La Collection Morozov à la Fondation Louis Vuitton

Déc 01, 2021 at 00:24 2080

Après la fabuleuse exposition Icônes de l’Art moderne. La collection Chtchoukine en 2016-2017, la Fondation Louis Vuitton à Paris montre encore jusqu’au 22 février 2022 La collection Morozov: Icônes de l’Art moderne (catalogue d’Anne Baldassari chez Amazon.fr), présentant plus de 200 chefs-d’œuvre venues de Russie.

Dans sa préface, le Président de la République, Emmanuel Macron, souligne que l’épopée de Mikhaïl et Ivan Morozov est de celles qui ont bâti un pont des arts entre les rives de la Seine et de la Moskova. Le destin de ces deux frères s’est forgé à la charnière du xxe siècle, à l’époque où la Russie parle français, où la France est bercée par Tchaïkovski, où Kandinsky et Picasso entrecroisent leurs influences à travers l’Europe, où les ballets de Diaghilev et les entrechats de Nijinski émerveillent le public parisien. Les Morozov nous laissent un testament d’audace, fait de la conviction que l’art se nourrit des échanges entre les peuples.

La collection des frères Morozov – confisquée par Lénine, puis nationalisée et dispersée – se trouve aujourd’hui essentiellement dans trois principaux musées de Russie: le Musée des beaux‑arts Alexandre‑Pouchkine, le Musée de l’Ermitage et la Galerie Trétiakov. A Paris, les visiteurs peuvent admirer la collection Morozov réunie.

Du 16 février au 31 octobre 1993 déjà, le Museum Folkwang à Essen en Allemagne a montré une sélection de 120 chefs-d’œuvre des collections Morozov et Chtchoukine sous le titre Morosow und Schtschukin – Die russischen Sammler, Monet bis Picasso (catalogue de 452 pages en allemand chez Amazon.de); cette exposition a ensuite été montrée au Musée des beaux‑arts Alexandre‑Pouchkine à Moscou du 30 novembre 1993 au 30 janvier 1993 et à l’Ermitage à Saint-Pétersbourg du 16 février au 16 avril 1994.

Revenons à Paris. Bernard Arnault, le Président de LVMH et de la Fondation Louis Vuitton note dans sa préface du catalogue La collection Morozov: Icônes de l’Art moderne que les frères Morozov, contemporains et amis de Sergueï Chtchoukine, forment l’épicentre d’un cercle de mécènes moscovites particulièrement influents qui furent à la fois philanthropes, amis des artistes et passionnés par l’art le plus novateur, russe comme français et européen. Collectionneurs des peintres russes réalistes et symbolistes de Vroubel à Sérov ou Malévitch, ils s’ouvrirent très vite à la scène artistique parisienne, où naissait un monde nouveau.

Mikhaïl Piotrovski, Directeur général du Musée de l’Ermitage, Saint-Pétersbourg, précise dans sa préface que les premiers tableaux issus de la collection d’Ivan Morozov sont entrés au Musée de l’Ermitage dans les années 1930 pour compenser la perte des œuvres de Rembrandt, Poussin, Botticelli, Titien et d’autres maîtres, œuvres transférées à Moscou. Ce processus s’est poursuivi en 1948.

Mikhaïl Piotrovski mentionne également que les frères Morozov s’inscrivent dans la tradition des grandes familles de collectionneurs moscovites. Mikhaïl, décédé jeune, a passé le relais à Ivan. Les deux portraits de Jeanne Samary de Renoir – le plus grand, acquis par Mikhaïl, le plus petit par Ivan – symbolisent cette passation. Ivan Morozov avait l’esprit tourné vers l’avenir. C’est lui qui a découvert Bonnard, bien avant son succès auprès du grand public, à la fin du xxe siècle.

Marina Loshak, Directrice du Musée des beaux-arts Pouchkine à Moscou, souligne dans sa préface la présence d’un grand nombre de chefs‑d’œuvre dans la collection Morosov, entre autres de l’Acrobate à la boule de Pablo Picasso, mon favori absolu. Elle note également que le frère aîné d’Ivan Morozov, Mikhaïl, décédé à 32 ans seulement, avait eu le temps de réunir une impressionnante collection d’œuvres contemporaines russes et françaises, et qu’il avait été le premier à acquérir et à faire venir en Russie des toiles de Gauguin, de Van Gogh et de Munch. Elle souligne que les favoris de Chtchoukine se nommaient Matisse et Picasso, Morozov accordait sa préférence à Cézanne et à Bonnard. Un de leurs contemporains avait admirablement résumé: Morozov avançait dans l’ombre, Chtchoukine dans la lumière.

