Paquebots 1913-1942

Déc 27, 2024 at 14:16 105

Les années folles sont un âge d’or pour les paquebots, des palaces flottants qui sont les seuls véritables traits d’union entre la vieille Europe et les Etats-Unis. Ce catalogue est publié à l’occasion de l’exposition Paquebots 1913-1942. Une esthétique transatlantique, présentée au Musée d’arts de Nantes du 25 octobre 2024 au 23 février 2025 et au MuMa – musée d’art moderne André Malraux du Havre du 5 avril au 21 septembre 2025.

Sous la direction d’Adeline Collange-Perugi, conservatrice du patrimoine, responsable des collections d’art ancien au Musée d’arts de Nantes et Sophie Lévy, directrice conservatrice du Musée d’arts de Nantes: Paquebots 1913-1942. Une esthétique transatlantique. In Fine éditions d’art, octobre 2024, brochée avec rabats, 280 pages avec 255 illustrations, 23 x 29 cm. EAN/ISBN: 9782382032053. Commandez ce catalogue (acceptez les cookies – nous recevons une commission, prix identique) chez Amazon.fr.

L’exposition Paquebots 1913-1942. Une esthétique transatlantique explore le rôle des paquebots des compagnies transatlantiques dans le développement d’une esthétique moderniste, Art Déco internationale, s’intéresse à la question des créations technologiques de l’ère industrielle ainsi qu’au voyage comme pratique de rencontre, avec une attention particulière mise au développement des ports de Nantes-Saint-Nazaire et du Havre.

Les différents Immigration acts entre 1917 et 1924 limitent l’exode vers les Etats-Unis. La Grande Dépression à partir de 1929 frappent les économies et les échanges. Les principales compagnies se tournent vers une clientèle de loisirs, y compris les intellectuels, écrivains et artistes en quête d’échanges transcontinentales.

Objet paradoxal, le paquebot a brièvement incarné un rêve de modernité transatlantique. A travers photographies, tableaux, affiches, objets d’art et architectures, les visiteurs et lecteurs découvrent un monde ui navigue entre identités nationales et rêverie cosmopolite. A bord des paquebots, nationalités et milieux sociaux se mêlent, le temps d’une traversée.

La première partie de l’exposition démontre que l’objet paquebot lui-même a fasciné les milieux d’avant-garde, de la photographie à l’architecture, en passant par la peinture et l’affiche. La seconde partie étudie l’expérience du voyage, entre le luxe feutré des décors intérieurs Art Déco, la vie de loisirs en plein-air sur les ponts, et plus profondément, l’étrange expérience de la vie à bord d’un microcosme apatride, isolé et mouvant en plein océan, dont rendent compte, en particulier, la littérature et le cinéma de l’époque.

Des paquebots mythiques tels que Île-de-France, mis en service en 1927, et Normandie en 1935, sont à la une des journaux qui, au fur et à mesure de leur construction, notamment par les chantiers navals de Saint-Nazaire, relatent leur perfection technique, leur ligne élégante, leur rafinement, leur faste et suivent le paquebot dans chacune de ses étapes, du chantier à la traversée inaugurale. En 1936 suit le lancement du Queen Mary de la compagnie britannique Cunard Line, détenteur incontesté du Ruban bleu de 1936 à 1952, à l’exception de 1937 lorsque Normandie le reprend pour un an.

L’exposition couvre les années 1913 à 1942. Elle correspondent à l’Armory Show de 1913, première grande exposition internationale d’art moderne sur le sol américain, qui fait découvrir l’avant-garde européenne (Henri Matisse, Marcel Duchamp, Paul Cezanne et autres) aux artistes et public américains, à New York, Chicago puis Boston. Le point final est l’année 1942, lorsque Normandie prend feu et chavire durant sa transformation en transport de troupes dans le port de New York, marquant la fin d’un mythe et de l’âge d’or des paquebots. La même année, l’exposition Artists in Exile est organisé par la galerie Pierre Matisse à New York (Max Ernst, Fernand Léger, André Breton, Piet Mondrian, Marc Chagall, etc.), Marcel Duchamp embarque sur Maréchal Lyautey, l’un des derniers navires à pouvoir quitter Marseille pour New York où, toujours en 1942, André Breton et Marcel Duchamp organisent l’exposition First Papers of Surrealism (New York); les «first papers» étaient les formulaires que les migrants devaient remplir à leur arrivée aux Etats-Unis pour engager un processus de naturalisation. Les surréalistes soulignent par cette allusion aux procédures administratives que l’art moderne a trouvé un pays d’accueil de l’autre côté de l’Atlantique.

Dans les années 1920 et 1930, la concurrence pour conquérir et conserver une clientèle de luxe pour la traversée atlantique fait rage. Cette rivalité se double de tensions géopolitiques à partir des années 1930, faisant des paquebots un instrument de stratégie et de propagande. Fleurons technologiques et vitrines d’une ingénierie toujours plus performante, ils incarnent la puissance d’une nation. L’Allemagne, avec Europa (1928) et Bremen (1929), l’Italie avec Rex et Conte di Savoia (lancés ensemble en 1931), la Grande-Bretagne avec Queen Mary (1936) et la France avec Normandie (1935) rivalisent pour remporter le prestigieux «Ruban bleu», distinction qui récompense la traversée la plus rapide de l’Atlantique-Nord. La presse nationale et internationale, avec des accents patriotiques, se passionne pour ces batailles maritimes. Ce double contexte politique et économique explique la multiplication des publicités, unes de magazines, affiches ou encore brochures de présentation. L’imaginaire des paquebots se nourrit alors d’un langage international commun, caractérisé par une grande porosité entre les arts, la presse et la publicité. L’exposition présente les graphistes et affichistes Cassandre, Paul Colin et Jean Auvigné comme les plus iconiques représentants de cette esthétique en France, caractérisée par une géométrisation des formes, influencée par les grands mouvements artistiques du futurisme, du purisme et de l’esthétique du Bauhaus.

