Le bijou à la Renaissance

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Du 4 avril au 27 juillet 2025, en partenariat avec le musée national de la Renaissance – Château d’Écouen, la Fondation Bemberg à Toulouse montre l’exposition D’or et d’éclat. Le bijou à la Renaissance.

L’Hôtel d’Assézat, au sein duquel est hébergée la collection Bemberg, elle-même forte d’un important ensemble d’œuvres de la Renaissance, est un joyau de l’architecture de la Renaissance. C’est le cadre parfait pour l’exposition D’or et d’éclat. Le bijou à la Renaissance.

La Fondation Bemberg a ouvert ses portes en 1995, au sein de l’Hôtel d’Assézat, classé au titre des Monuments historiques depuis 1914. Édifié pour le plus riche marchand de la ville, Pierre d’Assézat (v. 1515-1581), l’hôtel fut construit entre 1555 et 1562 sur le dessin de l’architecte et sculpteur Nicolas Bachelier (1487-1556), qui y introduisit de nombreuses innovations italiennes, étant particulièrement influencé par le grand architecte Andrea Palladio (1508-1580).

Quant au collectionneur Georges Bemberg (1915-2011), il naît à Buenos Aires dans une famille d’industriels d’origine allemande. Pendant plus de 60 ans, cet écrivain, proche des avant-gardes littéraires de son temps, qui comptait parmi ses amis Roger Caillois ou encore Jorge Luis Borgès, assemble une collection composée d’un ensemble exceptionnel de peintures, sculptures, arts graphiques, mobilier, objets d’arts et livres, couvrant plus de cinq siècles de création artistique depuis la fin du XVe siècle jusqu’à la Seconde Guerre mondiale.

Pendant en forme de Cupidon. Pays-Bas ou Allemagne, vers 1590-1620. Or émaillé, rubis, diamants, perles. H. 8,6 ; l. 4 cm. Écouen, Musée national de la Renaissance – château d’Écouen, inv. E. Cl. 20545. Photo copyright © GrandPalaisRmn (musée de la Renaissance, château d’Ecouen) / Mathieu Rabeau. Ce Pendant en forme de Cupidon appartient à un corpus de dix pendentifs très proches par leur forme et leur décor; les autres exemplaires identifiés sont conservés au musée de l’Ermitage à Saint-Pétersbourg, dans le trésor de la Vierge noire du couvent de Jasna Góra en Pologne, et en collection particulière. Ces bijoux illustrent la popularité de ces petits Amours archers en joaillerie. Peut-être étaient-ils offerts en contexte matrimonial.

L’exposition D’or et d’éclat. Le bijou à la Renaissance

L’exposition actuelle à la Fondation Bemberg à Toulouse, D’or et d’éclat. Le bijou à la Renaissance, bénéficie de nombreux prêts exceptionnels de musées publics, institutions et collectionneurs privés dont certains ont préféré garder l’anonymat. Parmi les musées, citons en premier lieu le musée national de la Renaissance – Château d’Écouen, mais également le Musée du Louvre, le Château de Fontainebleau et le Château de Versailles, le Musée des Arts Décoratifs, le Victoria and Albert Museum, le British Museum, le Rijksmuseum ou encore la Danish Royal Collection.

Commissariat général de l’exposition: Ana Debenedetti, directrice de la Fondation Bemberg. Commissariat scientifique de l’exposition: Julie Rohou, archiviste-paléographe, conservatrice du patrimoine au Musée national de la Renaissance – château d’Écoue.

Ana Debenedetti souligne que les pièces d’exception exposées sont replacées dans le contexte social, économique et politique de la Renaissance qui les a vues naître. L’exposition montre comment la circulation des modèles, largement difusés sous la forme de gravures grâce à l’essor de l’imprimerie au tout début du siècle, s’est répandue dans l’ensemble de l’Europe et a permis au bijou de profiter d’exemples tirés de la peinture, de l’architecture et de la sculpture. Aucun autre siècle n’aura célébré avec autant de faste et d’imagination les parures dont on orne le corps.

Le catalogue richement illustré, a été publié sous la direction de Julie Rohou: D’or et d’éclat. Le bijou à la Renaissance. In Fine éditions d’art, 2025, 240 pages. Avec des essais écrits par 13 spécialistes. ISBN-13: ‎ 978-2382032152. Commandez ce catalogue (acceptez les cookies – nous recevons une commission, prix identique) chez  Amazon.fr.

D’or et d’éclat. Le bijou à la Renaissance est la première exposition consacrée aux bijoux de la Renaissance depuis celle du Victoria and Albert Museum de Londres en 1980 sous le titre de Princely Magnificence: Court Jewels of the Renaissance, 1500- 1630. Elle permet de faire état des avancées de la recherche et de présenter au grand public un champ moins connu de l’histoire de l’ornement précieux et des arts décoratifs de la Renaissance.

