L’amiral Horthy

Nov 09, 2014 at 11:35 1671

La biographie de Catherine Horel

Le marin Miklós Horthy

La fin du bloc communiste a conduit à une réévaluation des personnalités tombées en disgrâce sous le régime communiste en Hongrie. Le régent de 1920 à 1944, l’amiral Horthy (1869-1957), est retourné au cœur du débat historique et politique. Pourtant, jusqu’en septembre 2014, il n’existait qu’un seul ouvrage de qualité scientifique à son sujet, celui de Thomas Sakmyster de 1994 (écrit en anglais) qui traite les années de 1918 à 1944. La directrice de recherche au CNRS, Catherine Horel, comble cette lacune. Elle a publié chez Perrin la première biographie complète de Miklós Horthy: L’amiral Horthy (Amazon.fr).

C’est un livre fortement recommandé à tous ceux qui s’intéressent à l’histoire de la Hongrie. Catherine Horel ne nous présente pas seulement en détail la vie de l’homme fort d’un régime douteux, mais également son contexte historique, en commençant avec la révolution de 1848 et finissant avec un certain Viktor Orbán.

Catherine Horel nous présente la conscience historique hongroise divisée entre partisans du compromis (les Labanc) et patriotes intransigeants (les Kuruc). Elle nous explique que: “La dénomination renvoie aux temps de l’occupation turque et de la double vassalité: ottomane et autrichienne. Les Labanc sont considérés comme des alliés de l’Autriche – globalement catholiques – et les Kuruc comme des révoltés (globalement protestants) contre l’Autriche. Depuis la fin du XVIIe siècle, cette distinction fait sens dans la conscience nationale et elle est régulièrement réactivée, voire manipulée par le pouvoir.”

Catherine Horel: L’amiral Horthy. Régent de Hongrie. Editions Perrin, septembre 2014, 416 pages. Commandez cette excellente biographie chez Amazon.fr. Des livres au sujet de la Hongrie chez Amazon.fr et Amazon.de.

Elle admet que, dans l’entre-deux-guerres, l’interprétation pose problème car l’indépendance nationale à un caractère kuruc, tandis que le cadre, dont le régent Horthy est la personnification, est clairement labanc. Selon la biographe, le régime Horthy tente une synthèse entre les deux pôles, à commencer par son aspect religieux. “Le gouvernement de Viktor Orbán s’approprie aujourd’hui cette référence et son chef se donne volontiers des postures d’homme providentiel, mais les parallèles avec le régence sont à la fois historiquement absurdes et politiquement dangereux.”

Selon Catherine Horel, la vie de Miklós Horthy se divise clairement autour de trois césures temporelles qui se reflètent dans les trois grandes parties de son livre: la jeunesse et le marin de 1868 à 1919, le régent de 1920 à 1945 et la fin de vie de l’homme exilé de 1946 à 1957.

L’univers mental de Horthy est fortement imprégné par ses années au service de la marine impériale. Il est issu d’une famille calviniste et terrienne, donc plutôt kuruc, mais il joint la marine impériale, plutôt labanc. Sa famille est originaire de Transylvanie et anoblie en 1635. Le père de Horthy n’est pas riche. Il possède pas plus de 100 hectares de terre. Il s’agit donc de trouver des emplois pour sa nombreuse progéniture parce qu’il ne peut pas donner de terres à tous ses fils. Miklós Horthy n’est pas un élève doué. Il apprend l’allemand est semble donc destiné à un carrière administrative ou militaire.

Un de ses frères, qui est sur le point ‘achever sa formation à l’école de cadets de la marine de Fiume, meurt suite à une blessure par une balle en papier qui pénètre sa cuisse. Il meurt dans les jours qui suivent d’une septicémie. Le jeune Miklós, enchanté par les récits de son frère au sujet de la vie à l’académie navale, veut également partir au large et à la découverte. Les parents, qui ont déjà perdu trois fils, s’y oppose d’abord farouchement, puis cèdent au fils qui sort deux un plus tard du lycée de Sopron avec un résultat “satisfaisant”. Il réussit l’examen d’entrée à l’académie navale où il s’inscrit en 1882 en tant qu’élève payant, ce qui reflète l’aisance relative de sa famille. Les calvinistes comme Horthy représentait moins d’un pourcent des soldates et n’apparaissent même pas dans les statistiques d’une marine composée à 95,7% de catholiques.

Les langues obligatoires à la marine sont l’italien et soit l’anglais soit le français. Horthy parle en plus l’allemand (il rédigera ses mémoires dans cette langue) et le Hongrois. Il maîtrise donc cinq langues. On enseigne également le serbo-croate aux officiers à Fiume car de nombreux marins parlement cette langue. Parmi les 31 matières enseignées se trouvent l’océanographie, la météorologie, la construction navale, la tactique navale, le droit maritime, etc. Horthy se distingue dans les matières facultatives musique et dessin, il est un bon pianiste. Dans l’ensemble, ses résultats ne sont pas fameux. Il est surtout remarqué pour ses aptitudes physiques et son goût pour les matières techniques. Il est anglophile.

La devise de la marine, “Le devoir a plus de valeur que la vie” (Höher als das Leben steht die Pflicht), guide Horthy tout sa vie. Il ne cesse d’aimer son métier même après la dissolution de la monarchie. Il justifie ainsi son insistance à porter son uniforme d’amiral après 1918. Il sera enterré dans son uniforme blanc.

Miklós est promu enseigne de vaisseau en 1890, puis fait une belle carrière. Il fait un voyage transocéanique de presque deux ans sur la corvette Saida, qui occupera seize pages dans ses Mémoires. C’est pour ce genre d’aventure qu’il avait choisi la marine.

En 1900, à 32 ans, il est promu lieutenant de vaisseau de première classe et obtient son premier commandement sur le torpilleur Sperber. Comme beaucoup d’officiers de la marine, il n’est pas marié. Mais, lors d’un bal, on lui présente Magdolna Purgly, une beauté et danseuse de talent. Son père, un noble avec un riche domaine, est veuf depuis longtemps et cherche des maris pour ses trois filles. Magda est très courtisé. Elle marie Horthy en 1901 et lui donne quatre enfants, Magdolna en 1902, Paula en 1903, István en 1904 et Miklós en 1907.

