Vermeer et les maîtres de la peinture de genre

Mar 17, 2017 at 11:51 1144

Le catalogue et l'exposition au Louvre

Encore jusqu’au 22 mai 2017, vous pouvez admirer l’exposition Vermeer et les maîtres de la peinture de genre au musée du Louvre à Paris. Elle réunit quelques 81 toiles de genre, dont douze tableaux de Johannes Vermeer, un tiers de son œuvre connu à ce jour.

L’exposition couvre la période de 1650 à 1675 du Siècle d’or néerlandais et cherche à définir les relations d’émulation et de concurrence entre les plus grands peintres de genre tels que Gerard ter Borch, Gerard Dou, Gabriel Metsu, Frans van Mieris, Jan Steen, Pieter de Hooch et Johannes Vermeer. Comment est-ce que ces maîtres ont emprunté aux œuvres de leurs pairs pour les imiter voire les surpasser ? La concurrence entre ces nombreux artistes a fortement contribué au niveau de raffinement et à la richesse de la peinture de genre hollandaise de cette période.

Vermeer et les maîtres de la peinture de genre. Catalogue de l’exposition au musée du Louvre à Paris. Louvre éditions / Somogy éditions d’Art, 2017, 448 pages, 300 illustrations. Commandez ce livre chez Amazon.fr. La couverture du catalogue d’exposition montre la fameuse toile La Laitière de Vermeer. Elle peut normalement être admirée au Rijksmuseum à Amsterdam.

Adriaan E. Waiboer explique bien au début de son article “Vermeer et les maîtres de la peinture de genre” qu’il est tentant de penser que La Jeune fille au collier de perles de Johannes Vermeer représente la femme de l’artiste à sa toilette. Ce scénario est bien séduisant, pourtant la principale source d’inspiration de Vermeer n’est pas cette vision impromptue d’une scène de vie de couple dans sa maison de Delft, mais un voyage de l’artiste à Leyde où il a pu admirer la Femme à son miroirde son éminent collègue Frans van Mieris, achevé un ou deux ans plus tôt et figurant une femme de profil attachant son bijou.

Quant à Frans van Mieris l’Ancien, il n’avait non plus spontanément demandé à sa femme de prendre cette pose ; il avait trouvé son inspiration dans la toile Jeune femme à sa toilette de Gerard ter Borch, qui, une dizaine d’années plus tôt, avait peint une femme devant son miroir, absorbée par ce qu’elle faisait, aux prises avec un nœud de son corset. Les similitudes dans le sujet, la composition et les poses des figures montrent que Frans van Mieris avait bien étudié le tableau de Gerard ter Borch pour préparer le sien.

Adriaan E. Waiboer écrit que les chefs-d’œuvre des grands maîtres exposés au Louvre montrent des scènes qui paraissent si naturelles qu’on a l’impression que les artistes avaient directement sous leurs yeux les figures, les objets et le cadre architectural qu’il dépeignaient. Les similitudes de styles, de sujet et de technique ne sont pas des coïncidences. Selon notre auteur, elles permettent d’en déduire que les peintres avaient l’habitude d’admirer et d’examiner les tableaux de leurs confrères et d’y puiser leur inspiration, souvent pour essayer de les surpasser en vraisemblance, en virtuosité technique et et qualité esthétique.

La concurrence des ces grands artistes a permis au troisième quart du dix-septième siècle de représenter l’apogée de la peinture de genre hollandaise. Adriaan E. Waiboer explique que la qualité et la popularité sans précédent de ces œuvres sont le résultat des évolutions économiques, sociales et artistiques qui se produisent vers 1650. La force financière des Pays-Bas commence à décliner au milieu du siècle, mais les grandes familles commerçantes continuent de s’enrichir considérablement. Cette classe privilégiée ressent de plus en plus le besoin de se distinguer par son raffinement et son luxe matériel. Elle se distingue par l’habillement, le comportement et les résidences. En outre, elle souhaite un type d’art qui corresponde à l’image qu’elle a d’elle-même (Herman Roodenburg: The Eloquence of the Body. Perspectives on Gesture in the Dutch Republic, 2004, p. 9-29). La peinture de genre des Pays-Bas de la période 1650-1675 répond parfaitement à cette demande.

