L’histoire des hussites

Août 06, 2021 at 17:33 2557

Olivier Marin a écrit La Réforme commence à Prague. Histoire des hussites XVe-XXe siècle. Ce livre commence avec des lignes au sujet de … Jeanne d’Arc qui se tourna, le 23 mars 1430, vers les Bohêmes, qui s’étaient dressés contre le reste de la chrétienté et qu’elle considérait de ce fait comme de fieffés hérétiques.

Oliver Marin explique l’origine de l’adjectif hussite qui est dérivé du nom du prédicateur pragois Jean Hus, qui mourut sur le bûcher seize ans avant Jeanne, le 6 juillet 1415. Il s’agit à l’origine d’un sobriquet injurieux, puisqu’il fut forgé dès le vivant de Hus par des polémistes catholiques en veine de catégorisations. En 1413, le mot fait une timide apparition sous la plume d’André de Brod, qui l’écrit toutefois hussonites. Renchérissant l’année suivante, le Chartreux Étienne de Dolany recueille la variante, destinée à devenir classique, hussites. Le néologisme se diffuse ensuite graduellement. Le terme passe du latin dans les langues vulgaires. Oliver Marin écrit que le terme s’impose vite en allemand sous la forme Hussen, d’où le moyen-français tire Housses ou Houlz.

Quant aux Hussites, ils se présentaient comme l’aile marchante de cette Église catholique qui les excluait, mais dont ils se sentaient encore les membres. Aussi préféraient-ils se nommer tout bonnement les «fidèles» (en tchèque, věrní), un terme qui avait l’avantage de mettre en valeur leur attachement à l’orthodoxie, dans sa double dimension de norme de foi professée et vécue.

Il était d’abord loisible aux dissidents de Bohême de se référer à la particularité liturgique qui, à partir de l’automne 1414, en vint à les distinguer clairement des autres chrétiens latins : la communion sous les espèces eucharistiques du pain et du vin. Alors que, partout ailleurs, les laïcs ne communiaient plus qu’à l’hostie, à Prague et dans les pays tchèques, ils recouvrèrent en effet la faculté d’accéder aussi au calice. Fort logiquement, celui-ci devint le symbole unificateur de la dissidence. Mais si les arts visuels s’en saisirent presque immédiatement, le vocabulaire s’y adapta mal et tarda à enregistrer l’innovation.

Olivier Marin souligne que c’est donc un autre critère qui fut généralement utilisé par les disciples de Hus pour se qualifier. Sous l’effet des longues guerres qui les opposèrent durant les années 1420 au Saint Empire germanique, les hussites tendirent de plus en plus à s’assimiler aux Tchèques. Au concile de Bâle, au printemps 1432, ils obtinrent cette concession remarquable: «Et comme l’espoir de voir les députés de la Bohême se rendre au concile ne tient qu’à un fil, il paraît utile de ne pas les nommer, dans les actes officiels qui leur sont destinés, les hussites, puisqu’ils en ont grande honte, mais de les appeler les Tchèques, pour ne pas les provoquer.» L’amalgame entre Tchèques et hussites se révéla durablement efficace. Sur place, il fortifia l’adhésion de la majorité de la population à la cause réformatrice, ainsi promue en porte-drapeau des intérêts matériels et symboliques de la communauté nationale. Il fit aussi florès à l’étranger.

Les minorités catholiques locales persistent. Olivier Marin insiste dans La Réforme commence à Prague. Histoire des hussites XVe-XXe siècle que ce n’est pas la seule raison pour laquelle l’historien doit accueillir avec circonspection l’identification Tchèque = hussite. La simplification apparaît également abusive en ce qu’elle sous-estime l’ambition universaliste qui habitait Jean Hus et qui poussa nombre de ses partisans à exporter, parfois pacifiquement, le plus souvent par le fer et par le feu, leurs idées.

Hussite, utraquiste, tchèque: aucun de ces termes n’est exempt de chausse-trappes, souligne notre auteur. Si le choix a été fait de préférer le premier, ce n’est pas seulement dans un souci de clarté. C’est surtout qu’il traduit bien la place cardinale dévolue à Jean Hus parmi les signes de reconnaissance que se sont choisis ses partisans, écrit Olivier Marin. Le prédicateur pragois n’a certes pas laissé une empreinte intellectuelle comparable à celle de Martin Luther sur le protestantisme. Mais l’action de Hus, couronnée par sa mort en martyr, lui a valu de faire l’objet d’un culte liturgique et d’une vénération populaire singulièrement vivace, écrit notre auteur.

