Les Britanniques et les Nazis

Août 17, 2023 at 13:15 651

Dans son livre de 2023, L’aigle et le léopard. Les liaisons dangereuses entre l’Angleterre et le IIIe Reich, Eric Branca se penche sur les relations entre les Britanniques et les Nazis (Amazon.fr, Amazon.de).

Il mentionne l’admiration de Winston Churchill pour Mussolini pendant de longues années. Il cite souvent Maurizio Serra: Le Mystère Mussolini (Perrin, 2021; Amazon.fr, Amazon.de). Comme chancelier de l’Echiquier, Winston Churchill a accordé un prêt important à l’Italie fasciste en 1926 et s’en est ainsi justifié devant les hauts fonctionnaires du Trésor: «L’Italie est un pays prêt à faire face aux réalités de la reconstruction. Son gouvernement, dirigé avec fermeté par Signor Mussolini, ne se dérobe pas face aux conséquences logiques de la situation économique présente, et il a le courage d’imposer les remèdes financiers nécessaires sil’on veut en effet garantir et stabiliser une reprise nationale.»

En janvier 1927, Winston Churchill a rencontré deux fois le Duce, lors d’une visite à Rome où l’accompagnait son père Randolph. C’est à cette occasion qu’il a été le plus explicite selon Eric Branca: «Si j’étais italien, j’aurais été entièrement avec vous dès le début.»

Et le 18 février 1933 à Londres, Winston Churchill saluera à nouveau le «génie romain incarné par Mussolini». Il se limitera à l’admettre plus tard dans quelques phrases contournées de ses Mémoires.

Winston Churchill est l’homme qui a sauvé les Britanniques d’un défaitisme à la française. La tentative fasciste a été forte, mais un grain de sable nommé Churchill évite, in extremis, l’appeasement avec l’Allemagne, y inclut la tentative de ratifier une Pax Germanica continentale.

Les Britanniques, Hitler et les Nazis

Entre les deux guerres, et spécialement à partir de l’arrivée au pouvoir d’Adolf Hitler, de puissants groupes d’intérêt, dotés de relais d’opinion et depouvoirs réels autrement plus étendus que ceux dont disposaient et disposeront jamais les Royals, joignirent leurs efforts à ceux du Führer pour parvenir à un accord durable entre l’Angleterre et le IIIe Reich.

Les travaux de l’Américain John Lukacs, des Britanniques John Costello et Andrew Roberts et, en France, de François Delpla et de François Kersaudy montrent que ces tentatives de rapprochement entre le Royaume-Uni et l’Allemagne nazie furent tout près, en 1940, d’être couronnées de succès. A l’époque, l’objectif était une paix séparée laissant Hitler maître de l’Europe continentale tandis que l’Empire britannique aurait conservé et même renforcé son droit à dominer les mers et près d’un tiers des terres émergées.

Selon Eric Branca, si Winston Churchill parvint in extremis à maintenir la Grande‑Bretagne dans la guerre, c’est donc, d’abord, parce qu’il triompha des siens.

L’élite britannique et les Nazis

Eric Branca souligne, qu’à part les partisans de l’appeasement, regroupés autour de Neville Chamberlain, c’était avant tout une partie agissante de l’establishment britannique qui manquait de distance critique par rapport à Hitler et le nazisme. Leur influence s’exerçait sur l’ensemble du spectre politique, depuis les conservateurs jusqu’aux travaillistes en passant par les libéraux, sans parler du parti fasciste britannique d’Oswald Mosley, dont la faible représentation parlementaire, due au mode de scrutin en vigueur au Royaume‑Uni, n’empêcha nullement ses idées de prospérer sur le terreau intellectuel du pangermanisme

Dans les années 1930, Hitler comptait beaucoup d’alliés, actifs ou potentiels, en Grande Bretagne. Eric Branca cite des aristocrates comme le ministre de l’Air Lord Londonderry, l’ambassadeur de Grande‑Bretagne à Washington Lord Lothian, ainsi que les ducs de Westminster ou de Buccleuch.

