Le Filigrane des Tsars

Avr 21, 2006 at 11:51 804

L'exposition "Le Miracle en argent de l'Est. Le Filigrane des Tsars" au musée Ermitage d'Amsterdam (Nieuwe Herengracht 14) jusqu'au 17 septembre 2006 (catalogue en anglais et en néerlandais, 128 p.)

Du 27 avril au 17 septembre 2006, le musée Ermitage Amsterdam montre l’exposition Le Miracle en argent de l’Est. Le Filigrane des Tsars. Plus de 100 objets de filigrane provenant de la collection du Musée national de l’Ermitage à Saint-Pétersbourg sont à admirer.

Le filigrane – de l’italien filigrana « fil à grains » – est un ouvrage fait de fils de métal, entrelacés et soudés sur une même pièce de métal (d’après le Petit Robert, éd. 1992). C’est une technique d’orfèvre particulière qui utilise un métal noble très pur (or et argent) que l’on étire jusqu’à obtenir des fils très fins. Grâce à leur point de fusion bas et à leur élasticité, l’or et l’argent sont d’excellentes métaux pour le façonnement. Ainsi, un seul gramme d’argent suffit pour étirer plusieurs centaines de mètres de fil. Le résultat est un prodige de technique et de raffinement. Les filigranes sont des objets de décoration utilisés pour les fêtes solennelles, les cérémonies et autres rites. L’or et l’argent permettaient de montrer l’appartenance à une certaine classe sociale.

Pair of rose-water bottles, China, 1740-1750, silver, gilt, filigree, height of bottle: 29.5 cm. Photo © State Museum the Hermitage, St. Petersburg.

Writing box of Stadholder William III of Orange, India, Goa or Batavia (?), 1689-1702, silver, filigree, dimensions 31 x 27 x 13 cm. Photo © State Museum the Hermitage, St. Petersburg.

Stand in the form of a leaf belonging to object number 3, China, 1740-1750, silver, filigree, gilt. Photo © State Museum the Hermitage, St. Petersburg.

A pair of baskets, Batavia (?) or China, first half 18th century, silver, filigree, enamel, rubies, height 21.5 cm; diameter rosette 11.5 cm; diameter base 5 cm. Photo © State Museum the Hermitage, St. Petersburg.

Le filigrane était déjà renommé dans le monde antique et s’y répandit largement. On connaît par exemple des objets datant du deuxième millénaire avant J.-C. et venant d’Egypte, de Crète et de Grèce; en 2004, l’Ermitage d’Amsterdam en a montré de splendides exemples dans son exposition L’Or grec. Les nombreuses conquêtes et les échanges commerciales ont introduit les produits en filigranes dans d’autres régions et pays, tels que l’Extrême-Orient, l’Orient arabe, l’Italie et la Russie. Au 16ème et et 17ème siècle, la technique est utilisée dans presque tous les pays d’Europe et d’Asie.

Les centres de filigrane les plus importants se trouvaient en Chine, par exemple à Guangzhou (Canton). Pour les Européens, le filigrane de Chine était exotique, magnifique de qualité et en même temps moins cher que les objets européens. Les commandes étaient exécutées sur la base de croquis ou de modèles apportés. De plus, des descriptions et de croquis partiels étaient envoyés.

Après le 16ème siècle – lorsque s’établirent, suite aux grandes découvertes, les routes maritimes commerciales – les objets en argent filigrane arrivèrent en Occident. Les princes européens, comme Louis XIV, Frédéric-Guillaume de Brandenbourg et Amalia de Solms, se mirent à les collectionner et ils exposèrent leur collection dans des cabinets spéciaux. Malheureusement, presque toutes les ces collections ont été perdues, dispersées voire refondues. La collection des tsars est la seule qui ait été conservée.

De nouvelles recherches sur la vaste collection d’objets filigranés que Pierre le Grand et Catherine la Grande avaient constitué ont permis de reconstruire la collection originelle en retrouvant les objets dans plusieurs sections de l’Ermitage. Les pièces furent créées en Chine, en Inde et à Batavia (Indonésie) spécialement pour le marché européen.

Un grand nombre d’objets de filigrane d’argent d’Orient, datant du 17ème et 18ème siècle, sont conservés à l’Ermitage de Saint-Pétersbourg. Ils se trouvaient d’abord dans les entrepôts du palais où ils étaient utilisés par les souverains d’alors. A partir de la première moitié du 18ème siècle, il furent exposés dans les salles de l’Ermitage. Au 20ème siècle, on créa le Département oriental à l’Ermitage et beaucoup d’objets en filigrane allèrent à l’Entrepôt des Bijoux d’Orient. Cependant, comme tout ne fut pas déterminé comme oriental, toute la collection se trouva dispersé entre plusieurs département à l’intérieur du musée. Grâce aux recherches de Maria Mensjikova, conservatrice des arts décoratifs chinois, une grande partie de la collection a pu être retrouvée, traitée et restaurée. Le résultat peut être admiré à Amsterdam.

