Vallotton Forever. La rétrospective à Lausanne

Oct 31, 2025 at 08:55 165

Depuis le 24 octobre 2025 et encore jusqu’au 15 février 2026, le Musée cantonal des Beaux-Arts de Lausanne montre l’exposition Vallotton Forever. La rétrospective.

Selon la Préface du catalogue, le Musée cantonal des Beaux-Arts de Lausanne conserve la plus grande collection au monde d’œuvres de l’artiste. Avec la Fondation Félix Vallotton, centre de documentation et de recherche, ces deux institutions forment un pôle de compétences sans équivalent.

Le catalogue sous la direction de Catherine Lepdor et Katia Poletti: Vallotton Forever. Scheidegger & Spiess, octobre 2025, 240 pages avec 248 illustrations en couleur et 4 illustrations en noir et blanc, broché, 24,5 x 28,5 cm. ISBN: 978-3-85881-896-6. Acceptez les cookies – nous recevons une commission, prix identique – et commandez ce catalogue (français) chez Amazon.fr ou Amazon.de.

Dans le cadre de 2025 | Année Vallotton, avec des expositions à Vevez, Winterthour et  Ascona, Lausanne, ville natale de Félix Vallotton (1865–1925), accueille avec plus de 250 pièces exposées la plus grande rétrospective jamais consacrée à l’artiste, à l’occasion du centenaire de sa disparition (et du 160ème anniversaire de sa naissance).

Le futur peintre, dessinateur, graphiste, illustrateur, sculpteur, critique d’art et écrivain Félix Vallotton arrive à l’âge tendre de 16 ans à Paris, la capitale culturelle du monde (une biographie en allemand se trouve dans la critique de l’exposition au Museo Castello San Materno, Ascona).

Au début de l’année 1882, il commence des études à l’Académie Julian, une école privée de peinture et de sculpture, fondée à Paris en 1866 par les époux peintres Rodolphe Julian et Amélie Beaury-Saurel.

De 1882 à 1900, Félix Vallotton travaille sans relâche pour subvenir à ses besoins, construire son réseau et établir sa réputation artistique parisienne. Il est présent dans les cercles artistiques, littéraires et journalistiques. Il produit peintures, estampes, illustrations de livres, dessins de presse et sculptures. Il poursuit une stratégie cohérente tant du point de vue de son positionnement esthétique et politique que de son inscription dans le marché de l’art.

En 1893, Félix Vallotton rejoint le groupe des Nabis, baptisé par Paul Sérusier d’après le nom hébreu nebiim (prophète). Parmi les représentants des Nabis se trouvent des peintres tels que Pierre Bonnard et Paul Vuillard, avec lequel Vallotton entretient une amitié étroite. A cette époque, le Suisse acquiert une place dans le milieu des artistes, des critiques et des collectionneurs qui gravitent autour de La Revue blanche.

Ses illustrations et ses dessins satiriques pour des journaux engagés font résonner sa voix dans les grands débats sociétaux de l’époque. Bataillant sur plusieurs fronts, Félix Vallotton est présent aussi bien dans les Salons officiels en France et en Suisse que dans les expositions plus confidentielles des petites galeries parisiennes d’avant-garde. En 1900, il est naturalisé Français sans renoncer pour autant à sa nationalité suisse.

Juri Steiner, Catherine Lepdor et Katia Poletti soulignent dans leur Préface du catalogue lausannois que Félix Vallatton, observateur distant et critique, se distingue de ses contemporains par son regard acéré, sa verve satirique, son style incisif, ses couleurs virulentes et dissonantes, ainsi que par un usage irrévérencieux des formules décoratives.

