Photographier en Normandie

Août 11, 2024 at 14:22 991

Du 25 mai au 22 septembre 2024, le Musée d’art moderne André Malraux (MuMa) au Havre montre l’exposition Photographier en Normandie 1840-1890. Un dialogue entre les arts. Le MuMa présente près de 200 chefs-d’œuvre photographiques ainsi que des peintures.

En 1874, Claude Monet expose sa toile Impression, soleil levant – une vue du pont du Havre prise en 1872 depuis une chambre de l’hôtel de l’Amirauté – dans l’ancien atelier du photographe Félix Nadar au 35, boulevard des Capucines à Paris. Cette toile montrée publiquement pour la première fois à l’exposition de la Société Anonyme des artistes peintres, sculpteurs, graveurs, etc. donne naissance au terme Impressionnisme.

Edouard Philippe, maire du Havre, écrit à juste titre dans l’avant-propos du catalogue d’exposition: Ce nouvel art de la lumière qu’est l’impressionnisme doit beaucoup à la Normandie. Pour célébrer les 150 ans de l’impressionnisme, l’exposition Photographier en Normandie (1840-1890). Un dialogue pionnier entre les arts donne à voir ces correspondances normandes entre peinture et photographie.

Le catalogue d’exposition du MuMa Photographier en Normandie 1840-1890. Un dialogue entre les arts, in fine Editions d’art, 2024, 320 pages avec 273 illustrations, 22,5 x 28,5 cm, ISBN: 9782382031759. Commandez le catalogue (acceptez les cookies – nous recevons une commission, prix identique) chez Amazon.fr.

Edouard Philippe soulige qu’avec une même envie d’expérimenter de nouveaux points de vue et de nouvelles techniques, Hippolyte Macaire, Gustave Le Gray ou Jules Camus dialoguent avec Eugène Boudin ou Claude Monet en renouvelant profondément le regard que nous posons sur nos labeurs et nos loisirs, nos mutations urbaines et nos variations météorologiques. Si l’impressionnisme entretint des liens privilégiés avec la Normandie, l’essor de la photographie doit donc tout autant à la baie de Seine.

La Normandie était donc la terre promise des premiers photographes. Dans son essai, Sylvie Aubenas se dédie à ce thème. Elle est archiviste paléographe, conservatrice générale des bibliothèques, directrice du département des Estampes et de la photographie de la BnF, spécialiste de la photographie du XIXe siècle.

En 1989 déjà, une exposition fondatrice attirait l’attention du public et des chercheurs sur le rôle joué par la Normandie dans les premières décennies d’existence de la photographie. Photographie, les débuts en Normandie fut présentée en Seine-Maritime à la Maison de la culture du Havre, au CAC Jean Renoir de Dieppe, au centre Saint-Exupéry de Fécamp et à l’hôtel de région de Rouen.

Dans le cadre de la cinquième édition du festival Normandie Impressionniste, la présente exposition renouvèle l’éclairage sur le foyer normand de photographie. Photographier en Normandie (1840-1890). Un dialogue pionnier entre les arts adopte le même point de vue que celle de 1989, en ce qu’elle embrasse les photographies réalisées en Normandie, par des photographes locaux ou horsains, elle ajoute une dimension à peine évoquée en 1989 et désormais inévitable, le dialogue entre photographie et art pictural.

Dans leur introduction, Sylvie Aubenas, Benoît Eliot et Dominique Rouet notent que peinture et photographie ont entretenu des liens étroits, sous-tendus par un esprit d’invention, d’émulation et d’innovation qui présida au renouvellement des modes de représentation et aux possibilités techniques de multiplication des images au XIXe siècle.

Les auteurs soulignent: Tandis que, adoptant les codes picturaux, des photographes cherchent à valoriser leur art sur les cimaises réservées aux tableaux, accueillent leur clientèle, tels Warnod au Havre ou Gasc à Dieppe, par des expositions de peintures, des graveurs comme Le Breton reproduisent des photographies et des peintres en utilisent pour inspirer certaines créations. Évoquant les toiles modernes exposées en 1858 par Warnod dans son salon d’attente, le journaliste Félix Santallier reconnaît qu’à ses débuts «[la photographie] apparaissait à sa sœur aînée comme ennemie, une redoutable rivale, une usurpatrice. La peinture se lamentait : plus de portraits, plus de paysages! Les plaques métalliques et le cristal collodionné vont tout envahir. Comment lutter contre la nature elle-même, contre la vérité prise sur le fait dans un miroir et fxée par magie en un clin d’œil? Après s’être ainsi désolé, l’art n’en est pas moins resté sur son piédestal, portant le front plus haut que jamais».