Cette âge d’or prend une fin abrupte. La troisième bataille navale des Pays-Bas avec l’Angleterre coïncide avec le début de la guerre franco-hollandaise de 1672. Les marchés de l’art et les villes autres d’Amsterdam en sont profondément affectés. L’économie des Sept Provinces s’effondre. De nombreux artistes font faillite. C’est la fin de l’âge d’or hollandais ainsi que de l’apogée de la peinture de genre.

Adriaan E. Waiboer décrit comment la représentation de la lumière et de l’espace dans la peinture de Johannes Vermeer est celle des peintres de Delft, mais ses sujets, ses figures et ses compositions sont souvent des variations sur les tableaux de Gerard ter Borch et de Gerard Dou, mais également de Nicolaes Maes, Frans van Mieris et Pieter de Hooch.

Quant à Pieter de Hooch, il mélange des idées puisées à Rotterdam et à Delft et aussi chez Gerard ter Borch, ainsi que chez Frans van Mieris, Johannes Vermeer et Gabriel Metsu.

Et ainsi de suite. Adriaan E. Waiboer étale le tableaux des échanges d’idées, de sujets, d’influences entre ces artistes éminents. Par exemple les intérieurs très éclairés de Pieter de Hooch ont influencé certaines des premières scènes de genre de Johannes Vermeer. Par la suite, on observe l’inverse, que Pieter de Hooch adopte des sujets et des compositions de Johannes Vermeer, notamment dans l’œuvre Couple avec Perroquet(1675-1678) qui se trouve à Cologne au musée Wallraf-Richartz.

Les artistes trouvaient donc non seulement l’inspiration chez leurs aînés, mais également parfois chez les peintres plus jeunes qu’eux. Pour la seule période 1650-1675, les chercheurs de l’exposition ont trouvé plus d’un millier de liens entre des tableaux des dix-sept principaux peintres de genre.

Les emprunts sont multiples. Par exemple les thèmes, les styles, les techniques, les matériaux, l’ordre formel : composition, pose, disposition des figures, des types faciaux et des expressions. Les peintres empruntaient à leurs confrères des animaux, des intérieurs, des meubles, des décorations murales, des costumes, etc. Les artistes apportent souvent des modifications aux sujets qu’ils empruntent. Ils prennent des détails, des objets, des personnages, ils les ajoutent dans un autre contexte ou utilise une autre perspective.

Selon Adriaan E. Waiboer, des indices montrent que les peintres de genre découvraient le travail de leurs confrères en étudiant les originaux, notamment dans leurs ateliers et chez les propriétaires de leurs œuvres, et non pas à travers des reproductions, gravures et estampes, etc. Certains artistes étaient également des marchands d’art. Vermeer et Netscher complétaient ainsi leurs revenus.

Il est également important de noter que ces peintres de genre ne s’intéressaient pas vraiment à la représentation de la vie quotidienne, mais à des images séduisantes et assez stéréotypées.

Les autres essais du catalogue essaient d’expliquer l’évolution de la relation entre la peinture de genre et les écrits sur l’art au dix-septième siècle (Arthur Wheelock) ainsi que les motivations qui poussent les peintres à réagir constamment aux œuvres de leurs confrères (Eric Jan Sluijter), dressent le panorama des transferts d’objets et d’animaux que l’on observe dans les tableaux (Marjorie Wieseman), analysent comment ces peintres se situaient les uns par rapport aux autres dans le choix de leurs techniques picturales et de leurs couleurs (Melanie Gifford et Lisha Deming Glinsman), dévoilent les relations personnelles entre les artistes, leur familiarité avec les œuvres de leur confrères, les prix des œuvres et les profils des acheteurs (Piet Bakker), et s’intéressent aux étrangers qui ont visité les Provinces-Unis et les maîtres de la peinture de genre (Blaise Ducos).

Bref, ne manquez en aucun cas cet exposition-événement au musée du Louvre, organisée en collaboration avec la National Gallery of Ireland et la National Gallery of Art de Washington, ainsi qui le catalogue qui accompagne l’exposition de ces vraies-fausses scènes de la vie quotidienne au dix-septième siècle !

Vermeer et les maîtres de la peinture de genre. Catalogue de l’exposition au musée du Louvre à Paris. Louvre éditions / Somogy éditions d’Art, 2017, 448 pages, 300 illustrations. Commandez ce livre chez Amazon.fr.