle avec les deux sculptures de Renée Sintenis Grosses grasendes Fohlen (1929, bronze, 75 × 65 × 26,5 cm) de la Collection Oskar Reinhart «Am Römerholz» et Grosses Vollblutfohlen (1940, bronze, 115 × 88 × 17 cm), qui appartient à la ville de Herten gehört. Ces deux figures animalières sont entourées pares chefs-d’œuvres de la Collection Oskar Reinhart «Am Römerholz» tels que (tout à gauche) le Portrait de Mateu Fernández de Soto (1901, huile sur toile, 61,3 x 46,5 cm) de la période bleue de Pablo Picasso. Photo copyright © Collection Oskar Reinhart «Am Römerholz», Winterthur.

Une visite de la Collection Oskar Reinhart «Am Römerholz» à Winterthour vaut toujours la peine, car 207 chefs-d’œuvres de l’histoire de l’art y sont exposés. Quant à l’exposition temporaire La grandeur et la grâce. Maillol et Sintenis,  c’est la dernière avant que le musée ne ferme ses portes pour rénovation.

Les illustrations de textes classiqus par Aristide Maillol et Renée Sintenis pour le comte Kessler

Au long de sa vie, le mécène Harry Graf Kessler a créé une collection de 150 œuvres d’impressionistes et post-impressionistes, dont des travaux de Georges Seurat, Pierre-Auguste Renoir, Pierre Bonnard et Maurice Denis. En outre, il possédait plus de 40 œuvres plastiques et graphiques de Maillol.

En 1904, le comte Kessler fait la connaissance de Maillol. Peu de temps après leur première rencontre, il lui commande la grande statue en pierre La Méditerranée (cat. 4). Dès leur troisième rencontre, toujours à l’été 1904, le mécène proposa à l’artiste d’illustrer Les Eglogues de Virgile.

Fondée en 1913, la Cranach-Presse (à Weimar) du richissime Kessler réalise toutes sortes de livres illustrés. Mais Les Eglogues de Virgile ne seront publiés qu’en 1926 (!), illustrés avec 43 gravures sur bois de Maillol.

Kerstin Richter explique que l’approche hautement esthétique que Kessler avait de ces éditions était marquée par le mouvement Arts and Crafts. Le comte cherchait ainsi une harmonie entre le texte, la typographie, l’illustration et le papier. Pour la typographie fut développée une police proche de la célèbre Jensen Antiqua de 1470. L’impression était supervisée par l’éminent typographe Emery Walker ainsi que par Eric Gill qui coupa les caractères. Même le papier Vergé-Montval pur et non blanchi fut conçu en interne à partir de 1910 et produit dans une papeterie spécialement construite à cet effet.

Kerstin Richter racconte que la Cranach-Presse a toujours travaillé à perte. Des éditions prévues avec Maillol, Les Eglogues de Virgile fut la seule que Kessler put réaliser. En 1937, le comte dut finalement vendre sa presse. La Georgica de Virgile et es les Odes d’Horace, dont Maillol concevait déjà les illustrations en 1918, ne furent publiées chez Gonin qu’à la fin des années 1930.

Angelika Affentranger-Kirchrath écrit que l’approche subtile de l’animal par Renée Sintenis ne se manifeste nulle part mieux que dans ses dessins et ses graphiques. Sa vaste œuvre graphique ne comprend pas seulement des études préparatoires aux sculptures, mais des œuvres d’art autonomes, créées parallèlement ou après les sculptures.

L’un des points de contact entre Aristide Maillol et Renée Sintenis est la gravure sur bois qu’ils ont conçue en 1930 pour illustrer le texte antique Daphnis et Chloé de l’écrivain grec Longos (latinisé : Longus) pour Harry Graf Kessler. Dans ce projet, les univers thématiques du nu féminin et de la représentation animale se recoupaient. En comparant directement les illustrations, on constate qu’Aristide Maillol choisissait des contours doux et se concentrait sur l’idylle bucolique, tandis que les travaux de Renée Sintenis étaient plus âpres et plus anguleux et qu’elle intégrait en outre des scènes dramatiques.