Vers 1900, les membres du groupe des Nabis prennent des voies différentes et poursuivent des carrières individuelles. Selon les commissaires de l’exposition de Lausanne, une révolution s’opère dans la vie et l’œuvre de Vallotton au tournant du XXe siècle. Son mariage avec Gabrielle Rodrigues-Henriques, fille du marchand de tableaux Alexandre Bernheim, lui apporte la sécurité financière et renforce son statut d’artiste. Il s’installe dans le confort de la vie bourgeoise et se détourne de l’agitation de la vie moderne pour se plonger dans une mélancolie qui caractérise son tempérament. Il abandonne presque entièrement la gravure sur bois et l’illustration au profit de la seule peinture, à laquelle il se consacre désormais pleinement.

Outre les galeristes Bernheim-Jeune à Paris, son frère Paul Vallotton à Lausanne et la galerie Druet, ce sont surtout les collectionneurs de Winterthour Arthur et Hedy Hahnloser (article en allemand) qui comptent pour lui.

Selon la Préface, c’est alors que naissent des œuvres qui constituent l’apport décisif de Vallotton à la modernité. Renouant le dialogue ouvert dans sa prime jeunesse avec la grande tradition, l’artiste se confronte à Holbein pour le portrait, Ingres et Manet pour le nu, ou encore Poussin pour le paysage. Les nus et les sujets mythologiques sont dorénavant gouvernés par un onirisme, une ironie et parfois une cruauté qui les situent aux portes de la Nouvelle Objectivité (Neue Sachlichkeit) et du surréalisme.

Dans sa contribution au catalogue Vallotton Forever, Dario Gamboni se penche sur l’art d’insinuer perfectionné par l’artiste. Selon Gamboni, la position de Vallotton était particulière et son art sui generis.

Arrivé tardivement dans le groupe des Nabis, Vallotton y était surnommé le «Nabi étranger», parce que Suisse. Selon Gamboni, le qualificatif désigne aussi une relation d’extériorité qu’on observe dans ses rapports au monde, y compris au milieu bourgeois devenu sien par son mariage, en 1899, avec la sœur des marchands d’art Josse et Gaston Bernheim. Sa disposition psychologique a pu ainsi être traitée d’«aboulie», de «neurasthénie» et de «délire interprétatif».

Selon Francis Jourdain (1876-1958), peintre, décorateur, designer de meubles et auteur, Félix Vallotton «tenait en laisse satristesse fidèle, bien dressée», et «souvent même, il trompait son monde, par respect des convenances.»

Selon Gamboni, dans son art, la bienséance fait figure de refoulement ou d’hypocrisie. La série de gravures sur bois Intimités  met en question la morale sexuelle de la société bourgeoise, mais c’est plus systématiquement que les œuvres de Vallotton donnent l’impression d’avoir un double fond.

Gamboni cite Andrzej Pienkos, professeur d’histoire de l’art à l’université de Varsovie, qui, en 2013, a paraphrasé la proposition de Wittgenstein, «Ce dont on ne peut parler, il faut le taire», pour en faire une devise de Vallotton: «Ce qu’on ne peut rendre évident, il faut le cacher».

Cacher suppose ici de laisser des traces, même ténues, indiquant que quelque chose est invisible – les «soupçons d’aspect» de Redon, en donnant à «soupçon» le sens de suspicion. La parenté avec la psychologie des profondeurs naissante est évidente, et les scènes d’intérieur de Vallotton démontrent la relation intime entre foyer domestique, secret et «inquiétante étrangeté» (Unheimlichkeit) mise en avant par Sigmund Freud.

Dario Gamboni écrit que, dans le contexte post-impressionniste, Félix Vallotton avait la particularité d’être attaché au réalisme, au sujet et à la narrativité, même si celle-ci est chez lui ouverte et fait la part belle au spectateur. Son art résiste à l’opposition, faite par Maurice Denis, entre «l’expression par le décor, par l’harmonie des formes et des couleurs, par la matière employée» et «l’expression par le sujet». Chez Vallotton, l’une n’exclut pas l’autre, et c’est bien par les «moyens plastiques» que le sujet est exprimé ou, mieux, insinué – l’expression caractérise bien le mode de «suggestion» qui lui est propre.