Parmi les banquiers, il y avait notamment Montaigu Norman, gouverneur de la Banque d’Angleterre qui, comme membre du conseil d’administration de la Banque des règlements internationaux (BRI), créée en 1930 à son initiative, auxiliaire du réarmement allemand selon Eric Branca, fait par exemple transférer en 1939 à l’Allemagne 23 tonnes d’or tchèque saisis six mois plus tôt par la Wehrmacht lors de son entrée à Prague, en violation des accords de Munich (découvert pendant la guerre – mais attesté seulement grâce à des documents récemment déclassifiés et révélés par le Financial Times en 2013). Parmis les banquiers, on compte également des representants de la Midland Bank, première banque mondiale par le montant de ses dépôts, lesquels sont supérieurs à ceux détenus au même moment par les sept premières banques françaises.

Parmi les industriels, Eric Branca cite le nom de Deterding, président de la Shell, ainsi que des hommes clefs de Dunlop et Unilever, mais également d’autres entreprises comme Price-Waterhouse et Thomas Cook. Enfin, il y avait les hommes de presse comme Lord Rothermere, propriétaire du Daily Mail, Lord Beaverbrook, patron du Daily Express, et Geoffrey Dawson, éditeur du Times, journaux qui à eux trois tirent alors à plus de six millions d’exemplaires quotidiens. Il faut y ajouter Lord Kemsley (Gomer Berry), propriétaire du Daily Telegraph et du Sunday Times.

Eric Branca conclut que certains soutenaient Hitler pour des motifs purement idéologiques, mais la plupart au nom d’une simple convergence d’intérêts.

Dans une note en bas de page, le lecteur apprend que, de père allemand et de mère américaine, Ernst (dit «Putzi») Hanfstaengl (1887‑1975) eut un rôle décisif dans la mise en relation de Hitler avec les milieux d’affaires et la presse anglo‑saxons. Rallié au nazisme dès 1921, il rompit avec lui en 1936 après que le Führer lui eut reproché d’avoir gardé des relations dans les milieux juifs américains, notamment parmi ses anciens camarades de Harvard (à lire Les entretiens oubliés d’Hitler 1923-1940, Perrin, 2019, publiés par Eric Branca; Amazon.fr).

La famille royale, les Nazis et Hitler

Dans son introduction fort intéressante, l’auteur de L’aigle et le Léopard nous rappelle un titre paru dans le tabloid The Sun: « Their Royal Heilnesses », qui a fait le tour du monde. Le jeu de mots fait référence aux «Altesses royales» et au salut nazi « Heil Hitler ». «Un film secret de 1933 montre Edouard VIII apprenant le salut nazi à la reine.» La petite fille saluant à l’hitlérienne est bien la future reine Elisabeth II.

Eric Branca souligne que l’ancien roi Edouard VIII et son épouse américaine, Wallis, ont entretenu des relations étroites avec le régime hitlérien en général et avec le Führer en particulier. Un souvenir qu’à la fin de la guerre Winston Churchill avait tout fait pour effacer en restreignant l’accès aux archives allemandes saisies en 1945. En vain. Dès 1954, une première salve de pièces accablantes était publiée dans la presse, suivie d’une autre en 1957. Elles démontraient que non seulement l’ancien roi devenu duc de Windsor avait souhaité la victoire de l’Allemagne, mais qu’il avait encouragé Hitler à bombarder la Grande‑Bretagne pour contraindre le gouvernement du Royaume-Uni à faire la paix.

Au même moment paraissaient les Mémoires du maître espion d’Adolf Hitler, Walter Schellenberg, qui confirmèrent qu’en cas de défaite britannique le Führer était résolu à remettre Edouard VIII sur le trône, flanqué de Wallis comme reine consort.

Une dernière série d’archives, exhumées en 2017 et publiées par The Guardian, révélera, entre autres détails, qu’une cagnotte de £50 millions attendait le duc sur un compte suisse dans l’hypothèse où Schellenberg serait parvenu à l’exfiltrer du Portugal, où il séjournait en 1940, étroitement surveillé par les services secrets britanniques.