A 40 ans a Constantinople, Horthy gagne plusieurs régates, remporte plusieurs tournois de tennis et connaît ses plus beaux succès à cheval, notamment en gagnant au polo et en remportant la course Grand prix du Bosphore en 1908.

En 1909, Horthy devient aide de camp de l’empereur austro-hongrois François-Joseph. Il écrira dans ses Mémoires, qu’il n’avait jamais connu un autre monarque qui incarnait comme lui la majesté. “Ce fut le grand moment de ma vie, lorsque je me trouvai en présence du souverain âgé.” En novembre 1916, il assista en tant que chambellan à l’enterrement de François Joseph.

La marine de l’empire austro-hongrois est modeste. Jusqu’à l’entrée en guerre en 1915, elle ne connaît pas de conflit direct dans ses eaux pendant les années de service de Horthy.

Pendant la Première Guerre mondiale, Miklós Horthy se distingue. Il a depuis longtemps la réputation d’être le plus fringant officier de la marine. Dans un cas précis en 1915, il préconise l’offensive, voire la provocation. A bord du croiseur cuirassé Novara, il obtient du commandant de la flottille l’autorisation de lancer une opération contre un port. Horthy perd six hommes. En 1916, il détruit une partie des filets du barrage d’Otrante. En 1917, Horthy prépare une action d’envergure pour briser le barrage du canal d’Otrante. C’est la naissance de la légende du “héros” d’Otrante. Il arrive à détruire un vingtaine de bateaux. Les Austro-Hongrois ne perdent aucun navire malgré leur très nette infériorité numérique. Horthy est blessé, puis opéré par un célèbre chirurgien, mais la seule séquelle durable reste une difficulté d’audition. Catherine Horel note cependant que les “victoires” de Horthy n’avaient aucun effet sur le courant de la guerre.

A la fin de 1917, Horthy est nommé commandant du dreadnought Prinz Eugen. Ensuite, il se voit confronter à des marins mécontents, en grève, voire en émeute. L’amiral en charge montre une lenteur de décision. L’empereur Charles le démet des ses fonctions et le remplace par un homme énergétique: Miklós Horthy, 49 ans. Le 27 février 1918, Horthy accède au grade de contre-amiral. C’est le temps de la révolution et des complots. C’est trop tard. La guerre est perdue. L’empereur Charles donne l’ordre à Horthy de remettre la flotte austro-hongroise au Conseil national yougoslave afin d’éviter qu’elle ne tombe entre les mains des Italiens. C’est la fin de l’empire des Habsbourg. Horthy est ébranlé.

Le régent Miklós Horthy

Dans la deuxième partie de son excellente biographie de l’amiral Horthy, Catherine Horel nous montre comment ce marin, par des circonstances particulières ainsi que par sa volonté devient régent de la Hongrie indépendante.

Horthy est l’homme providentiel dans un pays en révolution. Il distingue entre “bons” juifs, industriels, banquiers et commerçants, et les “mauvais”, les communistes. Catherine Horel explique bien le rôle important des juifs, protestants et étrangers parmi les industriels, banquiers et autres grands bourgeois en Hongrie.

Elle décrit les deux groupes de contre-révolutionnaires: les légitimistes veulent le retour de l’empereur Charles ou à défaut d’un autre représentant des Habsbourg, tels que l’archiduc Joseph. Par contre, les autres souhaitent un retour à l’élection du roi choisi parmi plusieurs candidats.

La contre-révolution veut mettre fin au régime bolchévique, chasser les troupes roumaines, restaurer l’ordre et obtenir un juste règlement de la question territoriale à la conférence de Paix. Mais elle ne réussit que le retour à l’ordre. Catherine Horel constate: “La république de Conseils s’écroule sous le coup de l’invasion roumaine et du travail de sape entrepris par les Alliés, et ce sont ces derniers qui obtiennent les départ des Roumains. Le traité de Trianon va entériner le découpage de la Hongrie au profit des Etats successeurs.”

Les deux-camps de contre-révolutionnaires sollicitent Horthy comme l’homme providentiel. Il accepte, mais pas aussi vite qu’il ne l’écrit dans ses Mémoires, note la biographe. Le 15 juin 1919, il prête serment comme ministre de la Guerre et chef de l’armée nationale au gouvernement contre-révolutionnaire du comte Károlyi à Szeged. Les Alliés sont favorables à la contre-révolution, mais ils privilégient une solution politique. Le 19 août, l’archiduc Joseph se démet des ses fonctions de gouverneur provisoire car les Alliés, notamment la France, ne souhaitent pas voir un Habsbourg à la tête de la Hongrie. Le traité de Saint-Germain, signé le 10 septembre, interdira tout retour des Habsbourg.

Catherine Horel explique qu’au début de 1920, les légitimistes attendent toujours la restauration du roi légitime, Charles de Habsbourg. Gyula Gömbos et les autres contre-révolutionnaires souhaitent l’élection d’u souverain et envisagent de mettre Horthy sur le trône afin de se servir de lui pour établir un régime sinon fasciste, du moins corporatiste.

“Horthy n’était certes pas fasciste”, affirme Catherine Horel, “mais que pensait-il au juste?”, s’interroge la biographe. Il a été un réactionnaire, mais en même temps tolérant des formes de modernité, par exemple en musique, au théâtre et en architecture. Depuis le traité de Trianon, sa politique étrangère était imprégnée de révisionnisme.

Horthy bénéficie auprès des Britanniques d’un capital de sympathie et de confiance, mais ce n’est pas la Grande Bretagne qui met l’amiral sans flotte sur le poste de régent d’un royaume sans roi. Pour la France, Horthy est également un candidat acceptable. Selon la biographe: “Elle préfère, non sans cynisme, un régime autoritaire. Le révisionnisme va servir de repoussoir et de ferment pour la Petite Entente, dont les partenaires n’ont d’autre raison d’être que de contenir le danger allemand et accessoirement hongrois, mais peu de véritables intérêts communs.”

