Histoire de Jérusalem

Nov 10, 2022 at 17:28 860

Olivia ou Zeitoun, qui doit sa vie à un berger qui passait au sommet d’une colline – le mont des Oliviers – il y a 4000 ans, a « tout vu, tout vécu, tout observé ». Cet olivier nous raconte l’histoire de Jérusalem de l’origine à nos jours. C’est ainsi que commence Histoire de Jérusalem (Amazon.fr), la bande dessinée (BD) de l’historien français Vincent Lemire (texte et scénario), qui travaille depuis un quart de siècle sur la ville, de Christophe Gaultier (dessins) et de Marie Galopin (couleurs).

En dix chapitres, le lecteur parcourt l’histoire de cette ville qui est presque dépourvue d’eau potable, située à l’écart des routes commerciales, mais toutefois le berceau des trois grandes religions monothéistes judaïsme, christianisme et islam, qui partagent un horizon apocalyptique: le Jugement dernier se déroulera sur le mont des Oliviers.

Jérusalem est riche en évènements: une ville fortifiée il y a 4000 ans, assiégé par l’assyrien Sennachérib, conquit par Nabuchodonosor, qui détruit le Temple, la reconstruction du temple par l’empereur perse Cyrus II, la purification du Temple par Judas Maccabée, la conquête de Jérusalem par Pompée et la domination romaine, Hérode le Grand qui s’empare de la ville et initie ses grands travaux. D’autres (sous-) chapitres sont dédiés à Ponce Pilate, préfet de Judée et la prédication de Jésus de Nazareth, la conquête de la ville par Titus et la nouvelle destruction du Temple, la fondation de l’Aelia Capitolina sur le site de Jérusalem par l’empereur Hadrien. Dans cette BD, le lecteur découvre la génèse de la Jérusalem chrétienne, puis d’Al-Qods, Ville Sainte de l’Islam, le siècle des croisades, la paix des Ottomans, le rêve de Sion, les accords d’Oslo de 1993 et bien plus encore. Il y rencontre des personnages tels que Saladin et le Sultan Sélim Ier, Chateaubriand, Gogol et Flaubert, le maire Teddy Kollek, Ariel Sharon et même le président américain Donald Trump, qui reconnaît en décembre 2017 Jérusalem comme capitale d’Israël, mais on n’y trouve pas de trace de Benjamin Netanyahou.

Quant au diplomate anglais Robert Curzon, il assiste en 1834 à la cérémonie du Feu sacré, point d’orgue de la Pâque orthodoxe. Le patriarche grec entre dans le tombeau, ressort avec le feu sacré. Les fidèles se précipitent sur lui pour allumer leurs cierges. La fumée abscurci tout. On ne peut plus respirer. Les pèlerins tombent des galeries et s’écrasent sur le sol. Pris de panique, les gens se marchent dessu. Les soldats d’Ibrahim Pacha, le fils aîné du vice-roi d’Egypte, lui frayent un chemin vers la sortie, à grands coups de sabres et de baïonnettes. 400 personnes meurent, des centaines sont blessés. Robert Curzon demand à Ibrahim Pacha comment il compte à l’avenir sécuriser la cérémonie. Celui-ci lui répond: « Si j’étais chrétien, j’aurais déjà interdit depuis longtemps cette grotesque supercherie! Mais je suis musulman… et la fête du Feu sacré rapporte beaucoup d’argent aux Grecs… Cette interdiction serait donc vue comme une persécution! » (Robert Curzon: Visite aux monastères du Levant, 1849).

Ce n’est qu’une des mille (ou presque) histoires au sujet de Jérusalem. Cette ville a été, tour à tour, sous domination égyptienne, perse, juive, grecque, romaine, byzantine, arabe, croisée, mamelouke, ottomane, anglaise, jordanienne, israélienne et palestinienne. Elle a connu des phases de prospérité, de reconstruction, de tolérance et d’autonomie, mais également de massacres, de destruction, de répression et d’intolérance.

Les scènes et dialogues de cette bande dessinée sont inspiré par plus de 200 sources publiées et d’archives inédites. Il s’agit donc de la « vérité historique », en tout cas fondée sur des faits, fouilles et récits historiques, et non pas d’une BD romanesque.

En tant que Suisse, j’ai tout de même trouvé une erreur: la roche calcaire percée d’une multitude d’alvéoles et de grottes, dont les habitants de Jérusalem ont toujours fait des nécropoles, des sanctuaires ou des citernes, après les avoir exploitées en carrières, ne ressemble pas à un gruyère, mais à un frommage emmental.

Un dernier fait relevé par Vincent Lemire pour conclure: la plus ancienne mention écrite de Jérusalem connue à ce jour date de 1800 avant J.-C. Elle se trouve sur une figurine découverte en Egypte, on parle de la ville de Rushalimum. Je me suis toujours demandé si le monothéisme n’a pas été importé de l’Egypte d’Akhenaton, qui est décédé vers 1337 avant J.-C. Pour le moment, les historiens n’ont pas de réponse à cette question. Vincent Lemire ne mentionne pas cette possibilité, mais il écrit qu’à El-Amarna, la capitale du pharaon Akhenaton, on a retrouvé sept tablettes gravées vers 1400 avant J.-C. par les scribes du roi de Jérusalem Abdi-Heba, en lutte contre les tribus nomades des Habiru, peut-être des lointains ancêtres des Hébreux. Les tablettes révèlent qu’Abdi-Heba a été éduqué à la cour du pharaon.

Bref, cette bande dessinée offre une multitude d’informations qui donnent envie de se plonger encore plus dans les détails de l’histoire de cette ville fascinante. Les sources et une bibliographie à la fin de la BD permettent exactement cela.

Histoire de Jérusalem, bande dessinée (BD) par Vincent Lemire (texte et scénario), Christophe Gaultier (dessins) et Marie Galopin (couleurs). Les Arènes, 27 octobre 2022, 253 pages. Commandez cette bande dessinée chez Amazon.fr.

Du même auteur, entre autres livres:

– Vincent Lemire: Au pied du Mur. Vie et mort du quartier maghrébin de Jérusalem, Seuil, janvier 2022, 416 pages. Commandez ce livre chez Amazon.fr.

– Vincent Lemire: Jérusalem 1900. La ville sainte à l’âge des possibles, Armand Colin, 2013, 254 pages. Commandez ce livre chez Amazon.fr.

Les photos de trois pages tirées de la BD Histoire de Jérusalem en bas: copyright © Vincent Lemire et Christophe Gaultier.

Article du 10 novembre 2022, ajouté à 17:28 heure de Paris.