Retour à l‘Introduction, dans laquelle Eric Branca écrit qu’à la mort du prince Philippe en 2021, presse, télévision et Internet rivalisent de dynamisme archivistique pour rappeler que le duc d’Edimbourg, non content d’être né allemand, eut trois sœurs sur quatre membres du parti nazi. Lorsque le marie de la reine fonda en 1961 le WWF, il désigna comme vice‑président le prince consort Bernhard des Pays‑Bas (né zur Lippe‑Biesterfeld), encarté au NSDAP jusqu’à son mariage, en 1937, avec l’héritière du trône des Pays‑Bas, Juliana.

Lors des obsèques de la sœur du prince Philippe, Cécile, à Darmstadt en 1937, ce même Philippe, alors prince de Grèce, âgé de seize ans, était encadré de ses beaux‑frères arborant la svastika, eux‑mêmes entourés d’une flopée d’officiels en uniformes noirs de la SS. Parmi eux, il y avait Charles‑Edward de Saxe‑Cobourg‑Gotha, petit‑fils de la reine Victoria – comme l’empereur d’Allemagne Guillaume II dont il est le cousin germain.

1936, aux funérailles de George V, en uniforme de général de la Wehrmacht, le courant passe entre Charles‑Edward et son petit‑cousin. Le nouveau roi, non encore couronné, envisage même de lui rendre ses titres et ses biens confisqués en 1919. Mais dès 1938, son frère et successeur George VI interrompt la procédure.

En 1937, Charles‑Edward de Saxe‑Cobourg‑Gotha a choisi comme vice‑président de la Croix‑Rouge allemande un protégé de Heinrich Himmler: le professeur Ernst Grawitz, chef du service de santé de la SS. Àpartir de 1940, c’est à lui que reviendra la responsabilité d’éliminer certaines catégories de handicapés et de malades mentaux, mais aussi et surtout de coordonner les «expériences» médicales menées sur les détenus des camps de concentration. Eric Branca note, qu’en 1945, Grawitz n’échappera à la condamnation à mort que par le suicide.

Bien que n’étant pas mêlé directement à cette politique, Charles‑Edward n’a rien tenté pour s’y opposer, ce qui conduit les autorités d’occupation américaines à le placer en détention dans les jours suivant la capitulation du Reich. Un an plus tard, il sera libéré grâce à l’intervention de sa sœur, la princesse Alice d’Albany, mais néanmoins condamné à une lourde amende par un tribunal de dénazification. Ruiné, il mourra en 1954. Lors de son arrestation par les Américains en 1945, ces derniers trouvèrent au château de Cobourg un télégramme envoyé par Hitler deux jours avant son suicide. Il lui en joignait de ne pas se rendre aux ennemis du Reich. Autrement dit à l’imiter. Cette fois, Charles‑Edward désobéit à son Führer.

La fascination de Hitler pour les Britanniques

Quant à Adolf Hitler, sa fascination pour les Britanniques était inséparable de sa doctrine raciste qui fut forgée au contact d’un idéologue britannique, , chantre de l’«unité des Aryens», et considéré par les nazis comme leur second « prophète ». Ensemble avec l’essayiste antisémite Dietrich Eckart, Houston Stewart Chamberlain est le seul de ses maîtres que Hitler cite nommément dans Mein Kampf.

Dans une des annexes, Eric Branca publie une partie du discours prononcé par Adolf Hitler devant le Reichstag le 19 juillet 1940 dans lequel le Führer dit: «Mon but a toujours été l’amitié avec l’Angleterre.»

Eric Branca souligne que le dictateur n’a jamais tenu l’Angleterre pour un ennemi héréditaire, au contraire de la France, puissance honnie en raison desa politique traditionnelle de division de l’ensemble germanique. D’un bout à l’autre de sa carrière politique, y compris quand l’Allemagne et l’Angleterre seront engagées dans un duel à mort, Adolf Hitler ne cessera de témoigner d’une admiration inchangée pour cette dernière, comme en témoignent ses Propos intimes et politiques (traduction récente faite François Delpla, assortie d’un passionnant appareil critique).

