David Hockney Moving Focus: Collection de la Tate

Fév 22, 2023 at 13:42 1095

Cet ouvrage est publié à l’occasion de l’exposition David Hockney Moving Focus: Collection de la Tate (Amazon.fr) présentée au musée Granet du 28 janvier au 28 mai 2023. Après Bruxelles, Vienne et Lucerne, la dernière étape de cette rétrospective itinérante réunit une centaine d’œuvres à Aix-en-Provence.

Quand il fait irruption sur la scène artistique au début des années 1960, David Hockney appartient à une jeune génération radicale d’artistes britanniques adeptes d’un nouveau langage figuratif. Ses œuvres font référence à l’histoire de l’art, à la littérature, et à la culture de son temps. Au fil des ans, l’artiste s’est enrichie d’un large éventail de médiums – peinture, dessin, gravure, photographie et informatique –, qui touche un public toujours plus nombreux.

L’association de la Tate Gallery à Londres avec David Hockney remonte à plus de cinquante ans. La Tate possède plus d’une centaine d’œuvres de l’artiste, notamment certaines de ses toiles les plus célèbres, comme A Bigger Splash (1967) et Mr and Mrs Clark and Percy (1970-1971), qui non seulement illustrent l’originalité du peintre, mais marquent des moments-clés dans l’histoire de l’art britannique de cette époque.

D’une richesse et d’une diversité inégalées, le fonds exceptionnel de la Tate Modern retrace soixante années de la vie et de l’œuvre révolutionnaire de l’artiste. La publication (Amazon.fr) présente le vaste contexte culturel de ses travaux et explore la manière dont l’artiste a interrogé la nature du regard et de la représentation. Elle évoque les multiples périodes et les thèmes qui ont marqué la carrière de David Hockney, mais également les lieux où il a vécu et travaillé depuis ses œuvres novatrices de l’époque – où il étudiait au Royal College of Art, à Londres –, jusqu’à ses représentations iconiques de la Californie du Sud, ses portraits peints et dessinés, finement observés, et ses explorations audacieuses de l’abstraction et du cubisme.

La carrière de Hockney se caractérise par un esprit de recherche qui lui a permis de relever de multiples défis techniques et d’expérimenter de nouvelles façons de voir et de représenter le monde. La présente publication (Amazon.fr) réunit nombre de témoignages inédits et lance pour la première fois une réflexion plus vaste sur l’héritage de l’artiste et son influence sur la jeune génération. Des personnalités du monde de l’art, du design, de la littérature et du spectacle ont prêté leur voix à cette nouvelle publication.

David Hockney est né à Bradford (Angleterre) en 1937. Il a étudié au sein de la Bradford School of Art (1953-1958) et du Royal College of Art de Londres (1959-1962).

Il s’inspire de nombreuses sources, dont l’imagerie populaire et les œuvres de maîtres anciens et modernes. Son travail porte sur les grands classiques de l’art (natures mortes, portraits et paysages) et sur sa grande obsession: la représentation et la perspective. Comment voyons-nous le monde, et comment capturer en deux dimensions temps et espace de ce monde?

Les 9 sections de la rétrospective au musée Granet

En 9 sections, la rétrospective au musée Granet à Aix-en-Provence montre l’évolution de l’artiste du milieu des années 1950 jusqu’à aujourd’hui.

La première section, Un mariage de styles, montre les différents courants qui inpirent David Hockney au début des années 1960. Au fur et à mesure que l’artiste s’émancipe, ses amours, amis et amants s’imposent de plus en plus souvent comme sujets principaux de ses œuvres, tandis qu’il questionne le désir masculin de façon plus frontale et plus complexe.

Le visiteur est confronté à l’œuvre de jeunesse de David Hockney qui, à la Bradford School of Art, reçoit une formation traditionnelle fondée sur le dessin d’après nature et une observation fidèle du monde extérieur. Il réalise une série de peintures et de lithographies de scènes domestiques de la classe ouvrière, caractérisées par des couleurs sombres et un espace illusionniste dans le style de l’école d’Euston Road, un mouvement britannique d’après-guerre qui s’opposait aux styles d’avant-garde pour peindre des sujets traditionnels de manière réaliste.

