Ernst Röhm

Déc 04, 2023 at 17:18 428

La biographie du chef d’état-major de la section d’assaut nationale-socialiste (Sturmabteilung, SA) Ernst Röhm (1887-1934) par l’historienne autralienne Eleanor Hancock est parue en 2008. Ce livre a finalement été traduit de l’anglais par Anne-Sophie Anglaret et publié chez Perrin en 2023 sous le titre Ernst Röhm. Nervi, dauphin, rival (Amazon.fr).

Eleanor Hancock explique que la SA était une organisation paramilitaire conçue pour assurer la protection des rassemblements du NSDAP et pour s’en prendre à ses adversaires politiques. Elle constitua la main-d’œuvre de l’incessante activité nazie durant la période qui précéda la prise du pouvoir par Hitler; ici, l’historienne aurait pu noter que les Nazis sont venus légalement au pouvoir, par le biais d’élections mais, une fois au pouvoir, Hitler s’est vite débarassé de tout contrôle. Elle l’explique évidemment ailleurs.

Ernst Röhm joua un rôle essentiel de 1919 à 1923 et de 1931 à 1933

Selon Eleanor Hancock, Ernst Röhm joua un rôle essentiel au cours de deux périodes de l’histoire du nazisme. De 1919 à 1923, alors officier dans l’armée bavaroise, il fut le mécène, l’organisateur et le protecteur du NSDAP. De 1931 à 1933, son autorité et ses talents d’organisateur lui permirent de développer avec succès la SA, de la maintenir sous la tutelle du NSDAP et de la mettre en ordre de bataille pour les campagnes électorales des nazis en 1932 et 1933. Ernst Röhm se distinguait par d’excellentes capacités d’organisation et d’administration. Mais il ne prit une part importante qu’à la prise du pouvoir par les nazis en Bavière, pas à Berlin.

Quant au jeune Ernst Röhm, ici juste une phrase de cette excellente biographie: Contrairement à Adolf Hitler, qui était un raté dans la société d’avant guerre, Röhm y avait une place et s’y sentait à l’aise.

Avant la Première Guerre mondiale, Ernst Röhm menait une carrière banale d’officier subalterne dans l’armée bavaroise. Eleanor Hancock note, qu’après s’être distingué au front, plusieurs fois blessé, il fut, pendant les deux dernières années de la Grande Guerre, officier d’état-major, ce qui lui permit de se découvrir des talents d’organisateur. Après 1918, sous la république de Weimar, ces qualités poussèrent ses supérieurs à lui confier les dépôts illégaux d’armes en Bavière, en violation des clauses du traité de Versailles imposant une stricte limitation des capacités militaires de l’Allemagne.

Eleanor Hancock note qu’Ernst Röhm s’engagea en politique à l’issue de la Grande Guerre et profita de sa position au sein de l’armée pour soutenir les groupes paramilitaires et extrémistes de droite. Entre 1919 et 1923, il en vint à se rapprocher de Hitler et du NSDAP plutôt que d’autres formations. C’est ainsi qu’il devint l’ami personnel de Hitler en 1920, et fut même le seul cadre nazi autorisé à le tutoyer. En novembre 1923, il participa à la tentative avortée de prise du pouvoir par les nazis à Munich.

Libéré de prison alors que Hitler et d’autres responsables du putsch purgeaient encore leur peine, Ernst Röhm prit la tête de la SA en 1924-1925. Eleanor Hancock souligne qu’il chercha à mettre sur pied une «organisation cadre» rassemblant les groupes paramilitaires: le Frontbann. Selon elle, cette tentative échoua, notamment en raison de l’opposition de Hitler. En conséquence, Ernst Röhm démissionna et se retira de la vie politique, avant de s’impliquer à nouveau en 1928.

Ernst Röhm collectionnait les gravures, lisait les classiques allemands et se lia d’ami-tié avec des artistes comme Carl Anton Reichel et des chanteurs d’opéra comme Hans Beer. Son chanteur préféré était d’ailleurs le ténor roumain Joseph Schmidt, pourtant juif. Excellent pianiste, Ernst Röhm divertissait fréquemment ses amis par des récitals impromptus. Comme Adolf Hitler, c’était un wagnérien passionné. Entre 1926 et 1928, il fut régulièrement l’hôte de Siegfried et Winifred Wagner dans la Haus Wahnfried à Bayreuth. Ernst Röhm servit d’intermédiaire entre le couple et le prince Rupprecht, le dernier prince héritier de Bavière.

Déjà en 1926, Ernst Röhm fit sa première tentative – avortée – de départ en Bolivie, où il voulait devenir instructeur dans l’armée. L’historienne écrit qu’il était certainement motivé tout autant par ses besoins d’argent que par un désir de retrouver la vie militaire. De 1928 à 1930, Ernst Röhm passa deux années fructueuses en tant qu’officier dans l’armée bolivienne. Il revint définitivement en Allemagne fin 1930, acceptant la direction officielle de la SA que Hitler lui proposait depuis 1925, tout en sachant que Röhm était homosexuel; en même temps, c’était un avantage pour Hitler, puisque l’homosexualité lui donnait prise sur Röhm.

Eleanor Hancock souligne que, de 1931 à 1933, Ernst Röhm subit de constantes attaques politiques de la part des adversaires des nazis, mais aussi au sein même du parti, en raison de son homosexualité presque déclarée. Il demeura toutefois chef d’état-major de la SA grâce au soutien sans faille d’Adolf Hitler.

Eleanor Hancock souligne que, même après avoir ordonné son assassinat, Hitler faisait remarquer que quand il s’agirait d’écrire l’histoire du national-socialisme, on devrait faire figurer Ernst Röhm à la deuxième place, juste derrière lui-même.