Les objets chinois du 17ème siècle sont plutôt massifs et ils ont des formes qui rappellent les objets chinois traditionnels. Les arts décoratifs sont caractéristiques de la culture chinoise: pivoines, fleurs de lotus et de pruniers. De plus, la collection de l’Ermitage compte beaucoup d’objets provenant de l’Inde, notamment de Goa. Ces objets ont souvent une forme européenne, parce qu’ils étaient fabriqués sur commande, par exemple pour l’Eglise catholique. Les objets d Batavia (aujourd’hui Jakarta) sont souvent difficiles à distinguer des objets chinois.

A Amsterdam, les nécessaires de toilette de Catherine la Grande forment les pièces maîtresses de l’exposition Le Miracle en argent de l’Est. Le Filigrane des Tsars. Le nécessaire de toilette chinois (1740-1750) comprend 32 pièces, l’indien (1740-1750, Dekkan, Karimnagar) en comprend 19. Ces deux ensembles sont uniques parce que les ensembles comparables ont été vendus, perdus ou refondus. On ne connaît qu’un seul autre nécessaire de toilette d’une telle ampleur: celui de Burghley House dans le Lincolnshire en Angleterre.

En Europe de l’Ouest, les miroirs et nécessaires de toilette faisaient partie des moyens pour montrer l’appartenance à la bonne société. Le plus souvent, ils étaient en argent et ils étaient employés par les femmes comme par les hommes. La différence résidait dans la nature des objets essentiels. Le nécessaire de toilette étaient souvent un cadeau de noces ou faisait partie du trousseau. L’objet le plus important était le miroir, accompagné de 15 à 50 articles. Le nécessaire de toilette était placé dans une pièce près de la chambre et le miroir était décoré de dentelle de luxe. Les possesseurs parachevaient leur toilette devant le miroir et faisaient venir les intimes de leurs proches pour un entretien.

Malgré l’opposition de l’église orthodoxe, qui interdisait l’usage de miroirs, les premiers nécessaires de toilette apparurent en Russie au 17siècle. L’exemple le plus connu est le nécessaire de toilette en or, avec services à thé et à café, de la nièce de Pierre le Grand, Anna Ivanova; ce nécessaire peut être admiré dans la salle du trésor de l’Ermitage.

Dans la collection de filigranes de l’Ermitage se trouve un curieux objet: l’écritoire du stathouder Guillaume III, le membre de la famille d’Orange, qui épousa la princesse anglaise Marie Stuart et qui, après la Glorieuse Révolution de 1688, devint roi d’Angleterre. Les armoiries du stathouder de Guillaume III d’Orange sont reproduites sur le couvercle l’écritoire. Autour de ces armoiries est écrite la devise de l’Ordre de la Jarretière: « Honi soit qui mal y pense ». L’écritoire a été faite probablement à Goa ou à Batavia. Elle est arrivée dans la collection de l’Ermitage à travers la collection de Frédéric Ier de Prusse, beau-fils du roi George Ier et descendant direct de Marie Stuart d’Ecosse. Une partie de l’héritage de Guillaume III et Marie Stuart était arrivée en Prusse. En 1717, Pierre le Grand visita le palais de Frédéric Ier à Potsdam. Au cours de cette visite, il reçut en cadeau la chambre d’ambre (dont on peut actuellement voir une copie dans le palais de Tsarskoje Selo). Pierre le Grand avait une grande admiration pour le Stathouder-roi Guillaume III et il est probable qu’il vit l’écritoire de son idole pendant sa visite et qu’il « demanda » à Frédéric de la lui donner également.

Bien que les grands nécessaires de toilette fussent démodés, les objets de filigrane demeurèrent encore populaires au 19ème siècle. De plus grands établissements et magasins se créèrent, lesquels se spécialisèrent dans la production pour le marché européen. Pour la première fois, les maîtres orfèvres poinçonnaient leurs initiales sur les objets, en écriture latine ou parfois en chinois. On fixa sur les étuis pour cartes de visite des étiquettes en papier portant le nom de l’orfèvre. L’exposition présente des pièces du 19ème siècle, tels que des bracelets, des éventails et des porte-bouquets (dans lesquels on mettait de véritables plantes dans le but de décorer les vêtements des femmes).

On commence à peine à découvrir scientifiquement la vaste collection des filigranes d’argent du 17ème, 18ème et 19ème siècles de l’Ermitage. La publication accompagnant l’exposition doit aider la poursuite de cette étude ainsi que l’identification d’objets comparables dans les collections d’autres musées.