Terrain d’expérimentation et d’innovation pour les plus grands photographes dès les années 1840, qu’ils soient inventeurs ou artistes, la Normandie est le lieu idéal pour mesurer l’infuence réciproque des arts.

L’exposition et le catalogue Photographier en Normandie 1840-1890 présentent de manière thématique des œuvres majeures de la photographie. Des images iconiques en côtoient d’autres rares ou méconnues. La variété des formats et des procédés employés permet d’appréhender le foisonnement technique de ces débuts de la photographie.

Le parti pris thématique permet quant à lui de confronter aux photographies d’Auguste Autin, d’Edmond Bacot, d’Hippolyte Bayard, de Julien Blot, d’Alphonse de Brébisson, d’Hippolyte Fizeau, de William Henry Fox Talbot, d’Humbert de Molard, de Gustave Le Gray, des frères Macaire ou encore de Jean-Victor Warnod, des toiles de peintres comme Eugène Boudin, Gustave Courbet, Louis Alexandre Dubourg, Johan Barthold Jongkind, Claude Monet, Camille Pissarro.

Ainsi, une façade de la cathédrale de Rouen par Monet généreusement prêtée par le musée d’Orsay est controntée à des efigies photographiques bien antérieures par les grands photographes que sont Bacot, les Bisson ou Baldus. De même le site d’Etretat a tôt constitué, bien avant les représentations de Monet et Courbet, un sujet de prédilection pour les photographes.

Dès les années 1840, la Normandie est le terrain d’expérimentation et d’innovation pour les plus grands photographes de l’époque. Il existe donc une représentation très précoce et très variée de la Normandie en photographie: portraits, paysages, scènes de genre, vues d’architecture, chantiers, marines, constructions balnéaires, petits métiers, qui fait écho aux représentations picturales quand elle ne les précède pas.

Des initiatives privées et publiques portent les photographes à recenser le patrimoine architectural et le pittoresque des lieux en Normandie. Rouen a très tôt suscité la curiosité des photographes: le passage de l’inventeur anglais de la photographie William Henry Fox Talbot dès 1843 en témoigne. Parmi les commandes publiques se distingue la Mission héliographique de 1851, pour laquelle Hippolyte Bayard, inventeur français de la photographie sur papier, contribue à fixer les images d’un patrimoine normand riche et pittoresque.

En 1863, la préfecture de l’Eure confie au photographe Jules Camus la mission de faire l’inventaire des richesses architecturales de la région. Durant les années 1870, l’initiative privée d’Emile Letellier cherche à compléter l’inventaire de richesses architecturales.

Les auteurs soulignent dans leur introduction que la période couverte par l’exposition (et le catalogue) s’arrête à l’aube d’une ère nouvelle, celle de la démocratisation de la photographie, via la création des photoclubs au Havre (1889), à Rouen (1891) et des sociétés photographiques à Caen (1891), au Havre (1892). C’est aussi l’aube du cinéma, alors proche de marquer la fin du siècle, quand Méliès tourne pour la première fois au Havre en 1896. Précurseurs, professionnels et amateurs éclairés ne sont plus les seuls créateursd’images. Une autre histoire commence.

En tout, le catalogue d’exposition du MuMa Photographier en Normandie 1840-1890. Un dialogue entre les arts, contient des contributions par huits spécialistes. In fine Editions d’art, 2024, 320 pages avec 273 illustrations, 22,5 x 28,5 cm, ISBN : 9782382031759. Commandez le catalogue (acceptez les cookies – nous recevons une commission, prix identique) chez Amazon.fr.

A lire également: Le magnat du charbon François Depeaux (1853-1920) était un mécène sans faille des artistes de son temps et un acheteur compulsif d’œuvres impressionnistes.

Pour faciliter la lecture, les citations et citations partielles dans cette critique du livre Photographier en Normandie 1840-1890. Un dialogue pionnier entre les arts ne se trouvent pas entre guillemets.

Critique de livre ajouté le 11 août 2024 à 14:22 heure de Paris.