Dario Gamboni note qu’une stratégie que Vallotton emploie à cette fin est l’abstraction, au sens de soustraction et de simplification, qu’on peut illustrer par son monogramme «FV». La gravure sur bois de fil, qu’il contribua à faire renaître, s’y prêtait en mettant sous le canif de l’artiste des blocs dont la structure interdisait les raffinements des graveurs de reproduction.

Catherine Lepdor affirme dans une contribution intitulé Vallotton, un peintre inclassable? que la seconde partie de la carrière de l’artiste s’ouvre dès un virage amorcé vers 1902 et s’étend jusqu’à sa mort survenue en 1925, embrassant la moitié de sa production. Elle se caractérise par un abandon presque complet de la gravure et de l’illustration en faveur de la seule peinture; par un agrandissement des formats; par un corpus réinvestissant les genres canoniques du nu, du portrait, du paysage et de la nature morte, avec quelques incursions dans la peinture d’histoire. Plus qu’un virage, c’est un coup de rein: contrairement aux Nabis Vuillard, Bonnard ou encore Roussel, Vallotton ne poursuit pas sur l’acquis mais, après une courte période de transition, travaille à une nouvelle manière qui le ramène dans l’orbite du/des réalisme/s.

Alors qu’ils étaient peints d’après nature jusqu’en 1900, les paysages de Vallotton sont par la suite reconstitués de mémoire dans l’atelier, à partir d’un petit croquis saisi sur le vif dans un carnet. Les formes s’épurent, le contraste entre ombre et lumière s’exacerbe, les couleurs éclatantes s’éloignent de la réalité et sont d’une grande puissance expressive.

Catherine Lepdor conclut au sujet de la «gloire posthume» de Vallotton que c’est un peintre qui aujourd’hui encore persuade le public du pouvoir de l’art, et qu’il s’agit d’une peinture à partir de laquelle l’art imagine ses nouveaux lendemains; Catherine Lepdor présente une œuvre de Gloria Oyarzabal comme preuve: USUS FRUCTUS ABUSUS_La Blanche et la Noire XVIII (2022; modèles: Valentina Gallina, Mado Dallery, photographie imprimée sur papier avec encres pigmentées, 105 × 155 cm).

Pour moi, Félix Vallotton reste le grand rénovateur de l’art graphique (la gravure sur bois), créateur de paysages d’une beauté envoûtante et de scènes interpersonnelles qui laissent beaucoup de place à l’imagination du spectateur.

Selon les Repères biographiques dans le catalogue, réunit par Katia Poletti, lorsqu’il meurt d’un cancer le 29 décembre 1925, le lendemain de ses 60 ans, l’œuvre de Félix Vallotton compte plus de 1700 tableaux, des centaines de dessins, environ 1200 illustrations de livres et dessins de presse, quelque 200 gravures ainsi que de nombreux écrits: romans, critiques d’art, essais et pièces de théâtre. Il peint son dernier tableau avant d’entrer en clinique pour être opéré, trois jours avant sa mort.

Ce ne sont que quelques éléments tirés du catalogue, paru sous la direction de Catherine Lepdor et Katia Poletti: Vallotton Forever. Scheidegger & Spiess, octobre 2025, 240 pages avec 248 illustrations en couleur et 4 illustrations en noir et blanc, broché, 24,5 x 28,5 cm. ISBN: 978-3-85881-896-6. Acceptez les cookies – nous recevons une commission, prix identique – et commandez ce catalogue (français) chez Amazon.fr ou Amazon.de.

La couverture du catalogue est ornée d’un autoportrait de Félix Vallotton intitulé Autoportrait à l’âge de vingt ans, (1885, huile sur toile, 70 × 55,2 cm, Musée cantonal des Beaux-Arts de Lausanne).

Pour faciliter la lecture, les citations et citations partielles tirées du catalogue Vallotton Forever. La rétrospective ne se trouvent pas entre guillemets.

Critique du catalogue et de l’exposition ajouté le 31 octobre 2025 à 08h55, Lausanne.