A Winterthour, à part le Römerholz, la Villa Flora possède également des œuvres de Maillol

Le couple de collectionneurs Arthur et Hedy Zahnloser collectionnait également des œuvres de Maillol. La Villa Flora en témoigne aujourd’hui. Harry Klewith explique dans son essai que les Hahnloser acquièrent dans un premier temps des tabelaux de Félix Vallotton, ami de Maillol, et en 1913, à la galerie Ambroise Vollard, les premières petites sculptures de Maillol, dont un bronze de Léda et de la Baigneuse se coiffant. Viennent ensuite des sculptures notoires, de grande taille, telles Vénus au collier, Pomone, L’Eté et Flore. Sans tarder, vers 1916, ils font redessiner par les architectes Rittmeyer & Furrer le jardin de leur Villa Flora pour pouvoir y montrer leurs sculptures (fig. 1). Douze dessins et quatre sculptures suuplémentaires sont acquis ensuite, certains directement auprès de l’artiste.

Harry Klewith souligne que les Hahnloser maintiendront longtemps le contect personnel avec Maillol, qui passe plusieurs jours à la Villa Flora en septembre 1933 et rend alors également visite à Oskar Reinhart dans sa villa «Am Römerholz». Ici, il admire sa Femme accroupie se tenant les deux pieds (cat. 25), Léda (cat. 22) et La Méditerranée (cat. 4), dans le jardin sous un marronier, ainsi que le Grand Torse féminin, étude pour L’Action enchaînée (cat. 34), que Reinhart avait installé côté ouest de la villa avant de la déplacer ultérieurement sur la pelouse réctangulaire adjacente à la maison au sud.

Ce ne sont que quelques éléments au sujet d’une exposition fabuleuse, présentée dans un cadre de rêve.

Le catalogue, édité par Katja Baumhoff, Kerstin Richter, Sammlung Oskar Reinhart „Am Römerholz“ Winterthur, avec des contributions scientifiques par sept spécialistes: La grandeur et la grâce: Maillol et Sintenis. Hirmer, 2024, 144 pages avez 100 illustrations en couleur, 21 x 22 cm. Commandez l’édition française (acceptez les cookies – nous recevons une commission) chez Amazon.fr ou Amazon.de.

Edition allemande / Deutsche Ausgabe: Von Grösse und Grazie. Maillol und Sintenis. Mit Beiträgen der sieben Spezialisten Angelika Affentranger-Kirchrath, Katja Baumhoff, Ophélie Ferlier-Bouat, Harry Klewitz, Antoinette Le Normand-Romain, Kerstin Richter und Fabian Steiner. Hirmer Verlag, 2024, 144 Seiten mit 100 Abbildungen in Farbe, 21 x 22 cm, Klappenbroschur. Den Katalog zur Ausstellung bestellen (Cookies akzeptieren – wir erhalten eine Kommission) bei Amazon.de.

Le catalogue de la Collection Oskar Reinhart en allemand: Sammlung Oskar Reinhart «Am Römerholz», Winterthur. Gesamtkatalog. Herausgegeben von Mariantonia Reinhard-Felice, Sammlung Oskar Reinhart «Am Römerholz», im Auftrag des Bundesamts für Kultur und in Zusammenarbeit mit dem Schweizerischen Institut für Kunstwissenschaft. Schwabe Verlag, Basel, deutsche Ausgabe 2003, Leinen mit Schutzumschlag, 25 x 30 cm, 712 Seiten mit 237 Farb- und 251 Schwarzweiss-Abbildungen. Den Gesamtkatalog der Sammlung bestellen (Cookies akzeptieren – wir erhalten eine Kommission) bei Amazon.de.

Pour faciliter la lecture, les citations et citations partielles dans cette critique d’exposition ne se trouvent pas entre guillemets.

Critique d’exposition et de catalogue d’exposition ajouté le 28 mai 2024 à 19:14 heure de Paris.