En 1959, David Hockney entame des études de peinture au sein du Royal College of Art de Londres. Ces travaux parlent de plus en plus de son homosexualité, encore illégale à l’époque. Il dépasse la distinction entre l’abstraction et la représentation. Dans The Third Love Painting de 1960, il introduit une figure sur fond de phrases griffonnées issues des poèmes de Walt Whitman, et de graffitis trouvés sur les murs des toilettes d’une station de métro londonienne.

Inspiré par l’expressionnisme abstrait, la pop art, Francis Bacon, Jean Dubuffet (Doll Boy de 1961 en fait écho), Roger Hilton, Larry Rivers et d’autres, David Hockney et de plus en plus déçu par les limites de l’art abstrait. Mais il ne veut pas être considéré comme démodé parce qu’il peint des tableaux figuratifs. David Hockney commence donc à élaborer son propre langage, mêlant peinture gestuelle, graffitis et sujets reconnaissables, et abordant de plus en plus ouvertement la question de son homosexualité.

Dans les années 1960 à Londres, David Hockney s’inpire entre autres du Pop Art. Son Tea Painting in an Illusionstic Style est considérée comme la troisième et dernière peinture d’une série inspirée des sachets de thé Typhoo, un sujet qu’il a adopté pour des raisons tant personnelles que pratiques: «J’avais l’habitude d’aller au Royal College of Art très tôt le matin… J’y étais habituellement vers sept heures, sept heures trente ou huit heures, avant que le salon de thé Lyons n’ouvre ses portes à South Kensington, et j’avais l’habitude de me préparer mon thé, parce qu’on ne pouvait pas avoir de tasse de thé avant onze heures. J’avais une petite théière, et une tasse, et j’achetais une bouteille de lait, et des paquets de thé: c’était toujours du thé Typhoo, le préféré de ma mère.» Il ajourait: «Il y avait un paquet de thé Typhoo, une marque de thé populaire et très ordinaire, alors je l’ai utilisé comme motif. Je n’ai jamais été aussi proche du pop art.»

La publication (Amazon.fr) offre également une lecture queer de ce tableau. Selon l’ouvrage pionnier du sociologue américain Laud Humphreys sur le sexe queer dans les lieux publics, paru en 1970 et basé sur une thèse de doctorat achevée plusieurs années auparavant, le terme «thé» désignait l’urine en argot britannique, et les «tearooms» représentaient les toilettes publiques. Les urinoirs dans les centres des villes étaient devenus des espaces notoires pour la pratique de relations sexuelles entre hommes, car c’étaient des lieux «où il y avait toujours d’autres hommes, et où il était indispensable de sortir sa bite». Ces lieux de rencontre ont été populaires avant la guerre et ils le sont restés après, bien que de façon plus clandestine avec l’émergence – dans le discours public des années 1950 et 1960 – de la figure de l’homosexuel «respectable», qui prenait ses distances avec les «cruisers», jugés déviants et prédateurs. David Hockney lui-même n’a jamais fait allusion à ces significations possibles. Quand il évoque cette œuvre, il mentionne qu’il a mal orthographié le mot «thé» sur le côté gauche de la toile, par manque d’intérêt pour le sujet lui-même: «J’ai mis tellement de temps à l’élaborer, dans ma recherche de la planéité et de l’abstraction que je l’ai mal orthographié.»

Lors de son exposition Young Contemporaries de 1962, Hockney présente quatre œuvres, regroupées sous le titre de Demonstrations of Versatility. «Je m’étais fixé comme objectif de prouver que j’étais capable de peindre dans quatre styles différents, tout comme Picasso» décrit-il. Le jeune artiste démontre dans ces tableaux qu’un style peut être choisi ou évité consciemment et que, en jouant des modes de représentation et des différentes interprétations de la réalité, plusieurs styles peuvent être utilisés dans une seule œuvre.

David Hockney quitte le Royal College of Art en 1962, ayant trouvé une liberté stylistique. Il se rend à Munich et à Berlin, attiré par les écrits de Christopher Isherwood qui décrivent l’attitude plus libre de l’Allemagne vis-à-vis de l’homosexualité. Il produit une série de tableaux à deux figures, jouant sur des contrastes de style et traitant des relations entre les personnages de manière théâtrale plutôt qu’ouvertement sexualisée.

En 1964, David Hockney quitte Londres pour Los Angeles, la ville de ses rêves, où vivent les beaux qui illustrent les American muscle magazines dont il raffole. La deuxième partie de l’exposition est dédiée à cette époque. L’artiste est fasciné par la luminosité de la Californie, ses grandes espaces ainsi que par la représentation pictorale de l’eau en mouvement. En même temps, il peint Los Angeles d’une manière froide et détachée. Pour la figure nue du fameux tableau The Bigger Splash (1967), qui représente cette période, David Hockney s’est inspirée du magazine érotique homosexuel américain Physique Pictorial, une toile impossible à réaliser à l’époque en Angleterre.