Horthy écrit dans ses Mémoires qu’il se trouvait au début de 1920 là où il aurait voulu éviter d’être: dans la politique. Catherine Horel remarque cependant qu’il “aurait pu démissionner à tout moment : en janvier 1920 après les élections en considérant qu’il avait accompli sa tâche. … Or, il semble bien qu’il ait pensé dès janvier 1920 à l’éventualité d’une régence sous sa conduite.” C’est à cette fin qu’il voyage dans les provinces à la fin de 1919 et au début de 1920 afin de se faire connaître de la population.

Le Parti des petits propriétaires gagne largement les élections de janvier 1920, remportant 91 sièges. L’Alliance nationale chrétienne finit deuxième avec 59 sièges. 17 députés sont des indépendants. Les 51 sièges restant se partagent entre six partis. En février, le parlement redonne à la Hongrie le statut de royaume mais la délie de son union avec l’Autriche. La régence est la solution provisoire de la question royale. On n’opte donc pas pour un roi, mais un régent. Sur 141 voix exprimés, Horthy obtient 131 voix et devient donc le régent de Hongrie.

La Hongrie n’est plus celle de 1867. Elle est largement amputée. La blessure du traité de Trianon reste ouverte jusqu’à aujourd’hui, en tout cas sur la droite. En 1920, le choc était évidemment beaucoup plus profond. La Hongrie perd 70% de son territoire et trois millions de ces habitants. Un Hongrois sur trois se retrouve en situation de minorité dans un nouveau pays. Sur le territoire amputé, 88,3% de la population sont des Magyars.

Miklós Horthy s’oppose au retour du roi Charles, non seulement parce le régent lui devrait automatiquement céder le pouvoir, mais également, parce que les Alliés s’y opposeraient. Charles revient toutefois clandestinement. Dans un tête à tête, Horthy, l’ancien aide de camp de l’empereur François-Joseph, se refuse à la demande de restauration de la part de Charles. Le prince Windischgraetz racontera qu’il trouvait Horthy en larmes: “Moi, le vieux soldat, j’ai renié mon serment.” Horthy et Charles ne se reverront plus jamais après ce 27 mars 1921.

Le régime Horthy

Quelques jours plus tard, le comte Teleki est remplacé à la tête du Conseil des ministres par le comte István Bethlen, qui restera à la tête du pays jusqu’en 1931. Son choix exprime la volonté de Horthy de stabiliser le régime. Bethlen réussit en effet de consolider le régime. Dès 1923, il se débarrasse de l’aile droite des contre-révolutionnaires qui penchent vers le fascisme, sont ouvertement antisémites et qui formeront plus tard le grand parti gouvernemental. Le corporatisme sera longtemps incarné par l’officier d’état-major Gyula Gömbös, qui a auparavant rassemblé des militaires hostiles au régime bolchevique. Certains de ses hommes de droite se retrouveront dans le mouvement des Croix-Fléchées, le parti fasciste et pro-germanique fondé par Ferenc Szálasi.

Selon Catherine Horel, Bethlen est un homme politique habile d’une haute conception du pouvoir qui “met en œuvre une politique conservatrice qui rappelle à bien des égards la période d’avant 1918, mais il introduit aussi un système d’assurance-maladie et vieillesse, dont les ouvriers sont les seuls bénéficiaires, au détriment du prolétariat rural.” L’éduction et la culture font partie de ses priorités.

L’ex-roi Charles fait une nouvelle tentative de retour, mais il échoue et finit avec son épouse Zita en exile à Madère, où il réside d’abord dans un annexe du Reid’s, puis finit dans une Quinta à Monte, où il s’éteint le 1er avril 1922.

Les légitimistes sont pour la plupart de l’avis du comte Windischgraetz qui voit Horthy comme un héros de guerre, qui n’était pas au départ un criminel, mais dont l’action était catastrophique pour la Hongrie. Ils voient l’évolution de l’Europe comme le résultat de l’effondrement de l’ancien régime. La restauration de Charles auraient, selon les légitimistes, empêché l’avènement du nazisme.

Catherine Horel sougligne que Horthy est devenu régent, mais il n’avait aucune ambition de se faire couronner, ce que même ses détracteurs les plus virulents admettent. Il n’avait non plus le désir de fonder une dynastie.

Le régime Horthy montre des éléments de modernité, mais les structures restent celle de l’ancien régime. Sur 7,7 millions d’Hongrois en 1920, plus de 5 millions appartiennent au monde rural. A la tête de la pyramide sociale se trouvent quelques 500 familles d’aristocrates grand propriétaires ainsi qu’une cinquantaine de familles de grandes dynasties industrielles, en majorité des juifs et des protestants dans un pays catholique. Catherine Horel décrit bien la composition sociale, religieuse et nationale de la Hongrie avant et après le traité de Trianon.

La gauche est définitivement écartée du pouvoir lors des élections de 1926. Il reste encore quelques députés et des journaux sociaux-démocrates en opposition. Les communistes sont contraints à la clandestinité. Ils se dissimulent au sein du Parti social-démocrate et se bornent à une action syndicale. Le chef incontesté des communistes, Béla Kun, vit à Moscou. En Hongrie, les journaux prolifèrent et la censure est levée. Les années 1930 sont le tournant vers la répression dont les communistes sont les premières victimes. La lutte contre les fascistes s’intensifie également. En 1930, il n’auront plus aucun moyen d’expression dans la presse.

Selon Catherine Horel, “le révisionnisme devient la raison d’être de la Hongrie de l’après-guerre. … Le saint roi Etienne devient la figure privilégiée par la propagande du régime Horthy.” Parmi les responsables du démembrement de la Hongrie, on trouve les gouvernements libéraux, les communistes et les juifs. Cependant, le révisionnisme et l’organisation de sa propagande sont antérieures au régime Horthy. C’est le gouvernement Mihály Károlyi qui a mis en place un Office national de propagande, qui a lancé le slogan célèbre: “Nem, nem, soha” (Non, non, jamais) contre le démembrement de la Hongrie.

