La chancelière Angela Merkel

Oct 13, 2005 at 00:00 542

Dans les pays démocratiques, les électeurs sont à long terme responsables de leurs dirigeants. Le 18 septembre 2005, les Allemands n’ont pas clairement voté pour un changement. Sept années de chaos rouge-vert n’ont pas suffi. Est-ce que l’Allemagne va toujours trop bien pour que ses citoyens réalisent enfin que des réformes sérieuses sont inévitables? En tout cas, l’opposition formée des Unions démocrates-chrétiennes (CDU-CSU) et des Libéraux (FDP) n’a pas eu de majorité significative. Après un temps de discussion, les deux grands partis du paysage politique allemand se sont mis d’accord les 9 et 10 octobre 2005 pour former une grande coalition sous l’égide d’Angela Merkel, la première chancelière dans l’histoire de l’Allemagne. Sous deux réserves: les négociations pour une grande coalition doivent encore définitivement aboutir et, ensuite, le Bundestag, la chambre basse du parlement, doit approuver le nouveau gouvernement.

Ce résultat n’était pas évident. Etant donné l’objectif de gagner une majorité absolue ensemble avec les Libéraux par les urnes, le maigre résultat de 35,2% des suffrages équivaut à une défaite pour la CDU/CSU. En plus, c’est une gifle personnelle pour Merkel. La femme sérieuse mais terne n’a pas convaincu les électeurs qui préfèrent toujours Schröder. The Economist avait beau posé une semaine avant les élections de 1998 la question rhétorique et toujours pertinente suivante: Achèteriez-vous une voiture d’occasion à cet homme? (La réponse étant évidemment que non). Mais les électeurs en décidèrent autrement, et depuis, ils n’ont toujours rien appris.

En effet, seulement 20% des femmes sur le territoire de ce qui fut la RDA ont voté pour Merkel lors des élections du mois passé. En plus, dans les sondages sur l’ensemble de l’Allemagne, les électeurs ont toujours exprimé un avantage clair et net à Schröder sur Merkel en ce qui concerne le poste de chancelier. Pour évincer un rival potentiel, Friedrich Merz, Merkel a juste avant les élections été chercher le professeur Paul Kirchhof de Heidelberg comme spécialiste des finances pour son équipe gouvernementale. Kirchhof préconise un modèle flat tax, soit un taux d’imposition unique. Il fut un peu maladroit durant la campagne électorale, car il savait très bien que l’Union CDU-CSU avait adopté un modèle avec trois taux d’imposition dans son programme électoral. Schröder, en habile démagogue, comme d’habitude, a su en profiter pour peindre un futur noir pour le modèle de l’Etat social allemand sous un gouvernement démocrate-chrétien. En plus, l’unique débat télévisé entre les deux candidats pour le poste de chancelier a été dominé parle thème de Kirchhof et de sa flat tax, un faux-pas inexcusable des journalistes. Le parti qui est sorti des élections générales avec un avantage de quatre sièges a su toutefois imposer sa candidate, Angela Merkel, comme chancelière. Le prix en est lourd: huit ministères pour le SPD dans la nouvelle grande coalition.

Qui est donc Angela Merkel, cette femme qui hérite d’une dette de l’Etat colossale et d’un taux de chômage qui atteint 11.5% en juillet 2005? Pour la plupart des Allemands et des observateurs étrangers, elle est restée une énigme. Gerd Langguth, professeur de science politique à l’université de Bonn a essayé de clarifier la question (Amazon.de). Ce membre de la CDU est un initié, car il fut longtemps député et membre du comité de direction du parti. Il connaît Angela Merkel depuis l’époque où elle fut le second porte-parole du dernier gouvernement (réformateur) de la RDA sous Lothar de Maizière, qui négociait la réunification.

Le plus surprenant de cette biographie est que cet initié a su garder une distance critique envers son chef de parti. Le résultat est le portrait politique le plus pertinent d’Angela Merkel jusqu’à aujourd’hui. En plus, Langguth nous décrit les rouages de la CDU.

La distance critique se manifeste notamment dans les pages dédiées aux événements qui ont amené les chutes des protecteurs de Merkel, de Maizière et Krause, dont elle a profité. Plus tard, elle a évincé Kohl, Schäuble, Stoiber et Merz. Qui est donc cette femme au sang froid?