Dans Man in Shower in Beverly Hills (1964), David Hockney réalise la synthèse complexe entre réalité, appropriation et fiction. Il note à ce sujet: «Les Américains prennent tout le temps des douches… Pour un artiste, l’intérêt est évident : une personne sous la douche se donne à voir en mouvement, généralement de façon gracieuse, car elle caresse son corps. L’homme ou la femme au bain est également un sujet récurrent de l’histoire de l’art de ces trois derniers siècles.» Hockney se passionne pour la représentation picturale de l’eau, de la lumière et de la transparence. La piscine va devenir son sujet de prédilection. Avec sa juxtaposition de motifs étincelants et de plans dissociés, Rubber Ring Floating in a Swimming Pool (Bouée gonflable flottant dans une piscine, 1971), constitue une satire de l’art abstrait, alors très en vogue.

La troisième section de l’exposition à Aix-en-Provence traite de son mouvement vers le naturalisme à la fin des années 1960 et dans les années 1970. Il crée des images empreintes d’une plus grande sensibilité envers les personnes et les lieux. Il réalise des croquis et dessins et s’achète un appareil photo Pentax 35 mm pour réaliser des peintures offrant des représentations de plus en plus réalistes de la lumière, de l’ombre et des figures, ainsi qu’une plus grande illusion d’espace et de profondeur.

Il s’intéresse aux implications psychologiques et émotionnelles qu’offrent deux figures humaines réunies dans un cadre fermé. Il crée des doubles portraits d’amis et de connaissances qu’il met soigneusement en scène, associent des poses nonchalantes à la grandeur et à l’aspect formel de l’art du portrait conventionnel. Peints à l’échelle, ces tableaux évoquent la présence de leurs modèles et nous invitent à pénétrer dans leur sphère privée. A la fin des années 1970, Hockney remet en question ces conceptions de la réalité qui, selon lui, aliènent et déconnectent le public de ses tableaux. De plus en plus convaincu que la peinture doit rester au plus proche de l’expérience du regard vivant, il consacre ses nouvelles recherches picturales au corps humain et à son intégration dans l’espace.

La quatrième section de l’exposition à Aix-en-Provence est dédiée aux arts graphiques experimentales sous le titre La carrière d’un libertin. Il utilise l’immédiateté de ce médium dans tous les aspects de sa vie, pour les exprimer, y réfléchir et les documenter. L’artiste se forge rapidement une réputation de dessinateur accompli.

En 1960 et 1961, David Hockney participe à l’exposition annuelle Young Contemporaries à Londres. Cet événement fait connaître les jeunes artistes pop britanniques au grand public. Le galeriste John Kasmin remarque les œuvres de David Hockney et devient en 1962 son marchand officiel.

Deux voyages de David Hockney aux Etats-Unis en 1961 et 1962 lui permettent de raconter sous forme de confessions ses aventures de jeune homme gay à New York City. Il le fait dans A Rake’s Progress (La Carrière d’un libertin, 1961-1963), une suite de 16 gravures. Il combine texte, gravure à l’eau forte et blocs de couleurs à l’aquatinte. La série reprend, dans sa forme et par son sujet, A Rake’s Progress de William Hogarth, publiée sous forme de gravures en 1735. Les gravures satiriques mettaitent en scène la corruption, l’hypocrisie et le vice de Tom Rakewell, riche héritier du XVIIIe siècle. L’accent mis par Hogarth sur la jeunesse et la liberté n’a pas échappé à Hockney, souligne l’ouvrage accompagnant l’exposition (Amazon.fr).

Egalement dans la section 4 sous trouve une série d’œuvres inspirées du poète gréco-égyptien Constantin Cavafy. David Hockney s’en inspire en 1966, revenant à la gravure. Il abandonne ses premières recherches visant à placer la figure au centre de son art pour produire des portraits très naturalistes, célébrant et humanisant leur sujet. Hockney adopte un style dépouillé et des lignes précises pour illustrer ses poèmes, reflétant très bien l’écriture de Cavafy, sa clarté et simplicité, tout en conférant à ces scènes d’amour homosexuel un côté solennel et romantique.

