Angkor: Naissance d’un mythe – Louis Delaporte et le Cambodge

Nov 12, 2013 at 11:51 1533

La France a été une puissance coloniale avec peu de scrupules. En 1863, elle a intégré le Cambodge dans son empire en tant que protectorat. A cette époque, le roi khmer, Norodom Ier, était sous pression du royaume de Siam qui occupait le nord de son pays. C’est dans ce contexte que le lieutenant de la marine, Louis Delaporte (1842-1925), “découvre” Angkor en 1866 et que Norodom Ier permet aux colonisateurs de prendre avec eux de nombreux objets en France; ces pièces se trouvent aujourd’hui au musée Guimet à Paris.

La France a effectivement aidé les Cambodgiens dans leur lutte contre les Thaïs et les Annams. Le protecteur a aidé la préservation de l’héritage culturel du Cambodge. De plus, la fameuse Convention de l’Unesco de 1970 qui interdit l’importation, l’exportation et le transfert de propriété illicites des biens culturels ne s’applique pas aux trésors d’Angkor. C’est pour ces raisons que le gouvernement du Cambodge n’a jamais demandé la réstitution de ses bien culturels à la France.

L’exposition au Musée Guimet

Du 16 octobre 2013 au 13 janvier 2014, le Musée Guimet à Paris montre une exposition recommendable sous le titre Angkor: Naissance d’un mythe – Louis Delaporte et le Cambodge. Elle réunit quelques 250 objects : sculptures khmères en pierre, photographies, peintures, documents graphiques, dessins, aquarelles ainsi que des moulages en plâtre réalisés pour Louis Delaporte et ses collaborateurs de l’époque. Les quelques 250 pièces mettent en avant les premiers contacts des Français autour de Louis Delaporte avec l’art du Cambodge.

La galérie d’entrée au Musée Guimet est consacrée à l’explorateur Louis Delaporte. La première salle de l’exposition est dédiée à la mission exploratrice du Mékong de 1866 à 1868 et présente, autour de la publication prestigieuse de l’époque, des dessins originaux, des photographies et estampes anciennes.

L’exposition présente également les missions d’études dirigées par Louis Delaporte en 1873 et en 1881/2. Des oeuvres khmères originales, rapportées par ces missions, sont mises en rapport avec des moulages et des dessins réalisés à cette occasion.

La deuxième partie de l’exposition est consacrée au musée indochinois du Trocadéro, créé dans la suite de l’exposition universelle de 1878. Des photographies anciennes des salles de ce musée disparu en 1936 sont projetées en grand format sur le mur. L’influence du musée indochinois du Trocadéro sur les pavillons du Cambodge lors des Expositions universelles et coloniales de 1889 à 1931 est démontrée, ainsi que son impact sur les artistes du début du vingtième siècle. Des agrandissements de photographies de 1889, 1900, 1906, 1922 et 1922 sont confrontés avec des documents d’archives tels que des cartes postales, des photographies anciennes et des oeuvres originales. Des oeuvres du peintre, illustrateur et sculpteur français Paul Jouve (1878-1973) marquent la fin de cette partie de l’exposition.

Le catalogue d’exposition

Le catalogue recommendable, Angkor : Naissance d’un mythe – Louis Delaporte et le Cambodge, réunit des articles par quatorze auteurs. Il nous présente l’explorateur Louis Delaporte, ses missions, sa correspondance privée ainsi que de photographies. Dans une deuxième partie, le conservateur Louis Delaporte trouve sa place. Sa collection, son musée et ses moulages d’Angkor sont analysés. Une troisième partie nous présente le scientifique Louis Delaporte, du premier regard sur Angkor à l’éveil du savoir, avec un présentation des temples et monuments emblématiques qu’il a “découvert”.