Catherine Horel peint le tableaux des organisations et mouvements révisionnistes, gouvernementaux et autres (tels que ceux de Gömbös), certains avec une idéologie ouvertement antisémite et raciste.

La majorité des aristocrates hongrois sont des anglophiles convaincus, à commencer par le comte Bethlen. L’amiral Horthy lui-même, de part sa formation de marin, “est résolument favorable à la Grande-Bretagne.” En politique étrangère, Budapest espère que Londres influencera Paris. Catherine Horel montre la situation difficile d’une Hongrie isolée au niveau international, notamment par la politique de la France et de la Petite Entente.

En tant que premier ministre de 1932 à sa mort en 1936, Gyula Gömbös fait un voyage à Berlin, mais il revient déçu parce que Hitler ne s’intéresse pas à son idée d’un pacte germano-italo-austro-hongrois. Ce dernier fait comprendre à Gömbös que “la Hongrie devrait se contenter, après la destruction de la Tchécoslovaquie, du retour de ces anciens territoires, et que l’Allemagne ne soutiendrait pas le révisionnisme hongrois envers la Yougoslavie et la Roumanie qu’elle cherche à attirer dans son orbite.” Selon Catherine Horel, l’Allemagne se méfie à juste titre du double jeu hongrois.

“Dans l’image de l’historiographie communiste …, le régime Horthy était très clairement apparenté au fascisme”, explique Catherine Horel, qui note cependant que cette vision ne résiste pas à l’examen des structures et des hommes de la Hongrie de l’entre-deux-guerres. La contre-révolution n’a pas débouché sur une dérive dictatoriale. Et le gouvernement Gömbös de 1932 à 1936, malgré des aspects empruntés au fascisme italien, fait davantage penser au corporatisme autrichien sous Engelbert Dollfuss. La droite de la contre-révolution, les hommes de Szeged, n’ont pas pu s’imposer sous Horthy. La droite fasciste en Hongrie est issue de la classe moyenne et ne peut séduire ni les élites ni les paysans. Malgré son ambition, Gömbös ne réussit ni à créer un mouvement de masse ni d’établir un grand parti corporatiste qui aurait pu évoluer vers le fascisme. Catherine Horel note, que Horthy et la plupart des politiciens ne sont ni moderniste ni révolutionnaire. Au contraire, ils sont opposés à l’idée de Gömbös de renverser l’ordre social qu’ils viennent de rétablir. Horthy n’est pas un chef charismatique dans la définition de Max Weber, mais au contraire un homme ancré dans la vision traditionnelle du pouvoir.

“Horthy redonne au pouvoir une dimension confessionnelle.” Le christianisme est le socle de la nation. Cette définition exclusive dénie aux juifs la participation à la communauté nationale. C’est “le défaut de la cuirasse de l’amiral.” En même temps, le régime combat “l’athéisme de la gauche et la mystique fasciste.”

La Hongrie devient plus catholique et calviniste après 1920, nettement moins orthodoxe et uniate. Par contre, le nombre de juifs reste stable autour de 5%. A Budapest, les juifs forment 25% de la population en 1910.

Les vrais fascistes en Hongrie se recrutent dans le cercles militaires de la contre-révolution. Toutefois, les idées “idées de Szeged” ne sont pas entièrement transposables dans le fascisme hongrois des années 1930. Catherine Horel mentionne quelques 10,000 associations et groupes de droite, dont deux sont particulièrement importants pour le développement du fascisme hongrois: l’Association Etelköz qui rappelle pars son nom la région de l’origine mythique des tribus hongroises ainsi que le Réveil magyar.

En 1920, Gyula Gömbös espère que Horthy instaure un régime militaire, mais le régent ne rêve pas d’une dictature. Gömbös est vite neutralisé au sein du parti gouvernemental créé par Bethlen. En 1923, ensemble avec quelques fidèles, Gömbös le quitte pour fonder son propre parti qui prendra bientôt le nom plus explicite de Parti de défense de la race. Il noue immédiatement des contacts avec Ludendorff en Allemagne ainsi que les fascistes en Italie et Atatürk en Turquie. Bethlen fait tout pour que ce parti raciste échoue lors des élections de 1926. Seulement Gömbös réussit à conserver son mandat. Bethlen le neutralise en 1928 en le faisant entrer au gouvernement en tant que ministre de la Défense. Lorsque Gömbös arrive au pouvoir en 1932, il modère son discours. Selon Catherine Horel, “dans l’intervalle, l’héritage fasciste a été repris par d’autres”.

Horthy et les Croix-Fléchées de Ferenc Szálasi

Ferenc Szálasi (1897-1946) entre en scène. Ses Croix-Fléchées sont plus radicales que les partis précédents ou existants. Il a entrepris un voyage en Allemagne pour étudier le mouvement national-socialiste. Une loi de 1921 qui a initialement servit à combattre les communistes punit tout individu qui propagerait de fausses appréciations en vue de nuire à l’Etat et à la nation hongroise. Les chefs des Croix-Fléchées tombent évidemment sous cette accusation. En 1933, le régime Horthy interdit la chemise brune et la swastika comme “symboles d’une puissance étrangère”, ce qui conduit le parti à l’adoption de la chemise verte et de la croix fléchée comme symboles.

Catherine Horel identifie deux éléments qui freinent l’influence de ce nouveau parti: Les commandes de l’Allemagne nazie redressent l’économie hongroise et l’Allemagne permet à la Hongrie de regagner certains territoires perdus. En outre, les Eglises catholique et protestante condamnent “les Croix-Fléchées dont la démagogie est assimilée à celle des bolcheviques.”

Ferenc Szálasi voit l’avenir de la Hongrie dans une Europe dominée par l’Allemagne nazie d’un certain Adolf Hitler. “une dimension fantasmatique” de l’idéologie du leader des Croix-Fléchées. La doctrine du “hungarisme” voyait les Allemands, les Hongrois et les Japonais comme trois peuples élus devant se partager le monde. En vertu de leurs origines asiatiques, les Hongrois auraient eu la vocation à faire le lien entre Orient et Occident.