Pierre Konowaloff, arrière-petit-fils d’Ivan Morozov, écrit dans sa préface qu’il y a exactement 150 ans naissait, en 1871 à Moscou, son arrière‑grand‑père Ivan Morozov, pour disparaître il y a exactement 100 ans, en 1921, alors qu’il prenait les eaux à Carlsbad. La France l’avait accueilli après son exil forcé en 1919 avec son épouse et sa fille, la grand‑mère de Pierre Konowaloff. Ce dernier note qu’Ivan Morozov ne verra pas le premier musée d’art moderne du monde s’installer précisément dans son palais en 1928, ni la liquidation du même musée en 1948 pour «formalisme» et la dispersion de sa collection.

Anne Baldassari, Conservateur général du patrimoine, commissaire général de l’exposition et directeur du catalogue La collection Morozov: Icônes de l’Art moderne, écrit que cette exposition au sujet des deux frères a été conçue en miroir à celle dédiée à leur aîné et ami Sergueï Chtchoukine (catalogue chez Amazon.fr). Ensemble avec d’autres collectionneurs tels que les frères Sergueï et Pavel Trétiakov, Savva Mamontov ou Mikhaïl Riabouchinski, Sergueï Chtchoukine et les frères Morosov contribuèrent à la création d’un nouveau monde économique, social et culturel où l’art moderne occidental et russe joua un rôle privilégié. Par leur action, ces collectionneurs pionniers ont contribué à l’avènement et au rayonnement du «siècle d’argent» moscovite (1890‑1914). L’exposition et le catalogue retracent l’histoire de ces industriels philanthropes et essaient de comprendre cet étrange et impérieux «art de collectionner» dont ils partageaient la passion, presque l’addiction.

Les deux industriels et mécènes Mikhaïl et Ivan Morozov ont été à la fois collectionneurs et commanditaires de l’art russe contemporain, réunissant 430 œuvres. Anne Baldassari écrit que Sergueï Chtchoukine commence à voyager à Paris pour visiter les Salons vers 1895. A cette époque, Ivan Morozov, qui termine sa formation de chimiste en Suisse, s’intéresse déjà à l’art contemporain russe, qu’il commence à collectionner. C’est Chtchoukine qui conduit son jeune rival industriel Ivan à l’atelier de Matisse puis l’exhorte à commander régulièrement des œuvres au peintre. Mais c’est son frère Mikhaïl qui devient, à la fin des années 1890, un familier des grands marchands parisiens, loue un appartement dans un hôtel particulier du XVIIe arrondissement et organise des fêtes grandioses pour
célébrer l’arrivée à Moscou de ses nouveaux tableaux, souvent provocateurs. A la fin, la collection Morosov compte 240 œuvres françaises, surtout des toiles, mais également des dessins, sculptures et vases.

Le catalogue offre, entre autres, des photographies d’époque, montrant l’intérieur du Musée d’art moderne occidental situé dans l’hôtel particulier d’Ivan Morozov, 21, rue Pretchistenka, Moscou. La chronologie établie par Anne Baldassari est très utile. Des essais écrits par sept spécialistes, dont Anne Baldessari, nous éclairent, et les reproductions des œuvres nous émerveillent. Un livre à mettre sous l’arbre de Noël et une exposition à ne pas manquer!

Anne Baldessari: La collection Morozov: Icônes de l’Art moderne. Gallimard, 2021, 525 pages, 28,5 x 30,5 cm. Commandez le catalogue chez Amazon.fr.

Pour faciliter la lecture, les citations et citations partielles du livre La Collection Morozov. Icônes de l’art moderne ne se trouvent pas toujours entre guillemets.

Critique de l’exposition / du catalogue, ajouté le 1 décembre 2021 à 00:24 heure de Paris. Dernière mise à jour à 16:17.