Jean-François Klein présente l’histoire coloniale du Cambodge de manière brillante. Elle est trop complexe pour la présenter ici. Quelques détails expliquent cependant les relations amicales entre la France et le Cambodge jusqu’à nos jours: Entre 1834 et 1841, le royaume khmer fut entièrement annexé par le Vietnam. Dès 1848, le roi khmer Ang Duong (r. 1844-59) tentait sans succès de prendre contact avec la France pour gagner une puissance occidentale comme protecteur contre les agresseurs Vietnamiens et Thaïs. A l’époque, les Français était trop préoccupés par des tensions intérieures pour donner suite. C’est seulement plus tard, lorsque la France occupe le Vietnam, que le roi khmer suivant, Norodom Ier, signe un traité de protectorat avec la France.

Quant à la “découverte” des temples d’Angkor par Louis Delaporte, Jean-François Klein signale qu’ils étaient nullement abandonnés, mais accueillaient des milliers de pèlerins lors de toute fête. En plus, sur le parvis d’Angkor Vat, un monastère bouddhique avait été bâti. Quant à la “découverte” par les Occidentaux, l’auteur mentionne le missionaire Charles-Emile Bouillevaux (1823-1913) qui avait déjà visité de nombreux de ces temples khmers lors de ses années passées dans la région et en avait fait une description précise dans son livre de 1858, Voyage en Indo-Chine, 1848-1856. L’Annam et le Cambodge, qu’il avait publié avant que l’explorateur français Henri Mouhat (1826-61) n’explore à son tour, de 1858 à 1860, la même région pour la Royal Geographical Society de Londres.

Louis Delaporte

Pourquoi donc reste le nom de Louis Delaporte associé au nom d’Angkor? Parce qu’il a scientifiquement analysé ce qu’il a vu, parce qu’il a aidé à conserver les oeuvres trouvées et parce qu’il a créé un musée à ce titre, dont les collections sont aujourd’hui conservées au musée Guimet.

C’est Thierry Zéphir qui nous présente Louis Delaporte dans son article du catalogue:Louis-Marie Joseph Delaporte est né le 12 janvier 1842 à Loches, en Touraine. Il est issu d’un milieu conservateur et reçoit une éducation classique. En 1865, à l’âge de 23 ans, il part pour la première fois en Indochine. En 1866, il participe à la Mission d’exploration du Mékong. La découverte du site d’Angkor change sa vie: “La vue des ces ruines étranges me frappa … : je n’admirais pas moins la conception hardie et grandiose de ces monuments que l’harmonie parfaite de toutes leurs parties. L’art khmer, issu du mélange de l’Inde et de la Chine, épuré, ennobli par des artistes qu’on pourrait appeler les Athéniens de l’Extrême-Orient, est resté en effet comme la plus belle expression du génie humain dans cette vaste partie de l’Asie qui s’étend de l’Indus au Pacifique.” Puis il décrit la différence de l’art khmer par rapport à l’art égyptien ou grec pour conclure: “c’est, en un mot, une autre forme du beau.”

En 1866, Louis Delaporte joue un rôle mineur. Le jeune enseigne de vaisseau se distingue cependant comme dessinateur. Lorsque l’ouvrage Voyage d’exploration en Indo-Chine de François Garnier paraît en 1873, le frontispice du livre mentionne: “illustré de 250 gravures sur bois d’après les croquis de M. Delaporte.”

Louis Delaporte observe avec attention le travail effectué par le photographe Emile Gsell (1839-79) et l’invite en 1873 de faire partie de son équipe qui l’accompagne lors de son deuxième voyage à Angkor, cette fois en tant que chef de la mission.

Pour ce deuxième voyage, Louis Delaporte propose de reconnaître le cours du fleuve Rouge et de traverser le Tonkin pour établir une route de commerce directe avec la province chinoise du Yunnan voire, si possible, avec le Tibet. En 1872, il obient 56,000 francs pour ce voyage. Avec l’appui de la Société de géographie, il obtient donc cette mission des ministères de la Marine et des Colonies et des Affaires étrangères.

