Pétain

Oct 14, 2018 at 11:40 2138

La biographie de Bénédicte Vergez-Chaignon

Pétain est un nom emblématique de l’histoire française du 20ième siècle. En tant que vainqueur de Verdun, il reste un héros dans l’hexagone, en tant que collaborateur d’Adolf Hitler, il personnifie la lâcheté de la France. Pour Charles De Gaulle, le Pétain qu’il admirait est mort en 1925, l’année de son intervention au Maroc.

Dans sa volumineuse biographie du maréchal (Amazon.fr), l’historienne Bénédicte Vergez-Chaignon se dédie également à cette question ainsi qu’à mille autres. Pour son livre, elle a fouillé de nouvelles sources, y inclut les papiers de Paul Painlevé, ministre de la Guerre à plusieurs reprises, de Gaston Henry-Haye, de Raphaël Alibert, du ministre de la Justice Joseph Barthélemy, du procureur Monet qui a prononcé les réquisitions contre Pétain à son procès ainsi que du président de la République Vincent Auriol.

Il est impossible de résumer un tel ouvrage en quelques phrases. En bas quelques impressions.

Bénédicte Vergez-Chaignon : Pétain. Perrin, août 2014, 1040 pages. Commandez ce livre chez Amazon.fr. Des livres au sujet de Pétain chez Amazon.fr.

Bénédicte Vergez-Chaignon note bien au début de sa biographie que “Philippe Pétain est un homme du XIXe siècle, devenu un acteur majeur des deux principaux drames du XXe siècle en France.

Philippe Pétain est né le 24 avril 1856 à Cauchy-à-la-Tour dans une famille modeste. Il est le quatrième de cinq enfants d’un cultivateur de ce petit village du Pas-de-Calais. Sa mère meurt lorsqu’il n’a qu’un an et demi. Son père se remarie très vite et aura trois autres enfants. Comme ses sœurs du premier mariage, le petit Philippe n’a pas sa place dans cette nouvelle famille. Il est accueilli par son grand-père et sa grand-mère paternels. Par la suite, le maréchal ne parlera pratiquement jamais de ses origines. Il exige même des ses frères et sœurs la plus grande discrétion, “de mettre ces journalistes à la porte”. De son vivant, pratiquement rien ne se sait sur ses origines. Même le biographe “quasi-officiel” de Pétain, le général Laure, se trompe sur le nom du village d’origine du maréchal qui est souvent cité comme Cauchy-la-Tour, voire Conchy-la-Tour. Même la carte d’identité établie pour Pétain à Vichy en 1943 porte Cauchy-la-Tour comme lieu de naissance. Certes, c’est un détail, mais un qui prouve que les faits ne pouvaient être établi avec rigueur et des recherches biographiques poussées n’eurent lieu qu’après la mort du maréchal. Selon Bénédicte Vergez-Chaignon, “cet anonymat … facilite l’identification ou la projection”.

“… Pétain entretient avec sa famille des relations irrégulières et de plus en plus distantes.” Il refuse tout népotisme, ce qui est à son honneur, selon sa biographe.

En 1876, Philippe Pétain réussit le concours de l’école militaire de Saint-Cyr, classé 403e sur 412. Par la suite, il réussit de remonter au classement, notamment grâce à son sérieux, son talents sportif et ses aptitudes au dessin et à la cartographie. Bénédicte Vergez-Chaignon souligne, qu’en 1877 et 1878, Saint-Cyr est encore le domaine des classes moyennes, malgré une percée de la noblesse et de la haute bourgeoisie.

Il fait carrière à l’armée. Après 35 années de service, certains disent qu’il n’ait été que colonel. Bénédicte Vergez-Chaignon rétorque que l’on “pourrait dire aussi bien qu’il est quand même colonel.” Elle note qu’à la fin du XIXe siècle, l’armée française compte 7000 capitaines, 1800 chefs de bataillon, 400 lieutenants-colonels, 390 colonels et 300 généraux. Il est vrai qu’il n’a pas franchit le dernier pas “… (9% ce ses condisciples de Saint-Cyr seront généraux), mais l’immense majorité n’as pas fait mieux…”

Il se distingue dans les deux années de la Grande Guerre. Cependant, ce n’est qu’en février 1916 que son statut et sa notoriété changent “quand il se voit confier le commandement des armées à Verdun.” Grâce à son succès, il devient un homme public à l’âge de 60 ans. Puis, de janvier 1917 à novembre 1918, il est le commandant en chef des armées françaises sur le front français. Il trouve des solutions (concrètes) en situation de crise. Il se démarque après la guerre par son refus décrire des mémoires. Ce sont les autres qui font l’éloge du vainqueur de Verdun. Il devient maréchal en 1918, puis, en 1931, il est reçu à l’Académie française.

A quasiment 78 ans, le 6 février 1934, il ne part pas à la retraite méritée, mais devient ministre de la Guerre (jusqu’en novembre). C’est la crise en France. Une guerre civile ne semble pas impossible. On a besoin d’un homme comme lui qui a du prestige. En même temps, il répète en privé à ses amis intimes qu’il hait la politique et les politiciens.

Pourtant, à la suite de la démission des ministres radicaux en novembre, il aimerait continuer et se montre prêt à prendre le portefeuille de l’Education nationale en plus de la Guerre, ce qui “traduit son ignorance, voire son mépris des usages qui régissent ls majorités parlementaires.” Il dit qu’il ne fera plus jamais partie d’un gouvernement. Pourtant, six mois plus tard, il accepte un ministère d’Etat dans le gouvernement formé par le président de la Chambre, Ferdinand Bouisson, mais qui ne tient que trois jours parce que Bouisson n’obtient pas l’investiture sur un programme déflationniste. Bénédicte Vergez-Chaignon trouve curieux que Pétain accepte une telle proposition sans chances de succès. En 1936 par contre, il refuse d’entrer dans le gouvernement formé par Albert Sarraut.