Ces gravures sont publiées en 1967, alors que le Parlement vient de voter le Sexual Offences Act, une loi légalisant enfin les relations homosexuelles en Angleterre et au Pays de Galles. L’ascension de David Hockney se manifeste avec sa première exposition rétrospective à la Whitechapel Art Gallery de Londres en 1970, a l’âge de 33 ans seulement!

Dans les portraits soigneusement observés de ses amis et de sa famille des années 1960, David Hockney insuffle une gamme d’émotions complexes. Il développe une nouvelle façon de travailler qui lui permet de saisir l’essence d’un corps, avec une économie de moyens absolue: quelques lignes expriment le caractère du modèle; un ou deux éléments rappellent l’essence d’un lieu ou d’un événement.

David Hockney explique son choix des sujets: «Si vous dessinez quelqu’un que vous ne connaissez pas, vous avez des difficultés à aborder la question de la ressemblance. Vous pensez peut-être que le portrait devrait être une représentation fidèle de cette personne mais vous ne savez pas vraiment à quoi elle ressemble. Tandis qu’avec des amis, vous apprenez lentement à les connaître, à voir leurs différents visages. Quand je dessine des personnes que je connais bien, la ressemblance m’importe peu. D’une manière ou d’une autre, la ressemblance est toujours là.»

La cinquième section de l’exposition au musée Granet s’intitutel Point focal changeant. Tout au long des années 1980, David Hockney reste incroyablement prolifique, même si son œuvre change radicalement de style et de supports. Après avoir découvert la peinture chinoise sur rouleau, il produit des gravures cherchant à explorer les diverses réalités de l’espace en trois dimensions. Il désigne ses idées comme des interprétations selon «un point focal changeant» de la perspective, de la mémoire et de l’espace.

Il recherche les différentes possibilités de représenter l’espace. Ce principe de point focal changeant reflète la diversité de l’œuvre de Hockney, mais aussi sa fascination pour les expériences techniques et visuelles et la façon dont celles-ci témoignent d’une créativité sans limites.

Par l’usage de la perspective inversée et la représentation simultanée de plusieurs points de vue, les intérieurs complexes de sa série Moving Focus donnent au spectateur l’impression de circuler à travers et autour de l’œuvre. Ces tableaux en deux dimensions reproduisent l’expérience humaine d’un spectateur regardant un environnement en trois dimensions, de façon plus authentique que ne le permet la lentille de l’appareil photographique avec sa perspective unique. Les plus grandes œuvres de cette série et les plus impressionnantes sont les six vues de l’hôtel Acatlán au Mexique. Hockney est fasciné par la cour intérieure baignée de soleil qui lui rappelle un décor de scène. Il adopte une nouvelle technique lui permettant de représenter à la fois des espaces intérieurs et extérieurs, donnant l’illusion d’une perspective peinte sur le motif, comme en plein air, loin des carcans de son atelier de gravure. Pour ses croquis de l’hôtel Acatlán au Mexique, l’artiste se déplace tout autour de la cour intérieure, en s’asseyant parfois sous une arcade, parfois près de la fontaine, puis synthétise ces points de vue en une seule image. En plus d’un changement de point de vue spatial, un autre changement est à l’œuvre, temporel celui-là: Hockney peint cet hôtel au Mexique le lendemain et le surlendemain de son arrivée, puis deux semaines plus tard.

La sixième section de l’exposition parle des expériences spatiales. Partant de la conclusion que l’appareil photographique banalise le monde et décourage l’observation active, Hockney continue de chercher des façons de représenter les choses autrement qu’avec une lentille. Après s’être livré à des expériences avec les premiers programmes graphiques informatiques, les photocopieurs et les fax pour créer et diffuser son oeuvre, il se tourne désormais vers l’appareil digital pour documenter la vie de l’atelier. Au début des années 1990, il entame dans sa maison de plage à Malibu une série de peintures explorant l’espace profond de la mer ainsi que de petits portraits à l’huile d’amis et de parents, au format photocopie. Les projets réalisés pendant cette période pour l’opéra, caractérisés par des décors audacieux, aux couleurs et à la lumière brillantes, ainsi que par des formes et des plans abstraits, engendrent un nouveau désir d’impliquer le spectateur de manière plus directe dans ses compositions. L’idée est explorée dans les séries Some New Prints et Some More New Prints (Quelques nouvelles gravures et quelques autres nouvelles gravures). Bien qu’ayant rejeté l’abstraction dans les années 1950 et 1960, David Hockney en revient ici à des motifs et à des contours abstraits pour créer une impression de superposition et de profondeur, où les formes sont suggérées plutôt que figurées. La liberté et la variété des gestes artistiques visibles dans les peintures de cette période – descriptives et décoratives, dénotant l’espace, le matériel et l’expérience – reflètent les strates de mémoire et le processus d’invention qui s’y opère.