Cette doctrine rejoint celle préexistant du “touranisme” qui prévoyait le partage du territoire de l’Empire russe entre la Hongrie, la Turquie et le Japon.

Hitler rêvait d’un Reich millénaire qui incorporait la Hongrie tandis que Szálasi avait à l’esprit non pas une Hongrie comme vassal ou satellite mais comme partenaire de l’Allemagne.

Dès le commencement de ses activités au début des années 1930, Horthy est au courant de ce que fait Szálasi, “mais le considère comme un factieux. En 1937, il autorise néanmoins son chef de cabinet à l’approcher pour connaître ses plans : Szálasi propose ni plus ni moins un putsch organisé par Horthy lui-même avec les soutien de l’armée et sa propre nomination comme Premier ministre.”

Horthy a évidemment d’autres idées. Ce ne sera qu’en 1944 que ces deux personnages se rencontreront. Horthy ne mentionne pas cet entretien de 100 minutes dans ses Mémoires. Le seul témoignage se trouve dans les notes du journal du leader des Croix-Fléchées. Les deux hommes ne trouvent pas de terrain d’entente. Szálasi croit toujours en la victoire de l’Allemagne.

De 1935 à 1939, les Croix-Fléchées deviennent la seule véritable opposition au parti gouvernemental au parlement. Avec quatre autres partis apparentés, il gagnent 25% des voix et 49 sièges en 1939. La majorité gouvernementale reste cependant solide avec 183 mandats.

Horthy et les juifs

Aux 19ème siècle naît le système bancaire indépendant de la Hongrie parallèle à l’industrialisation du pays. C’est largement l’œuvre de juifs et d’autres immigrants, aidés par l’aristocratie magyare soucieuse de l’indépendance de la Hongrie vis-à-vis de l’Autriche. Juifs et Hongrois partagent des intérêts. Après une phase violente d’antisémitisme, le régime Horthy reconstruit sous Bethlen le lien entre l’Etat et les juifs. Selon Catherine Horel, cette orientation survit le départ de Bethlen et se prolonge jusqu’à la fin du mandat de Gömbös en 1936. Une troisième phase des relations ne commence qu’en 1938.

En 1930, 54% des juifs, soit 240,000 personnes, vivent à Budapest. Entre 1938 et 1940, la Hongrie obtient de l’Allemagne nazie le retour de certains territoires perdus. En 1930, sur 8,688,300 habitants, on comptait 444,600 juifs. En 1941, sur un total de 14,683,000 habitants, la Hongrie compte 725,000 juifs, soit 4,9% de la population.

L’antisémitisme d’Etat progresse en trois étapes, correspondant aux trois lois antijuives en Hongrie, élaborées par le gouvernement et votées par le Parlement entre 1938 et 1941. Déjà le numerus clausus à l’entrée aux universités, introduit en 1920, essaient dans le fait de ramener le pourcentage des étudiants juifs au niveau du pourcentage de juifs dans la population totale, même si les juifs ne sont pas mentionnés explicitement. En 1917-18, 34% des étudiants sont juifs. Jusqu’en 1933-36, ce nombre a baissé à 8%. Avec le numerus clausus, la première fois dans le droit millénaire de la Hongrie, le concept discriminatoire de race est introduit de fait.

Catherine Horel décrit bien la progression de l’antisémitisme et des lois antijuives, on mentionnant bien que, dans les faits, les juifs sont moins touchés que prévus par la loi.

En 1930, les juifs représentent 33,4% des cadres de l’industrie, 52,8% des cadres du commerce et 34,2% des membres des professions libérales. Jusqu’en 1939, le nombre de patrons juifs continue à augmenter. Seul 6% des juifs de la Hongrie de Trianon se sont convertis entre 1938 et 1943. Les chiffres de l’émigration sont encore plus faibles.

C’est la troisième loi antijuive qui a pour objectif de mettre la législation hongroise en conformité avec les lois raciales de Nuremberg. L’élite juive de Hongrie était assimilée et patriote. Le pays reste un havre de paix pour les juifs jusqu’à l’occupation allemande en mars 1944. La législation devient de plus en plus rigide, mais ne vise pas l’élimination physique.

La loi antijuive de septembre 1942 exproprie tous les juifs de leurs terres. Elle s’inscrit dans la ligne de la confiscation totale des biens juifs tandis que les lois précédentes visaient “seulement” le travail et les revenus. En 1840, les juifs avaient obtenu le droit d’acquérir des propriétés foncières en Hongrie. Un siècle plus tard, ce n’est plus le cas.

Catherine Horel note cependant que les lois et mesures de marginalisation et d’exclusion des juifs ont été menées de façon incomplètes. En mars 1944, certains juifs arrivent à s’échapper à la déportation en montant à bord des derniers trains à destination de la Suisse.

C’est entre mars et octobre 1944, après l’arrivée des Allemands, que le gouvernement de Döme Sztójay donne la dernière impulsion à la complète expropriation des biens juifs. Les déportations comment le 15 mai 1944.

Sur quelques 800,000 juifs d’avant la guerre dans la Hongrie agrandie, la Shoah fait entre 400,000 et 450,000 victimes. Au moins la moitié des juifs seront tués.

Horthy est informé du sort des juifs fin juin 1944. Il tente de négocier avec les Allemands, sans succès. Catherine Horel décrit également les actions de certains diplomates tels que le ministre espagnol Angel Sanz Briz, le Suisse Carl Lutz et le nonce apostolique Rotta, qui arrivent à sauver des milliers de juifs.

On peut remplir des bibliothèques entières avec des livres au sujet du sort des juifs – et à juste titre – , mais il n’y a presque pas de livres de qualité qui parlent de ce qui est arrivé aux “tziganes” (Sinti et Roms). L’excellente biographie de l’amiral Horthy de Catherine Horel ne fait malheureusement pas exception à cette triste règle. Aujourd’hui, contrairement aux juifs, les tziganes sont toujours là où ils étaient dans l’ère de Horthy: à la marge de la société, haïs, détestés, marginalisés.