Ces interviews entre les deux guerres sont rares. En 1936, Pétain se prononce au sujet du pacte franco-soviétique: “En tendant la main à Moscou, nous l’avons tendue au communisme et nous avons amené à lui quantité de braves gens de chez nous qui, jusqu’alors, s’en défendaient. Nous avons fait entrer le communisme dans le cercle des doctrines acceptables. Nous aurons vraisemblablement l’occasion de le regretter.”

Pétain est moins clairvoyant sur la stratégie militaire à adopter, contrairement à Charles de Gaulle, qui avait bien compris l’importance des blindés (Panzer) dans une future guerre, mais qui prêchait dans le désert. Curieusement, Bénédicte Vergez-Chaignon nous parle des idées de Pétain, qui “prône la défense” et “dénigre les blindes” en 1936, sans mentionner de Gaulle et sa juste compréhension de l’importance des blindés.

Par contre, Philippe Pétain ne se fait pas d’illusions dans les années 1930s: la guerre avec l’Allemagne est inévitable. Il voit la France seule. Il prévoit une guerre courte. Il veut un commandement unique, non-pas trois armées, chacune dotée de leur commandement. Bénédicte Vergez-Chaignon note le “paradoxe que le maréchal Pétain demeure l’autorité de référence de l’armée, qui en a imprégné la doctrine et les choix, qui possède encore une emprise sur les personnes, mais qu’il lui est impossible de faire progresser son projet de réforme.” Lorsque l’Allemagne annexe l’Autriche en 1938, il demande selon Bénédicte Vergez-Chaignon que “les usines d’armement français se mettent à travailler vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Cette simple remarque, irréaliste, alors que la loi sur la semaine de 40 heures est l’une des grandes conquêtes du Front populaire, montre en tout cas qu’il est absolument sûr que la guerre est imminente.“

Au moment de l’invasion allemande en 1940. le maréchal Pétain s’oppose à la poursuite de la guerre qu’il juge perdue. Il “croît en l’impérative nécessité d’une reconciliation franco-allemande.” Le 22 juin 1940, il fait signer l’armistice avec l’Allemagne. En tant que chef de l’Etat français du 11 juillet 1940 au 20 août 1944,  il déplore dans un entretien avec Hitler en 1940 la déclaration de guerre faite par la France en septembre 1939, en saluant le principe de collaboration et en fustigeant l’Angleterre et de Gaulle, heureusement condamné à mort par un tribunal militaire en son absence. Ensuite, Pétain parle à Hitler de son idée de la reconquête de territoires coloniaux dissidents. Le Führer conclut de cette conversation qu’il n’y aura pas de collusion entre Pétain et de Gaulle.

Bénédicte Vergez-Chaignon consacre un chapitre de quelques 45 pages à la sombre face de la Révolution nationale que constitue l’antisémitisme du maréchal. Elle souligne que presque rien n’est connu sur les opinions de Philippe Pétain à l’égard des Juifs avant 1940. Ce sujet est absent même de sa correspondance privée. Cependant, avec la Révolution nationale du maréchal de 1940, “les différentes catégories de mauvais Français, tout comme les étrangers qui profitent indûment du pays”, doivent être mis “hors d’état du nuire”: les Juifs, français ou non, les francs-maçons, les communistes, les étrangers. Philippe Pétain demande “l’épuration de nos administrations”, sans allusion directe aux Juives, mais ils sont évidemment visées comme les autres groupes qui nuisent. Le statut des Juives se dégrade rapidement avec des lois antisémites adoptées. Rafles et déportations suivent.

A juste titre, Bénédicte Vergez-Chaignon n’oublie pas de mentionner à la fin de son livre qu’un certain François Mitterrand fit la première fois déposer une gerbe pour Pétain en 1984, le “jour où il prit la main du chancelier Kohl à Verdun. Il renouvela son geste en juin 1986, pour le soixante-dixième anniversaire de la bataille de Verdun, puis le répéta tous les ans, le 11 novembre, à partir de 1987. Le scandale éclata en 1992, quand, au moment du cinquantenaire de la rafle du Vél’ d’Hiv’, le président s’abstint d’imputer des responsabilités à l’Etat français dans la déportation des Juifs de France.” La biographe remarque que Mitterrand “avait travaillé à Vichy, il avait reçu la francisque, il avait été reçu en audience par le chef de l’Etat : maréchaliste un jour, maréchaliste toujours.”

En 1944, Pétain est emmené contre son gré par les Nazis en Allemagne. En 1945, il rentre, à travers la Suisse, en France, où il est condamné à mort, notamment pour haute trahison. Sa peine est commue en réclusion à perpétuité. Etant donné l’état de santé du maréchal, il est assigné à résidence en 1951. Il meurt le 23 juillet 1951.

La biographie de Bénédicte Vergez-Chaignon montre toutes les facettes de Philippe Pétain. Il a été adulé de son vivant, au moins jusqu’à son exil en Allemagne, et même au-delà. La France n’a pas fini de s’interroger sur ce personnage comme sur son histoire, dans laquelle le maréchal a servi comme bouc-émissaire, car la collaboration et l’antisémitisme n’étaient pas limitées au vainqueur de Verdun.

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