Eleanor Hancock note, qu’après 1945, Ernst Röhm, assassiné avant le début du génocide, put représenter (pour certains) un national-socialisme non entaché par les crimes ultérieurs. Mort un an et demi après l’avènement du régime, il ne partageait la responsabilité que des toutes premières violences et des toutes premières exactions, celles commises lors de la prise et de la consolidation du pouvoir; en 1933-1934, la Sturmabteilung incarna la violence et la menace dont le NSDAP avait besoin pour s’imposer et consolider sa position.

Comme exemple d’une ligne moins dure, certains citent 1933-1934, lorsque Röhm fut prêt à rencontrer le secrétaire de la Ligue des anciens combattants juifs pour discuter. Mais Eleanor Hancock signale que malgré cette flexibilité, cette ouverture au dialogue, il n’adoucit pas pour autant la politique de la SA. Dans ce contexte, l’historienne signale que même dans le cas des mesures contre les homosexuels en 1933-1934, on ne sait pas si le chef d’état-major de la section d’assaut nationale-socialiste s’engagea activement pour empêcher leur persécution, ou si les homosexuels furent simplement protégés par le fait que les autres dirigeants nazis craignaient la réaction d’Ernst Röhm.

Ernst Röhm soutint l’idée d’une armée milicienne de type suisse, tandis qu’Adolf Hitler voulait le soutien de la Reichswehr. Et c’est le conflit avec la Reichswehr qui mena à l’assassinat de Röhm car les propositions du chef de la SA parurent trop radicales et menaçantes pour la hiérarchie militaire. Une milice de type suisse aurait signifié que la Reichswehr aurait dû se cantonner à un rôle défensif, explique Eleanor Hancock.

Dans Ernst Röhm. Nervi, dauphin, rival, l’historienne australienne souligne qu’Ernst Röhm était un monarchiste convaincu, traumatisé par la révolution de 1918-19 qui, selon lui, n’était qu’une mutinérie de l’arrière, qui n’avait réussi que parce que les officiers supérieurs ne s’étaient pas montrés suffisamment à la hauteur. Ernst Röhm était un partisan du rapprochement avec la Grande-Bretagne et la France, et un protestant pratiquant (né dans une Bavière largement catholique). Il était loin d’un révolutionnaire social. Dans ce contexte, Eleanor Hancock le juge particulièrement surprenant que les affirmations d’Adolf Hitler dans son discours au Reichstag pour justifier son action contre la SA, après le 30 juin 1934 – qu’Ernst Röhm et son entourage auraient cru à la révolution permanente – aient été acceptées.

La purge de 1934 fut considérée comme la dernière étape de la consolidation du pouvoir nazi. Par la suite, les lois contre l’homosexualité masculine furent durcies et les homosexuels furent davantage persécutés par la Schutzstaffel (les SS) et la police.

Eleanor Hancock note que les SS, plus professionnels, méthodiques et idéologiquement disciplinés, prirent la place de la SA, spontanée, imprévisible, dilettante. Peu à peu, la Schutzstaffel en vint à exercer à la fois la fonction auparavant dévolue à la Sturmabteilung – l’usage de la force à l’intérieur – et la fonction souhaitée par la direction de la SA avec la création de sa propre force armée: la Waffen-SS.

Les sources au sujet d’Ernst Röhm

Quant aux sources, Eleanor Hancock souligne entre autres, qu’après le 30 juin 1934, tous les papiers privés de Röhm furent saisis, ainsi que les archives de son ministère. Ils ont disparu depuis et ont peut-être été détruits en 1945, sinon plus tôt. Jusqu’en 1923, Ernst Röhm tint un journal au moins sous forme de notes. Ses papiers personnels ne nous sont parvenus que de façon fragmentaire – certains conservés par sa famille et d’autres dispersés dans des fonds archivistiques plus officiels. Bref, beaucoup de sources ont été perdues, et d’autres sont peu fiables.

Quant à l’autobiographie d’Ernst Röhm, L’histoire d’un traître (Die Geschichte eines Hochverräters), paru en 1928, l’historienne souligne que cet ouvrage dissimule souvent des sujets importants, sert les intérêts de son auteur et n’est pas particulièrement fidèle à la réalité. L’autobiographie reflète la façon dont Ernst Röhm voulait se présenter au monde. En tant que source, elle n’est pas sans poser de problèmes. Eleanor Hancock conclut que cela signifie que, jusqu’à un certain point, Ernst Röhm, comme Adolf Hitler, à l’abri dans le silence des sources, demeure largement inaccessible à l’historien. Sa vie intime ne peut être retracée; les détails de son quotidien sont souvent flous. Par conséquent, son étude porte inévitablement bien davantage sur sa vie publique que sur sa vie privée.

Eleanor Hancock écrit à la fin de son ouvrage qu’Ernst Röhm se considérait d’abord et avant tout comme un soldat, et qu’il mourut en soldat (parce qu’il refusa de se suicider parce que cela aurait impliqué qu’il admît sa culpabilité). Il a été tué dans sa cellule par des balles tirés par des officiers SS.

Eleanor Hancock a réussi à écrire une histoire passionnante d’un personnage clef, mais peu connu, même si beaucoup reste à élucider.

Eleanor Hancock: Ernst Röhm. Nervi, dauphin, rival. Perrin, 2023, 411 pages. (Acceptez tous les cookies pour arriver directement à la page du livre; nous recevons une commission) Commandez ce livre chez Amazon.fr.

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Critique de livre du 4 décembre 2023. Ajouté à 17:18 heure de Paris.