La septième section s’intitule Dans l’atelier. Trente ans après avoir réalisé ses doubles portraits emblématiques, l’artiste revisite de façon inédite le sujet des personnages, isolés ou en groupe, en intérieur.

In the Studio, December 2017 est un autoportrait de l’artiste dans son atelier, entouré d’œuvres anciennes et récentes, et composé de 3 000 photographies numériques assemblées en un dessin photographique. En se jouant du point de fuite unique de la perspective traditionnelle, le tableau donne l’impression d’un point focal qui se déplace en trois dimensions, confortant la conviction de Hockney que, si un spectateur ou un artiste est mobile, l’image qui en résulte doit elle aussi refléter plusieurs points de vue. David Hockney décrit cet autoportrait avec les mots: «l’œil est toujours en mouvement; s’il ne bouge pas, c’est que vous êtes mort. Quand mon œil bouge, la perspective varie selon la façon dont je regarde, si bien qu’elle est en constante évolution; dans la vie réelle, quand vous êtes cinq personnes à regarder, il y a un millier de perspectives.» L’atelier est le lieu où le questionnement constant et le travail d’observation génèrent des images – figurations et représentations – susceptibles d’égaler la façon dont nous percevons le monde.

La huitième section explore la peinture de paysage qui devient, à partir des années 2000, le principal centre d’intérêt de David Hockney. Il passe de plus en plus de temps loin de Los Angeles, dans la petite ville de Bridlington, au bord de la mer du Nord (Yorkshire de l’Est). Après avoir réalisé sur plusieurs toiles une série d’observations de plus en plus complexes et colorées de forêts, d’arbres abattus et de panoramas, il se met à utiliser la photographie numérique pour peindre davantage de mémoire. En 2010, il commence à utiliser un iPad. L’année suivante, il réalise une série de dessins numériques chroniquant l’arrivée du printemps. Peu de temps après, il étend le format quadrillé de ses tableaux composites à la vidéo, afin de faire «des images plus grandes». En réalisant qu’il peut désormais dessiner un paysage à la fois dans l’espace et le temps, il parle de ses images immersives en mouvement sur plusieurs écrans comme des premiers films cubistes.

La neuvième et dernière section de l’exposition à Aix-en-Provence s’intitule Les Maîtres du Sud. De l’espace perspectif de Fra Angelico au style cubiste de Picasso, de la ligne néoclassique ingresque, au dessin linéaire de Van Gogh et Matisse, l’admiration de David Hockney pour les maîtres anciens aussi bien que modernes irrigue son œuvre.

Pablo Picasso, depuis la visite de la grande rétrospective qui lui est consacrée en 1960 par la Tate Gallery, l’influence durablement dans la multiplicité des techniques d’expression artistique – peinture, collages, gravure et lithographie, décor et costumes d’opéra même. Sa leçon est essentielle, «analytique», dans une réinterprétation cubiste de la perspective, de l’espace et de la mémoire. Le coloris s’impose dans sa peinture comme dans la lithographie, où les hachures colorées construisent énergiquement la surface à la manière cézannienne. Il peint la Chaise de Van Gogh comme une personne, dans sa puissance monumentale et temporelle. Cet hommage fait écho à celui fait à Cézanne dans le Portrait de John Sharp, mobilisant les mêmes cadrage, pose et économie du trait que dans le Portrait de Madame Cézanne. Dans les années 1970, ce sont de nouveau les expositions du maître espagnol, à Avignon en 1973 puis au MOMA en 1980, visitée huit fois, qui lui laissent entrevoir la possibilité de l’appareil photographique comme un «outil de dessin». Les photographies deviennent préparatoires – comme celles prises au Nid de Duc – et donnent à la peinture leur dimension narrative dans des ensembles complexes de photomontages.