C’est seulement un mois avant son départ qu’il propose au ministère de l’Instruction publique un second projet qu’il entend réaliser entre uin et novembre 1873, avant le retour de la saion sèche qui permettrait de partir au Tonkin: finir le travail d’étude des monuments anciens entamés lors de la Mission du Mékong. Il obtient un budget propre de 10,000 francs à cette fin et dispose même de certains personnels propres. Louis Delaporte divise son effectif en trois groupes qui explorent ainsi un territoire plus vaste. Ils avait le droit de choisir des sculptures et d’organiser des fouilles. Pour Louis Delaporte, la mission prend une fin brutale: il tombe gravement malade et se fait rapidement rapatrié en France.

Angkor : Naissance d’un mythe – Louis Delaporte et le Cambodge. Gallimard / Musée national des arts asiatiques Guimet, 2013, 299 pages. Commandez le catalogue d’exposition chez Amazon.fr. Des livres au sujet d’Angkor chez Amazon.fr, Amazon.com et Amazon.de.

De ce deuxième voyage, Louis Delaporte ramène 102 caisses d’antiquités khmères en France. Cependendant, l’enthousiasme est limité: le Louvre ainsi que le palais de l’Industrie refusent ses objects! Faute de mieux, le directeur des Beaux-Arts, le marquis de Chennevières, les envoie au château de Compiègne, où Louis Delaporte est chargé d’organiser un musée khmer. C’est seulement l’Exposition universelle de 1878 qui marque le tournant dans la réception de l’art khmer en France. Il est enfin reconnu comme un art majeur à côté des arts de la Chine, du Japon et de l’Egypte. Pourtant, les objects ramenés par Lous Delaporte resteront jusqu’en 1882-84 dans les sous-sols du palais du Trocadéro à Paris.

En 1880, l’explorateur Louis Delaporte a pris sa retraite de la Marine et publie Voyage au Cambodge. L’architecture khmer. L’année suivante, il obtient une nouvelle mission au Siam “afin d’y achever l’étude artistique et archéologique des anciens monuments khmers.”

Seloin Julie Philippe, qui analyse les trois missions de Louis Delaporte dans le catalogue, la mission de 1881-82 est préparée plus en détail que celle de 1873. Mais une fois de plus, son voyage s’arrête brusquement parce que, le 26 décembre 1881, il doit être rapatrié d’urgence à Saigon, puis à Paris, une fois de plus pour raisons médicales. Mais contrairement à 1873, l’état-major du voyage reste sur place et parvient à achever le programme prévu.

Louis Delaporte ne retournera plus en Indochine. Il dédie la dernière décennie de sa vie à ce qu’il considère son grand oeuvre, sa publication Les Monuments du Cambodge. Etudes d’architecture khmère publiées d’après les documents recueillis au cours des missions qu’il a dirigées en 1873 et 1882-1883 [sic!] et de la mission complémentaire de M. Faraut en 1874-1875.

Louis Delaporte meurt le 3 mai 1925. Il a pu achever ses études ainsi que son musée grâce à ses trois voyages. Le simple marin est devenu explorateur, conservateur et scientifique. Il a permis à l’Occident de dévouvrir, préserver et étudier une nouvelle civilisation.

Le catalogue contient évidemment beaucoup plus d’informations fournies par quatorze auteurs, notamment au sujet de la collection de Louis Delaporte, de son musée, des objects et temples découverts. Le livre est richement illustré et contient en outre des cartes et une bibliographie utile. Le catalogue ainsi que l’exposition au Musée Guimet sont convaincants.

Angkor : Naissance d’un mythe – Louis Delaporte et le Cambodge. Gallimard / Musée national des arts asiatiques Guimet, 2013, 299 pages. Commandez le livre / le catalogue d’exposition chez Amazon.fr.

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Cf. également notre article en allemand du 1er janvier 2007 au sujet de l’exposition Angkor et dix siècles d’art khmer aux Galeries nationales du Grand Palais en 1997 ainsi qu’aux sujet de l’exposition Khmer à la Bundeskunsthalle à Bonn de 2006/07.