Angela Dorothea Kasner est né le 17 juillet 1954 à Hambourg. Elle est la fille d’un pasteur protestant qui se transféra en RDA peu après sa naissance. Tandis que la grande migration a lieu d’est en ouest de l’Allemagne, la famille Kasner emprunte le chemin inverse, car le père veut aider à combler le manque de pasteurs en RDA. Depuis 1952/53, l’Etat athéiste a brutalement attaqué les oeuvres pour la jeunesse des deux églises chrétiennes. Le jeune père accepte donc volontairement de fortes privatisations pour sa famille.

Angela fut une écolière brillante, qui garda une certaine distance envers le régime, sans pour autant le critiquer publiquement ou joindre les dissidents. Après ses études de physique, elle travailla pendant une douzaine d’années discrètement dans l’Institut der physikalische Chemie der Akademie der Wissenschaften à Berlin-Est, sans jamais s’immiscer dans la politique. Seulement après la chute du mur de Berlin en 1989, elle décida de devenir active dans le parti Demokratischer Aufbruch, qui joignait peu après la CDU. Second porte-parole dans le dernier gouvernement de la RDA, Angela Merkel se fit remarquer par Helmut Kohl, sous lequel elle fit une carrière rapide de ministre.

Dans la première biographie qui va au-delà de la simple lecture des journaux en ce qui concerne la carrière politique de Merkel, Langguth explique que la future chancelière, contrairement à Kohl, utilise la presse non pas comme véhicule, mais comme allié. Selon le professeur, elle cherche délibérément la proximité des journalistes pour se faire des amis et les gagner à sa cause. Sa montée au pouvoir s’effectue non pas contre la presse comme Kohl, mais avec le soutien de celle-ci. Cependant, elle sait fort bien qui prend des positions critiques envers elle, mais sait entretenir des relations aimables avec tout le monde, tandis que Kohl était attaché à une vision manichéenne faite d’amis et d’ennemis.

Pourtant, de Helmut Kohl, elle a appris la volonté absolue du pouvoir. Pendant que le reste du parti hésitait encore, elle lançait un article de journal en 1999 pour se séparer de son ancien mentor, éliminant ainsi en même temps, mais à moyen terme, son rival Schäuble, également impliqué dans l’affaire des caisses noires du parti. Comme Kohl, dans toutes ses nouvelles fonctions, elle a su gagner du respect en employant la manière forte et, si nécessaire, en ignorant les instances du parti. Avec l’ancien chancelier, elle partage en outre une méfiance extrême. Par contre, elle se distingue de Kohl en ce qui concerne son style. L’ancien chancelier parlait de manière « nébuleuse et imagée », tandis que la physicienne a coutume d’employer un langage clair et net. Par contre, du temps vécu en RDA, elle a appris les manoeuvres de diversion et de camouflage, explique Langguth.

Pendant longtemps, Angela Merkel a été perçue comme un franc-tireur sans troupes d’appui dans la fraction parlementaire. Cet état de fait a changé. Langguth décrit le réseau d’appui de la future chancelière sur de nombreuses pages. Pour entretenir ses contacts, elle utilise le téléphone et les texto. Dans le « système Merkel » figurent notamment les noms de Norbert Röttgen, Peter Altmaier, Eckart von Klaeden, Ronald Pofalla, Peter Hintze, Wolfgang Bosbach, Friedbert Pflüger, Volker Kauder, Ursula von der Leyen, Annete Schavan, Hildegard Müller, Reinhard Göhner, Tanja Gönner, Katherina Reiche, Annette Widmann-Mauz, Beate Baumann, Eva Christiansen et bien d’autres encore.