David Hockney et Paul Cézanne

Jean Frémon dirige la galerie Lelong (Paris et New York) qui représente David Hockney in France. Le galeriste note, qu’en 1993, David Hockney avait intitulé Ma façon de voir un livre qui retraçait ses trente premières années de peinture. Il y commentait sa décision de travailler à partir de 1980, avec l’absence de personnage avec les mots qu’il était convaincu que la présence humaine pouvait être ressentie sans être représentée. L’appui de cette thèse était une nature morte de Cézanne représentant des pommes, fortement empreinte de présence humaine, selon l’artiste.

Jean Frémon souligne que l’inversion de la persprective est un concept qui passionne David Hockney depuis longtemps. Il s’agit de représenter un object de telle sorte que les lignes par parallèles de son plan s’éloignent l’une et l’autre à l’infini. Leur point sécant, au lieu d’être au fond du tableau est en avant de celui-ci. Là où se trouve le spectateur ou même au-delà de lui. Jean Frémon note que cette technique, couramment pratiquée dans l’antiquité eet à Byzance, fut fréquemment reprise par les peintres modernes – et Cézanne le premier. David Hockney a appliqué cette façon de voir à la fameuse chaise de paille de la chambre à coucher de Vincent Van Gogh à Arles. Jean Frémon écrit que là aussi, la présence humaine, celle d’un artiste perdu en lui-même, est intensément prégante sans être directement représentée. Selon le galeriste, tous les grands peintres ont spontanément compris que la perspective monofocale classique ne rendait pas compte convenablement de la réalité telle que nous la vivons avec nos deux yeux, constamment en mouvement. David Hockney en est certain et le démontre à chaque instant. Selon sa vision, le cubisme ne serait pas une époque révolue, et Picasso aurait été cubiste toute sa vie et pas seulement de 1907 à 1915.

Jean Frémon écrit que, si la relation directe entre Cézanne et Hockney n’est pas immédiatement perceptible, il suffit d’avoir présent à l’esprit l’importance de Cézanne pour Picasso et Matisse pour comprendre que c’est à travers eux que s’est exercée l’influence de Cézanne sur David Hockney. Le musée Van Gogh à Amsterdam a d’ailleurs organisé une exposition intitulé Hockney/Van Gogh: The Joy of nature (catalogue en anglais: Amazon.fr, Amazon.com), présentant les influences des deux artistes et leur vision souvent similaire de la nature. A Aix-en-Provence, la gravure Les Tournesols de David Hockney de 1951 fait penser à Vincent Van Gogh.

En 2014 et 2015, David Hockney réalise une série d’œuvres qu’il appelle Photographic Drawings en hommage à Paul Cézanne, le maître né et mort à Aix-en-Provence. Il s’agit de scènes d’atelier avec personnages, photographiés séparéments et replacés dans l’ensemble; c’est là qu’est le travail manuel qui fait de ces photographies des dessins, explique Jean Frémon. L’artiste y poursuit des recherches sur l’espace et l’illusion de profondeur, une autre démonstration de sa théorie de la perspective inversée et de la vitalité du cubisme issu de Cézanne.

Tout au long de sa vie, David Hockney a pratiqué l’autoportrait comme ses maîtres Paul Cézanne et Vincent Van Gogh. Il a peut-être été influencé par l’exposition Face to Face pour son autoportrait au fusain de 2001. Et récemment, dans son nouvel atelier normand, David Hockney en a réalisé plusieurs nouveaux, en costume, cravate, casquette et cigarette, sans complaisance d’un vieil homme qui n’a pas peur de la mort mais qui aime la vie et entend la célébrer jusqu’à son dernier souffle, rapporte Jean Frémon.

La salle que le musée Granet à Aix-en-Provence ajoute à la sélection de la Tate Gallery de Londres couvre, en quelques exemples bien choisis, la trajectoire de David Hockney depuis ses débuts, souligne Jean Frémon.

Catalogue sous la direction de Helen Little: David Hockney Moving Focus: Collection de la Tate. In fine éditions d’art, février 2023, 223 pages, illustré, édition trilingue: allemand-anglais-français. Commandez ce livre chez Amazon.fr.

A lire également l’article allemand au sujet de l’exposition David Hockney. Die Tate zu Gast au Bucerius Kunst Forum Hamburg, 2020.

Pour faciliter la lecture, les citations et citations partielles dans cette critique de l’ouvrage David Hockney Moving Focus: Collection de la Tate ne se trouvent généralement pas entre guillemets.

Critique de livre ajouté le 22 février 2023 à 13:42 heure de Paris.