En 1961 a eu lieu l’exhumation et la publication du «deuxième livre de Hitler», cette suite de Mein Kampf dictée entre 1927 et 1928 et que son auteur renonça à mettre en vente. Selon Eric Branca, d’abord parce qu’il ne prit jamais le temps de l’achever avant sa prise du pouvoir, ensuite et surtout parce qu’il était inutile, et sans doute dangereux pour lui, de donner davantage de pistes sur les buts de sa politique étrangère,objet principal de ce manuscrit. Les pages au sujet des relations anglo‑germaniques sont empreints d’un immense respect pour l’Empire britannique. Hitler abandonne toute idée de la concurrencer outre‑mer. Si l’Allemagne veut disposer des moyens de conquérir son espace vital sur le continent, il importe de laisser les Britanniques dominer les autres parties du globe. Y compris en collaborant économiquement avec eux, comme le fera le IIIe Reich en s’ouvrant très largement à leurs capitaux – aspect décisif et cependant trop peu connu selon l’auteur pour qui cette capacité de Hitler à concilier ses obsessions psychopathologiques avec un sens aigu des rapports de force n’est pas la moindre explication de ses succès internationaux. Au moins jusqu’en 1940, date à laquelle Churchill, grâce à une habileté tout aussi exceptionnelle, mais aussi et surtout à un stupéfiant concours de circonstances, parviendra in extremis à inverser le balancier.

Beaucoup de sang allemand dans les veines des monarques de la Grande Bretagne

Eric Branca nous rappelle que, d’origine allemande, la reine Victoria l’était à 100 %, comme son mari, le prince Albert de Saxe‑Cobourg‑Gotha, et donc leur fils, le roi Edouard VII (1841‑1910), lequel se maria avec Alexandrade Danemark, princesse de Schleswig‑Holstein‑Sonderbourg‑Glücksbourg, dont les deux parents étaient également allemands. Leur fils, George V, qui régna jusqu’en 1936, a épousé une princesse allemande, Mary de Teck, issue de la dynastie des Wurtemberg.

Eric Branca souligne que tout commence à changer quand le futur roi George VI (1936‑1952) épouse une Écossaise pure souche, Elisabeth Bowes‑Lyon. Leur fille, la future reine Elisabeth II, est ainsi le premier monarque britannique depuis l’extinction des Stuarts (1714) à ne posséder que 50 % d’origines allemandes.

Elisabeth se marie avec son cousin Philippe de Grèce, issu, comme la mère de George V, de la dynastie Schleswig‑Holstein‑Sonderbourg‑Glücksbourg. Ce n’est qu’avec l’accession au trône du prince William, petit‑fils d’Elisabeth, que tout évoluera sensiblement puisque sa mère, Diana Spencer, était une pure Britannique, tout comme sa femme, Catherine Middleton, devenue par leur mariage, en 2011, duchesse de Cambridge.

Ce ne sont que quelques éléments – surtout de l’introduction – d’un livre fouillé, riche en détails. A lire absolument – notamment le petit chapitre à la fin intitulé Que sont ils devenus? [les pro-Nazis britanniques].

Éric Branca : L’aigle et le léopard. Les liaisons dangereuses entre l’Angleterre et le IIIe Reich. Edition Perrin, 2023, 430 pages. Commandez ce livre ou téléchargez le Kindle eBook chez Amazon.fr, Amazon.de.

Pour faciliter la lecture, les citations et citations partielles dans cette critique de livre de L’aigle et le léopard. Les liaisons dangereuses entre l’Angleterre et le IIIe Reich d’Éric Branca ne se trouvent pas entre guillemets.

Critique de livre ajouté le 17 août 2023 à 13:15 heure de Paris. Dernière mise à jour à 19:24 (détails ajoutés au sujet de Montaigu Norman).