Articulée en six sections, l’exposition propose une exploration du bijou, véritable objet d’art mais également vecteur de symboles. La première section, Dans l’atelier du maître orfèvre, offre une introduction sur les matériaux et les techniques au 16ème siècle. Partout en Europe sont créés les bijoux selon les mêmes techniques et à partir des mêmes sources décoratives que la vaisselle ou les objets liturgiques. L’orfèvre appartient à une corporation puissante et prospère en raison du haut degré de spécialisation des artisans et de la préciosité des matières qu’ils travaillent: or et pierres précieuses, souvent importés de loin mais également réutilisés à partir de bijoux plus anciens.

Dans cette première section, le visiteur découvre que la formation d’un orfèvre est extrêmement longue: il faut en moyenne huit ans à un apprenti pour atteindre le rang de compagnon, c’est-à-dire d’ouvrier spécialisé.

Le visiteur apprend plus au sujet de l’origine des matériaux utilisés et de la production. L’orfèvre commence son travail par l’élaboration du modèle. De nombreux recueils gravés et dessinés, mais aussi des modèles en plomb ou en bois circulent entre les ateliers et contribuent à difuser les modes et les styles.

Lucas Cranach l’Ancien (Kronach 1472 – 1553 Weimar): Portrait de Sybille de Clèves, vers 1535- Huile sur bois, 57 x 39 cm. Toulouse, Fondation Bemberg, inv. 1086. Photo copyright © 2023 Fondation Bemberg / Mathieu Lombard.  Sibylle de Clèves (1512-1554) est l’épouse du Grand Électeur de Saxe, Jean-Frédéric le Magnanime (1503-1554). Cranach l’Ancien attaché au Grand Électeur de Saxe, exécuta plusieurs versions de ce portrait. Sibxlle de Clèves est représentée plusieurs années après son mariage advenu en 1527. Les lettres brodées de fil d’or et rehaussées de fines perles sur les empiècements du col du corsage rappellent et affirment ses identité et statut: les initiales «SHS» renvoient à son nom, Sibylla Herzogin von Sachsen, tandis qu’en toutes lettres apparaît sa devise «Als in Eren» («Tout est honneur»). Outre une bague sertie de diamants et de rubis, le modèle arbore une parure caractéristique de la mode dans les principautés allemandes dans le premier tiers du XVIe siècle et indifféremment portée par les hommes et par les femmes. Le motif des «mains en foi», deux mains serrant un cœur, composant un bijou cousu sur la robe, renvoie quant à lui l’union et la fidélité.

La deuxième section de l’exposition, La Renaissance de la parure, traite la question du bijou de cour, de ses sources d’inspiration et de son évolution formelle. Au cours du XVIe siècle, les parures se font l’écho, en miniature, des grandes questions qui animent les artistes de la Renaissance sur la façon de représenter les corps et l’espace.

L’art de la parure connaît une évolution stylistique et formelle rapide à la fin du XVe siècle: les modèles de bagues, de pendants et autres colliers intègrent progressivement les innovations de la Renaissance, d’abord nourrie des exemples d’une Antiquité retrouvée pour rejoindre ensuite les jeux formels du maniérisme. L’inspiration vient du répertoire décoratif commun à la sculpture, à l’architecture et à la peinture. La technique elle-même suscite l’intérêt des artisans et conduit au renouveau de l’art glyptique (pierres gravées) avec la production de camées et intailles.

La troisième section de l’exposition, Bijoux et pouvoir, aborde l’usage politique du bijou dans les cours européennes, comme moyen de paiement et d’échange, en tant qu’instrument d’ostentation officielle et de fidélisation de la noblesse. Comme le costume, le bijou permet de rendre visible l’ordre social. Le bijou s’intègre dans des enjeux économiques et politiques qui dépassent sa seule valeur ornementale.

La quatrième section, Être et paraître, examine la valeur sociale du bijou, particulièrement signifiante dans les ordres de chevalerie tels que ceux de Saint-Michel en France, de la Jarretière en Angleterre ou de la Toison d’or dans le Saint Empire. Les ordres sont des instruments de gouvernement qui permettent d’assurer au souverain un réseau de fidèles, unis par un cérémonial, un costume et des insignes communs.

A la frontière entre l’intime et l’apparat, porté sur soi et visible par tous, le bijou est à la Renaissance une sorte de miroir de son propriétaire, tout en ne donnant à voir que ce que ce dernier souhaite montrer de lui. Certaines parures reflètent l’identité, les sentiments, les goûts ou les valeurs de ceux qui les portent. D’autres symbolisent les unions familiales ou politiques.

Incarnation par exellence de ces luxes superflus, les parures sont aussi, de manière paradoxale, utilisées pour rappeler à leurs propriétaires la nécessité de se préparer au jour du Jugement: «souviens-toi que tu es mortel» (memento mori).