Selon Olivier Marin, le mot de Réforme pose des difficultés méthodologiques. La remise en question de l’ancienne Église n’aurait pas été possible sans l’imprimerie et sans l’humanisme, dont la méthode de critique textuelle éroda de manière décisive les évidences doctrinales familières et qui convergea avec le combat de Luther contre la scolastique. Or, le hussitisme est né trop tôt pour remplir ces critères, souligne notre auteur.

Ce ne sont que quelques élements d’un livre riche, dense, fouillé qui sort du cadre de mes compétences (histoire contemporaine et immédiate) et qui traite ensuite des questions telles que le royaume du hussitisme, le problème de ses origines, la révolution hussite, les resurgences du hussitisme de 1781 à nos jours, pour nommer que quelques chapitres.

Dans sa conclusion, Olivier Marin écrit notamment que médiéval, le hussitisme ne l’est pas seulement parce qu’il s’est produit avant l’imprimerie. Il l’est aussi par sa fidélité à la culture scolastique, par son mépris envers les arts du langage et la contemplation gratuite du beau, par le primat absolu qu’il donne à la loi de Dieu, en un mot: par son antihumanisme. Un petit peu plus loin, Olivier Marin écrit que, médiéval, le hussitisme l’est enfin par sa nostalgie de l’unité chrétienne et d’une catholicité qui accommode la diversité sans l’annihiler.

Notre auteur souligne que les hussites rejetèrent sans ambages les pompes de ce que les historiens français, à la suite de Jacques Chiffoleau, ont coutume d’appeler la «religion flamboyante»: à l’ostentation des retables polychromes, ils substituèrent la gravité d’un art étroitement surveillé; à la spécialisation des cultes, l’universalité du sacrement eucharistique; à la multiplication des intercesseurs, le contact direct avec la parole de Dieu. D’un même mouvement, ils passèrent au tamis de leur critique tout l’appareil ecclésiologique de la chrétienté médiévale. La monarchie pontificale, le droit canonique, la suprématie du clergé sur le laïcat furent, en droit comme en fait, balayés. Les disciples de Hus firent prévaloir à la place des valeurs, sinon démocratiques à proprement parler, du moins communautaires, car attentives à rendre au corps politique sa capacité d’initiative. Ce n’est assurément pas un hasard s’ils trouvèrent des alliés parmi la diète de Bohême, à l’intérieur, comme auprès du concile de Bâle, à l’extérieur: dans l’histoire longue des idées politiques se dessine là une constellation anti-absolutiste ou «constitutionnaliste» particulièrement féconde

Selon Olivier Marin, ces diverses caractéristiques justifient le label de Réforme. Le hussitisme n’a pas été une simple pré-réforme avortée. Il conclut que, pour ne pas être protestant, le hussitisme n’en relève pas moins, au même titre que l’anglicanisme, de la Réformation.

Olivier Marin note dans sa conclusion que le présent livre a essayé de montrer que le hussitisme fonctionna comme un incubateur, dans la mesure où il cristallisa des idées réformatrices dispersées et les fit passer presque aussitôt au stade de la réalisation. Ce sont en réalité deux Réformes qui ont alors vu le jour sur le sol tchèque. Avec l’utraquisme naquit une Réforme magistérielle, d’orientation sacramentelle, à base nationale et socialement conformiste. Tabor, puis l’Unité des Frères, frayèrent en revanche la voie à une Réforme radicale, car subversive, apocalyptique et prosélyte, en même temps que plus réceptive aux séductions théocratiques. La compétition entre ces deux variantes de la Réforme n’a pas cessé de rejouer jusqu’à nos jours.

Olivier Marin souligne que La Réforme commence à Prague ne signifie pas qu’il faille tracer une ligne droite mono-causale entre hussitisme et protestantisme. Selon lui, on pourrait soutenir au contraire que l’un a plutôt retardé l’éclosion de l’autre. Sans Jean Hus, il y a fort à parier que les Tchèques se fussent convertis au protestantisme plus tôt et en plus grand nombre qu’ils ne le firent.

Olivier Marin : La Réforme commence à Prague. Histoire des hussites XVe-XXe siècle. Passés composés, 2021, 316 pages. Commandez ce livre chez Amazon.fr.

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Critique de livre ajouté le 6 août 2021 à 17:33 heure de Paris.

[Ajouté le 1 septembre 2021 : Pour faciliter la lecture, les citations et citations partielles du livre présenté ne se trouvent pas entre guillemets].