Gerd Langguth résume son avis sur Angela Merkel en dix thèses: Premièrement, elle posséderait la volonté absolue du pouvoir. Deuxièmement, la généraliste et physicienne n’aurait pas d’a priori historique et ne serait pas idéologiquement fixée. Langguth critique cette attitude pragmatique qui la fait sous-estimer les expériences et attitudes transmises échappant à la pensée rationnelle. Troisièmement, elle serait imprégnée par la rigueur et la prétention de l’absolue de son père. Sa vie d’aujourd’hui serait une émancipation politique de son père, profondément impliqué dans le régime de la RDA. Quatrièmement, ses expériences en RDA l’auraient amenée à être incapable de communiquer et de faire des connections émotionnelles. Très tôt en RDA, elle aurait appris à séparer le monde officieux avec la loyauté envers l’Etat et le monde de la pensée privée. Cinquièmement, les convictions de Merkel seraient des contre-projets nés de l’expérience du socialisme réellement existant et de son économie du manque ainsi que d’une vie quotidienne idéologiquement surchargée aux allures de marxisme-léninisme. La future chancelière penserait en termes de liberté individuelle et de responsabilité, d’où son image positive des Etats-Unis. Merkel ne serait pas ancrée dans le capitalisme rhénan avec son élargissement de l’Etat providence. Elle serait au contraire convaincue que seule une Allemagne profondément réformée pourrait survivre. Langguth critique le fait que, dans ses projets de réformes, notamment dans la politique de santé, elle se serait trop fixée dans le détail pour donner une orientation claire. Ainsi elle aurait ouvert son flanc à ses adversaires. Kohl aurait chargé des individus et des commissions pour élaborer les détails, pour ne décider qu’à la fin, lorsque les majorités sont clairement établies. Langguth oublie cependant, que c’est ce procédé qui est partiellement responsable du manque de réformes en Allemagne, avec des compromis qui ne font de mal à personne mais n’avancent à rien. Sixièmement, Merkel serait sceptique en ce qui concerne la réglementation de la société. Sa devise pourrait être: « En cas de doute, pour la liberté. » Avec cette position, elle serait souvent dans la minorité dans son propre parti sur des questions de politique sociale. Septièmement, à côté des calculs d’acquisition et de maintien du pouvoir inné à chaque homme politique, sa mobilisation politique serait plutôt le résultat de raisonnements rationnels que de convictions traditionnelles de la CDU. Huitièmement, sa perception des femmes en politique serait impitoyable et marquée de réserve envers le sexe faible. L’image du rôle de la femme pour Merkel, forgée en RDA, l’aurait éloignée des femmes politiques d’Allemagne de l’Ouest. Dans ce sens, on peut souligner le fait mentionné plus haut, à savoir que Merkel n’aurait gagné que 20% du vote féminin sur le territoire de ce qui fut la RDA. Neuvièmement, Merkel représenterait comme aucun homme politique avant elle l’histoire de l’Allemagne de l’Ouest et de l’Est. Dixièmement, elle pourrait devenir la première chancelière allemande. Le 10 octobre 2005, SPD et CDU-CSU ont confirmé ce dernier point. Il faut uniquement que les négociations de coalition aboutissent et que le Bundestag élise par la suite Merkel comme première chancelière dans l’histoire de l’Allemagne.

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Livre au sujet d’Angela Merkel : Gerd Langguth: Angela Merkel. Dtv, 2005, 399 pages. Commandez ce livre en allemand chez Amazon.de. C’est la meilleure biographie pour l’instant [en langue allemande en 2005!], écrite par un homme de l’intérieur de la CDU. Gerd Langguth n’est pas seulement membre du Parti démocrate-chrétien, mais il fut aussi longtemps un membre du cercle dirigeant du parti conservateur. Il connaît Angela Merkel depuis l’époque où elle fut le second porte-parole du dernier gouvernement (réformateur) de la RDA sous Lothar de Maizière, qui négociait la réunification. Cette biographie ne nous montre pas seulement le parcours de la première chancelière allemande, mais explique en plus le fonctionnement du Parti démocrate-chrétien. Gerd Langguth: Angela Merkel. Dtv, 2005, 399 S. Buch bestellen bei Amazon.de.

Le résultat officiel des élections législatives anticipées en Allemagne du 18 septembre 2005
CDU-CSU: 226 sièges; SPD: 222 sièges; Libéraux/FDP: 61 sièges; Parti de gauche/Linkspartei (Lafontaine et Gysi): 54 sièges; Verts/Grüne: 51 sièges. Les élections ont eu lieu le 18 septembre 2005. Un siège a été gagné par la CDU dans une élection complémentaire du 2 octobre, reportée à cette date à cause de la mort d’un candidat avant les élections du 18 septembre 2005.

Article du 13 octobre 2005.

Ajouté le 22 novembre 2005 : Aujourd’hui Angela Merkel a été élue Chancelière, avec 397 voix sur les 611 validées. 202 parlementaires ont voté contre elle, 12 se sont abstenus, 1 vote a été déclaré nul. Etant donné que la Grande Coalition contrôle 448 voix (226 CDU/CSU, 222 SPD), cela signifie que probablement 51 membres de cette coalition ont refusé de donner leur voix à la Chancelière.

Ajouté le 10 février 2020 : Marion Van Renterghem : Angela Merkel, l’ovni politique. 2017, 270 pages. Commandez ce livre chez Amazon.fr.