Bague foi. Paris, vers 1560-1600. Or émaillé. H. 2,3 ; ép. 0,6; D. 2 cm. Écouen, Musée national de la Renaissance – château d’Écouen, inv. E.Cl. 8987. Photo copyright © GrandPalaisRmn (musée de la Renaissance, château d’Ecouen) / Adrien Didierjean. Cette bague de foi a été trouvée dans la Seine entre 1859 et 1863. Elle est ornée de mains jointes en foi (ou mani in fede), motif hérité de la dextrarum junctio des noces romaines et symbole de parole donnée, mais aussi gage d’amitié ou de fidélité.

La cinquième section, Bijoux de l’intime, présente les différents usages du bijou allant de la volonté de manifester sa prospérité financière ou sa dévotion, jusqu’aux sentiments amoureux en passant par les soins du corps.

Fiançailles puis mariage donnent lieu à l’échange de bijoux aux décors symbolisant l’événement – mains jointes en foi, perroquets, colombes, ou encore cœurs enflammés. Certains bijoux reflètent la dévotion de leur propriétaire, d’autres sont investis de vertus talismaniques et sont réputés protéger du mal et de la maladie ou favoriser la fertilité. Les bijoux peuvent également servir au soin du corps sous la forme de cure-dents ou de cure-oreilles ou de bijoux de senteur.

La sixième et dernière section, Le Goût de la Renaissance au XIXe siècle, examine le style néo-Renaissance qui apparaît dès les années 1830 et connaît son apogée dans la seconde moitié du siècle. Partout en Europe, des collectionneurs se passionnent pour l’orfèvrerie, les émaux, le mobilier, les textiles et les bijoux, suivant un regain d’intérêt tant technique qu’esthétique pour la Renaissance.

Le faible nombre de pièces conservées fait que le marché est inondé de faux très convaincants, la plupart de ces colliers, bagues et autres pendentifs ayant été fondus ou lourdement remaniés au cours du temps. A part ces faux, les orfèvres et joailliers du XIXe siècle produisent également des historicismes et pastiches fidèles aux œuvres de la Renaissance.

En Angleterre, en Italie ou en Allemagne, les artisans développent un style original, se nourrissant de la Renaissance. En France, le style néo-Renaissance englobe en réalité une partie du Moyen Âge et du XVIIe siècle. Il naît sous la monarchie de Juillet et demeure un modèle prépondérant dans les arts décoratifs de la seconde moitié du siècle. Ce goût s’incarne en particulier dans la production du plus célèbre orfèvre de la période, François Désiré Froment-Meurice (1802-1855), qui fabrique broches, colliers et bracelets faisant la part belle à l’émail, à la figure humaine et à l’ornement.

Dans le catalogue, le lecteur découvre, entre autres, Reinhold Vasters (1827- 1909), orfèvre, restaurateur et faussaire allemand actif à Aix-la-Chapelle entre 1853 et 1909. Formé à Londres, Vienne et Paris, il est considéré comme l’un des plus prolifiques et talentueux faussaires de la néo-Renaissance. Associé au peu scrupuleux marchand d’art et collectionneur Frédéric Spitzer (1815-1890), un homme d’origine autrichienne qui se chargeait d’écouler sa production, Reinhold Vasters est à l’origine d’une bonne quantité des faux bijoux Renaissance aujourd’hui conservés au sein des grandes collections muséales. La découverte d’un millier de dessins de l’atelier de Vasters, offerts au Victoria and Albert Museum en 1919 mais non étudiés avant les années 1970, a permis d’appréhender l’ampleur numérique de cette production de faux.

Le catalogue contient également des essais au sujet de l’histoire des bijoux au XVIème siècle, au sujet des gemmes et de l’émail dans la joaillerie de la Renaissance, des portraits d’orfèvres et représentations d’ateliers, une histoire du commerce du bijou, une étude des modèles en plomb et en papier des bijoux de la Renaissance, un essai au sujet des ragalia de Christian IV du Danemark, un autre au sujet du coffre à bijoux de Marguerite de Valois (1553-1615), reine de France, ainsi que la présentations des six sections de l’exposition. Tous les 122 objets exposés sont présentés en images et en textes. Magnifique!

Le catalogue richement illustré, publié sous la direction de Julie Rohou: D’or et d’éclat. Le bijou à la Renaissance. In Fine éditions d’art, 2025, 240 pages. Avec des essais écrits par plusieurs spécialistes. ISBN-13: ‎ 978-2382032152. Commandez ce catalogue (acceptez les cookies – nous recevons une commission, prix identique) chez  Amazon.fr.

Pour faciliter la lecture, les citations et citations partielles dans cette critique de l’exposition et du catalogue D’or et d’éclat. Le bijou à la Renaissance ne se trouvent pas entre guillemets.

Critique de catalogue et d’exposition D’or et d’éclat. Le bijou à la Renaissance ajouté le 10 avril 2025 à 14h41, Ecouen.