Filippo Tommaso Marinetti écrit en 1909 dans sa Déclaration du Futurisme: «Seuls avec les mécaniciens dansl es infernales chaufferies des grands navires, [… n]ous chanterons […] la vibration nocturne des arsenaux et des chantiers sous leurs violentes lunes électriques; […] les paquebots aventureux flairant l’horizon».

A la suite des affichistes, les peintres (Fernand Léger, Charles Demuth, Irene Rice Perreira), photographes (Pierre Boucher, Roger Schall, Jean Moral et René Zuber) et cinéastes (Walter Ruttmann) de tous pays s’emparent de l’image des paquebot. Ces artistes et designers, parfois liés, se côtoient dans des associations comme l’UAM (Union des artistes modernes), créée en 1929. Riches de leurs expériences polyvalentes, ils explorent les silhouettes fuselées à la monumentalité menaçante ou décortiquent au contraire la perfection des machineries dans leurs moindres détails, parfois jusqu’à l’abstraction.

Le pont-promenade et les coursives des navires deviennent le théâtre de parties de tirs aux pigeons, de tennis, de palets, de courses et jeux divers où les passagers portent des tenues tout à fait modernes pour l’époque: maillots de bain, pyjamas, shorts, costumes de style marin sont adoptés en journée. Le sportswear adapté à la croisière rejoint ainsi celui des stations balnéaires et de la navigation de plaisance de luxe (yachting). Les dîners ressemblent à des défilés de mode: tenues raffinées, griffées par les maisons de haute couture comme Coco Chanel, Jeanne Paquin, Jeanne Lanvin, Jean Patou et bien d’autres.

Lors de son premier voyage à New York en 1931, Fernand Léger note au sujet de l’arrivée: «Après six jours de traversée dans l’eau fluide et insaisissable, mobile, souple, on arrive devant cette montagne abrupte, œuvre des hommes qui, lentement se dégage, devient plus nette, se précise avec ses angles coupants, ses fenêtres en ordre, sa couleur métallique. Elle se dresse violemment au-dessus du niveau de la mer. Le bateau tourne elle disparaît lentement, de profil luisant comme une armure.»

L’exposition finit sur une note sombre: La parenthèse enchantée est suivie par une ère tragique où le paquebot devient l’instrument de l’exil, suite à la montée des totalitarismes (avènement de Staline au pouvoir en URSS en 1927, mise en place du régime nazi à partir de 1933 en Allemagne). La traversée, qui fut pour le passager une expérienceextra-ordinaire, une parenthèse apatride où certaines règles sociales étaient momentanément suspendues, devient le lieu d’incertitude et d’un douloureux déracinement. Cette partie de l’exposition est illustrée par un ensemble d’œuvres de Lasar Segall, Marcel Duchamp et Kay Sage, et par deux saisissants reportages photographiques : l’accostage impossible du Saint-Louis en 1939 à Cuba, et le naufrage de Normandie dans le port de New York en 1942.

Ce ne sont que quelques éléments tirés d’un catalogue richement illustré, paru sous la direction d’Adeline Collange-Perugi, conservatrice du patrimoine, responsable des collections d’art ancien au Musée d’arts de Nantes, et de Sophie Lévy, directrice conservatrice du Musée d’arts de Nantes: Paquebots 1913-1942. Une esthétique transatlantique. In Fine éditions d’art, octobre 2024, brochée avec rabats, 280 pages avec 255 illustrations, 23 x 29 cm. EAN/ISBN: 9782382032053. Avec la collaboration de Sylvain Besson, Sarah Chanteux, Richard Klein, Catherine Le Treut, Aurélien Lemonier, Clémence Poivet-Ducroix, Benjamin Thomas, Salomé Van Eynde, Tiphaine Yvon. Commandez ce livre (acceptez les cookies – nous recevons une commission, prix identique) chez Amazon.fr.

Cet ouvrage réunit les œuvres de peintres, photographes, affichistes, architectes et écrivains, tels que Fernand Léger, Charles Demuth, Raoul Dufy, Cassandre, Walker Evans, Marcel Duchamp, Robert Mallet-Stevens, Blaise Cendrars. Ceux-ci rendent compte dans leurs œuvres de la beauté moderne des palaces flottants ainsi que de l’expérience de la traversée, étrange parenthèse apatride.

Exposition au Musée d’arts de Nantes du 25 octobre 2024 au 23 février 2025 et au MuMa – musée d’art moderne André Malraux du Havre du 5 avril au 21 septembre 2025.

A lire également l’article Le Paquebot Île-de-France.

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Critique d’exposition / Critique de livre ajouté le 27 décembre 2024 à 14:16 heure de Paris.