Horthy et Hitler

La Hongrie est diplomatiquement isolée après la Grande Guerre car le traité de Trianon, avec les pertes de territoires, sont inacceptables pour ce pays, d’où le révisionnisme. Ce n’est qu’à partir des années 1930 que le régent commence à effectuer des visites officielles à l’étranger et de recevoir des personnalités étrangères! L’Italie est le seul pays à œuvrer à la révision des traités, mais elle n’y peut rien changer. C’est seulement l’arrivée de Hitler au pouvoir qui change la donne.

L’Italie fasciste et le grand rival de l’Allemagne nazie. Mussolini invite Horthy officiellement en 1936 et 1937. A Rome, le régent loge au Quirinal et rencontre le roi, le pape et Mussolini. Le Duce flatte la vanité de l’amiral qui revoit la mer pour la première fois depuis 1918. En Hongrie, on a une vision fantasmée de l’Italie fasciste dont rien de mauvais ne saurait venir, contrairement à l’Allemagne nazie.

La Hongrie mène une politique de séduction envers l’Italie, l’Autriche et la Pologne, mais le partenaire clef est évidemment l’Allemagne. L’Italie en est consciente et “ne prend plus aucune décision – même la plus anodine- sans se renseigner d’abord sur ce que fait l’Allemagne. C’est Hitler que Horthy rencontre le plus souvent à partir de 1936, date de leur première entrevue, et jusqu’en mars 1944. Le Führer ne vient pourtant jamais à Budapest, mais y dépêche ses hommes…”, explique Catherine Horel. C’est a Horthy de faire le déplacement pour voir Hitler, “ce qui dénote le rang inférieur accordé à la Hongrie dans le jeu diplomatique de Hitler, qui consent tout juste à rendre ses visites à Mussolini.”

Hitler veut pousser Horthy à un engagement militaire en Tchécoslovaquie, conjointement avec l’Allemagne. Mais l’amiral s’y refuse à plusieurs reprises. Ni le régent ni la majorité des membres de son état-major sont prêts à entre en guerre pour la révision territoriale. Pour les Allemands, la Hongrie paraît donc peu fiable.

L’Allemagne et la Hongrie tentent toutefois plusieurs tactiques pour affaiblir la Petite Entente de l’intérieur. L’année 1938 s’achève par la reconquête du Sud de la Slovaquie par la Hongrie en vertu du premier arbitrage de Vienne. Mais Hitler veut plus de la Hongrie selon la formule mentionnée à plusieurs reprises dans les Mémoires de Horthy: “Qui veut participer au repas, doit aider à la cuisine” (Wer mittafeln will, muss auch mitkochen).

L’engrenage

Après la mort de Gömbös, Horthy doit trouver un nouveau Premier ministre. Selon Catherine Horel, s’est choix de 1936 à 1942 témoigneraient de son malaise vis-à-vis de la classe politique. Elle qualifie à de multiples reprises Horthy comme un homme à caractère velléitaire. Selon elle, l’amiral a des problèmes à trancher, “fait un certain nombre d’erreurs et de choix de personnes qui s’avèrent à terme désastreux. Les réajustements ne font souvent qu’aggraver les choses.”

Horthy ne trouve plus de personnalité comparable à celle de Gömbös à droite et se tourne donc vers l’extrême droite. Le comte István Bethlen (1876-1946), un calviniste comme le régent, n’est pas prêt pour un retour au poste de Premier ministre et préfère son statut d’éminence grise. Le parti gouvernemental est divisé entre partisans de Gömbös et de son régime corporatiste avec des traits proche de fascisme et le conservateurs partisan de Bethlen qui sont hostiles à un rapprochement trop marqué avec l’Allemagne, explique la biographe.

En octobre 1936, le choix tombe sur Kálmán Darányi (1886-1939), le fils d’un ancien ministre de l’Agriculture du début du siècle. Il retourne aux valeurs conservatrices de Bethlen et vide le corporatisme de Gömbös de son contenu. C’est ce que Horthy attendait de lui selon Catherine Horel. En 1938, il commence un programme d’investissement avec l’objectif d’être en mesure d’entrer en guerre en 1942-3. En mai 1938, Darányi confie le ministère de l’Armée au général Jenö Ratz qui a des sympathies pour les Croix-Fléchées. Le gouvernement glisse nettement à droite. Horthy s’inquiète et intervient. Dans les années suivantes, il fera les mêmes erreurs en nommant des gens qu’il désavoue par la suite. Le président du Conseil Darányi doit démissionner en mai 1938.

Le gouvernement suivant, formé deux jours plus tard, n’est pas mieux. Béla Imrédy (1891-1946) est un catholique, issu d’une famille de marchands allemands. Il est un ancien président de la Banque nationale et proche de Gömbös. On se souvient d’Imrédy “pour l’adoption de la première loi antijuive qui a en réalité été préparé par son prédécesseur Darányi.” Selon des critiques, il  appliquait globalement le programme des Croix-Fléchée. Le Premier ministre dérape à plusieurs reprises au point que l’amiral Horthy cherche à s’en débarrasser dès l’automne 1938. La réforme du statut de l’Assemblée pousse 62 a quitté le parti gouvernemental. La préparation de la première loi antijuive fait également du bruit. Le régent soutient en sous-main le ministres de l’Intérieur et des Cultes qui expriment leur désaccord. En janvier 1939, Bethlen et d’autres parlementaires protestent dans un mémorandum adressé à Horthy contre la politique gouvernementale ce qui conduit à la démission d’Imrédy. Le gouvernement se désintègre progressivement. Imrédy créé son propre parti. Horthy ne peut plus tolérer la dérive extrémiste du gouvernement. Lorsqu’on retrouve des ancêtres juifs dans l’arbre généalogique d’Imrédy, l’ambassadeur américain constate: “Il fut victime d’un éclat de rire généralisé.” Horthy accepte la démission d’Imrédy en février 1939. Le lendemain, Pál Teleki est désigné pour former un nouveau gouvernement. Il s’agit d’un aristocrate germanophobe et anglophile et d’un géographe reconnu internationalement. Aux yeux de l’Allemagne, la Hongrie fait volte-face. Goebbels considère les décideurs hongrois aussi corruptibles comme les Turcs.

Le second arbitrage de Vienne est obtenu sans coup férir, mais les exigences de Hitler dans ce nouveau monde finissent par avoir raison de la résistance du gouvernement, du président du Conseil et de Horthy lui-même, explique Catherine Horel. Teleki refuse encore un engagement militaire. Seule une entrée en guerre aux côtés de l’Axe promet une révision des frontières comme la Hongrie l’espère. En avril 1941, la Grande Bretagne  fait savoir que si la Hongrie envahissait la Yougoslavie à côté de l’Allemagne, elle romprait ses relations diplomatiques et se trouverait en guerre avec les Alliés. Dans la nuit qui suit, Pál Teleki se suicide. Il désigne les autorités – y inclut évidemment Horthy – et lui-même comme coupable de l’entrée en guerre, de se comporter en vampires. Les autorités essaient de dissimuler les raisons du suicide de Teleki – sa femme est tuberculeuse et un grand-oncle s’est suicidé en 1861 – mais personne n’est dupe quant aux motivations réelles du Premier ministre.

Horthy nomme le lendemain le ministre des Affaires étrangères, László Bárdossy (1890-1946), comme successeur de Teleki. C’est un diplomate de carrière et non pas un homme politique. “Il reste dans les mémoires comme celui qui a entraîné la Hongrie dans la guerre en cédant à toutes les exigences allemandes, et come l’auteur de la troisième loi antijuive, qui introduit le concept de race, pourtant étranger  au droit hongrois dont Bardóssy était un des représentants par sa formation de juriste…”, note Catherine Horel. Bardóssy est un homme qui s’inspire de l’orthodoxie du moment. Un choix terrible en temps de guerre. Il ne gouverne que du 4 avril 1941 au 7 mars 1942, mais son mandat est un des plus lourds de conséquences. Il donne des gages à l’Allemagne, contre la volonté du régent et du parlement. Il déclare la guerre aux Etats-Unis malgré l’opposition de Horthy et des deux chambres du parlement. Il fait voter la troisième loi antijuive. Le président du Conseil Bardóssy ne veut pas se faire déborder par les Croix-Fléchées et fait donc de la surenchère pour les “neutraliser”.

Le 26 juin 1941, l’amiral Horthy, un anticommuniste viscéral, signe la déclaration de guerre à l’Union soviétique sans enthousiasme. Le matin, les Allemands avaient bombardé Kassa et ses environs et ensuite présenté le raid comme une provocation soviétique. Lorsque l’ambassadeur hongrois se rend chez Molotov pour le remettre la déclaration de guerre, celui-ci doute d’abord du sérieux de la démarche. Il affirme que l’URSS n’a pas de contentieux avec la Hongrie et vice versa, il serait donc préférable que la Hongrie reste neutre. Dans l’attente des résultats de l’enquête au sujet du bombardement de Kassa, il refuse d’accepter la déclaration de guerre. La plupart des officiers sur place savent qu’il s’agissait d’une attaque allemande, mais jurent de garder le silence; l’armée est déjà sous l’emprise du national-socialisme. Horthy dit n’avoir appris la vérité qu’en 1944, ce que Catherine Horel juge parfaitement plausible.

Lorsque des exactions de l’armée hongroise ont lieu en 1942, essentiellement contre des Serbes et des Juifs, Horthy est mis au courant, mais veut croire à l’honneur de l’armée. Une enquête menée sous le Premier ministre Miklós Kállay trouvent des coupables. L’armée défend la thèse d’une action de légitime défense. Tout de même, le procès mène à quatre condamnations à mort et à une vingtaine de sentences d’emprisonnement de huit à quinze ans. Catherine Horel note: “Les condamnés à mort ne sont pas exécutés; ils sont au contraire libérés et évacués secrètement par les Allemands vers le Reich en janvier 1944.”

Au tournant de 1942, Horthy se rend compte que “la Hongrie n’a plus rien à attendre du Reich dont on doute désormais de la capacité à gagner la guerre.” L’angoisse de devoir rendre les conquêtes territoriales, de se trouver une fois de plus parmi les vaincus et potentiels criminels de guerre monte et exige un changement de politique.

La 2ème armée hongroise essuie une cuisante défaite sur le Don, où cette armée de 200,000 soldats perd au début de 1943 quelques 40,000 hommes, 35,000 sont blessés et 60,000 fait prisonniers par les Soviétiques. C’est le tournant dans l’opinion publique.

Horthy nomme Miklós Kállay (1887-1967) à la tête du gouvernement. Ce dernier refuse d’abord parce qu’il se sent mal préparé, mais finit par accepter. Selon Catherine Horel, à ce moment, Horthy n’est plus l’homme providentiel. Le cours des choses lui échappe. Il semble avoir perdu tous les repères.

Il s’agit de sauvegarder l’indépendance du pays et de contrecarrer l’influence nazie en Hongrie. Miklós Kállay se veut un vrai conservateur, ce qui reflète son attachement à la Grande-Bretagne. Au sujet des lois antijuives, le ministre en charge informe Kállay qu’elles ne sont que partiellement appliquées et que dans la réalité il ne faut rien faire “d’inexpiable”. Kállay prononce des discours favorables à l’Allemagne, mais n’entreprend rien concrètement pendant son mandat de mars 1942 à mars 1944.

Il entreprend les premières initiatives en vue d’une sortie de la guerre voire d’une paix séparée après la défaite du Don. Il en parle sans succès à Mussolini et d’autres. Catherine Horel souligne: “Les Alliés réagissent avec intérêt, mais – tout comme en 1917 – exigent une rupture rapide et totale avec l’Allemagne.” Une paix séparée avec un seul allié est exclue. Les Hongrois veulent que leur pays ne soit pas occupé par les seules troupes soviétiques. La conférence de Téhéran fin novembre 1943 entérine l’abandon d’un débarquement britannique dans les Balkans. Les trois alliés soutiennent les partisans de Tito. La Hongrie n’est plus intéressante dans la stratégie anglo-américaine.

A cause de l’histoire de l’empire austro-hongrois, tous les hommes politiques hongrois sont germanophones, mais pas nécessairement germanophiles. Horthy et Kállay en sont des exemples. Il font l’expérience de la colère de Hitler. En avril 1943 sur l’Obersalzberg, Hitler accuse Horthy de ne pas vouloir régler la question juive, l’accuse d’avoir pris contact avec l’ennemi et demande la démission de Kállay.

La fin du régime Horthy

En mars 1944, l’impatience de Hitler est à son comble. Il demande à Horthy de venir le voir au château de Klessheim au sujet du retour des soldats hongrois du front de l’Est. A Budapest on sait que c’est un prétexte car l’Allemagne demande en réalité que la Hongrie y envoie de nouvelles troupes. Horthy s’y rend avec des ministres. Il comprend vite que c’est un piège. Les Allemands retardent leur départ en faisant croire à une alerte aérienne et une rupture des communications suite à un bombardement. En arrivant à Budapest le matin du 21 mars 1944, Horthy voit des soldats allemands postés partout jusque devant le palais.

Les Allemands ont occupé le pays et arrêtés quelques 3000 personnes dans les premières heures déjà. Le régent est ébranlé. Le 22 mars 1944, un nouveau gouvernement est formé. Le choix des Allemands pour le poste de Premier ministre tombe sur le ministre plénipotentiaire à Berlin, Döme Sztójay (1883-1946), qui est en poste depuis 1935 et partisan déclaré de l’Allemagne nazie. Ministre de l’Intérieur devient László Baky, un représentant des Croix-Fléchées, qui s’occupera de la question juive, ensemble avec les secrétaire d’Etat László Endre. Trois membres du gouvernement appartiennent au party d’Imrédy. Horthy parvient à écarter Baky et Endre, mais ils reviendront sous le gouvernement Ferenc Szálasi après le 15 octobre 1944. C’est un régime de terreur qui règne dans le chaos.

Horthy déclarera plus tard qu’il s’est sacrifié pour sauver la patrie. Mais il ne comprend pas le nouvel ordre social. C’est l’opinion de Goebbels, et Catherine Horel la juge exacte. Le régent entreprend son voyage le plus triste de sa vie le 17 octobre 1944. Il doit s’exiler au château de Hirschberg en Bavière.

L’exile en Allemagne dure de 1944 à 1949. A la fin de la guerre, Horthy se fait des illusions sur son sort. Il croit par exemple que les Américains lui permettront d’aller à Spa en Belgique afin d’y prendre part à une conférence interalliée. Il vient au contraire incarcéré pendant trois semaines à Nuremberg. Tito veut le faire inscrire sur la liste des criminels de guerre et le faire comparaître pour le massacre de Novi Sad. Les Américains et les Britanniques font que le régent ne fera pas l’objet d’une plainte. De surcroit, les Soviétiques se désintéressent d’une plainte. Les membres de la communauté juive de Budapest et des organisations venant en aide aux juifs témoignent en sa faveur.

Grâce à son fils Nicky, qui part au Brésil en 1947 et qui parle le portugais, Horthy et sa femme débarquent dans le port de Lisbonne le 12 janvier 1949. Il passe les années jusqu’à sa mort le 9 février 1957 à Estoril au Portugal. Il y rencontre d’autres exilés, tels que le roi d’Italie Umberto II, le roi Carol II de Roumanie et des membres des la famille des Habsbourg. Horthy refuse cependant de se mêler de politique et décline toute incitation à prendre la tête d’organisation d’émigrés ou d’anciens militaires hongrois. Il n’a qu’un seul entretien avec Salazar, le 11 mai 1952.

Après la chute du régime communiste et le décès de Nicky, Horthy, son épouse et leur fils Nicky seront enterrés le 4 septembre 1993 dans la crypte familiale à Kenderes.

Catherine Horel compare Horthy à d’autres hommes forts, de Providence, de son époque, tels que Pétain, Tiso ou Hácha, pour bien élaborer les similitudes et différences. Elle décrit même le Portugal de Salazar et la Hongrie d’aujourd’hui avec les tentatives d’instrumentalisation de l’amiral et du régent Horthy.

Pour la biographe, dans sa conclusion, Horthy n’est ni un conquérant comme Arpád, ni un législateur comme saint Etienne, ni un fondateur comme Széchenyi, et encore moins un rebelle comme Rákóczi, Thököly ou Kossuth. Son bilan est ruiné par l’entrée en guerre, l’occupation allemande, la Shoah, la défaite et l’intégration de la Hongrie dans l’orbite soviétique. Il reste un grand homme de l’histoire hongroise, un héros tragique.

Catherine Horel évoque encore une fois les exactions antisémites de la contre-révolution couvert par Horthy. Le traité de Trianon, dont il n’est certes pour rien personnellement. Mais le révisionnisme contre ce traité est la doctrine qui lui permet de s’asseoir son pouvoir.

Catherine Horel pose la question qu’elle aurait été “la réaction de la Petite Entente face à une Hongrie démocratique? Aurait-elle sauvé la région de la volonté de puissance hitlérienne?” Pour ma part, j’en doute fortement.

Elle n’oublie non plus de mentionner encore une fois “cette capacité à ne pas décider qui a caractérisé le régent depuis le début de son exercice du pouvoir.” Quant au débat actuel en Hongrie au sujet de Horthy et son époque, elle constate que c’est “la polarisation de la vie politique autour de ces thèmes qui empêche la progression d’un travail historique serein.”

Son livre est la première biographie complète et donc la référence au sujet de l’amiral Horthy.

Critique du livre de Catherine Horel: L’amiral Horthy. Régent de Hongrie. Editions Perrin, septembre 2014, 416 pages. Commandez cette excellente biographie chez Amazon.fr. Des livres au sujet de la Hongrie chez Amazon.fr et Amazon.de.