Paris-Bruxelles, 1880-1914

Juin 02, 2025 at 10:52 481

À l’été 2006, la Ville d’Évian ouvre les portes de son «Palais Lumière», qui abrite aujourd’hui un espace d’exposition, une médiathèque et un centre de congrès. Le bâtiment est à l’origine un établissement thermal. Construit en 1902 par l’architecte Ernest Brunnarius, il est l’un des plus beaux témoignages de l’architecture des villes d’eaux du début du XXe siècle. Le Palais Lumière est situé sur le front de lac, au voisinage de l’hôtel de ville, ancienne villa des frères Lumière.

Depuis le 19 avril 2025 et encore jusqu’au 4 janvier 2026, le Palais Lumière à Évian montre l’exposition Paris-Bruxelles, 1880-1914. Effervescence des visions artistiques. Un collectionneur privé, qui souhaite rester anonyme, montre aux visiteurs un aperçu de sa collection, qui compte plus de 5000 œuvres au total, assemblées depuis 25 ans dans le but de documenter en profondeur les différents mouvements artistiques qui ont marqué l’histoire de l’art au cours de cette période.

Au Palais Lumière, le visiteur peut découvrir quelque 380 œuvres peintures, dessins, aquarelles, estampes, affiches, livres et périodiques illustrés, par plus de 170 artistes français et belges, reconnus ou talents oubliés. La liste inclut également le Suisse Félix Vallotton, Alphonse Mucha, né en à Eibenschütz en Autriche (actuelle Ivančice en République tchèque), ou encore l’espagnol Juan Gris, pour ne citer que trois artistes d’autres pays qui ont attiré mon attention.

Le catalogue bilingue (Français-Anglais) Paris-Bruxelles, 1880-1914. Effervescence des visions artistiques/Paris – Brussels, 1880-1914, An Effervescence of Artistic Visions, in Fine éditions d’art, avril 2025, 304 pages avec 365 illustrations, 19,5 x 26 cm, EAN/ISBN: 9782382032244. Acceptez les cookies – nous recevons une commission, prix identique – et commandez ce catalogue chez Amazon.fr.

L’exposition est divisée en dix sections qui permettent au visiteur à redécouvrir l’effervescence culturelle d’une époque en pleine mutation. Dans l’exposition, l’ordre des sections n’est pas identique à celui du catalogue qui contient onze chapitres, y inclut un premier qui présente, comme grande introduction, la Belle Époque. En outre, le catalogue contient plus d’œuvres de cette collection privée que l’exposition.

Le premier essai, écrit par Isabelle Cahn, présente la Belle Époque au tournant du XXe siècle lorsque la France renaît de ses cendres après la crise boulangiste menaçant le gouvernement d’un coup d’État, du scandale de Panama, qui éclabousse plusieurs hommes politiques et industriels français durant la IIIe République et ruine des centaines de milliers d’épargnants, et enfin, d’une France qui a connu l’affaire Dreyfus, capitaine d’artillerie français injustement accusé de trahison au profit de l’Allemagne parce que juif.

Le climat d’émulation et la prospérité qui règnent à Paris à la Belle Époque favorisent la création artistique et l’apparition de nouveau acteurs du domaine culturel: mécènes, marchands d’art et collectionneur. Salons et galeries prospèrent. Le style Art nouveau, lancé à Bruxelles en 1892 par Victor Horta, Henry Van de Velde et Paul Hankar, est à la mode. En France, il est relayé par Hector Guimard, qui construit entre autres le célèbre restaurant Maxim’s à Paris. Cette période se caractérise par une diversité de styles qui coexistent en parallèle: impressionistes, postimpressionistes, fauves, Symbolisme idéaliste, Art nouveau, etc. L’exposition et le catalogue les mettent en lumière. En 1914, une nouvelle ère s’annonce avec la Première guerre mondiale, qui boulverse les sociétés et marque notamment l’émancipation de la femme.

Les artistes ne s’intéressent pas seulement à la topographie de Paris, le côté crapule et souvent scandaleux de la ville, montré par Louis Legrand, Charles Lacoste ou encore Louis Rivière, mais également à la banlieue avec ses paysages calmes et verdoyants, au-delà de l’agitation de la vie urbaine, illustré par des œuvres de Signac, Van Gogh ou Émile Bernard – qui donnent une vision souvent mélancolique de ces lieux populaires, menacés par le développement de l’industrie et la mécanisation du monde moderne. Isabelle Cahn mentionne également que la ceinture rouge située au nord et à l’est de la capitale, peuplée d’ouvriers pauvres et de déclassés, contraste avec la périphérie plus campagnarde et plus huppée de l’ouest parisien.

Le deuxième essai, écrit par Raphaëlle Martin-Pigalle, présente Montmartre à la fin du XIXe siècle. C’est par excellence un lieu de divertissement et d’encanaillement mais également un lieu de vie pour une grande communauté d’artistes. Les peintres Edgar Degas, Henri de Toulouse-Lautrec, Pierre Puvis de Chavannes côtoient les musiciens Gabriel Fauré, Maurice Ravel, Erik Satie et les écrivains Jules Verne, Emile Zola, Guy de Maupassant, Alexandre Dumas ou encore Anatole France. Ils travaillent dans leurs ateliers et se retrouvent dans les cafés où ils partagent leurs idées et participent de manière décisive au renouveau de l’art en opposition avec l’art académique défendu par les institutions officielles. En plus des célèbres lithographies et affiches, l’exposition du Palais Lumière présente de rares sculptures en zinc découpé dont certaines ont été utilisées pour le Théâtre d’Ombres du Chat Noir.

La troisième essai dans le catalogue est dédiée au Japonisme. Dès l’arrivée de l’ère Meiji (1868-1912) au pays du soleil levant, la société européenne et ses artistes se passionnent pour tout ce qui a trait au Japon. Loin de l’exotisme d’influence orientale encore en vogue dans les milieux académiques à la fin du XIXe siècle, ce mouvement opère une rupture artistique radicale et bouleverse l’impressionnisme (article en allemand), l’Art Nouveau puis les Arts Décoratifs.

L’exposition et le catalogue présentent une quarantaine d’œuvres représentatives du japonisme, parmi lesquelles des aquarelles, bois gravé à la manière japonaise, lithographies ou encore deux projets d’éventail, témoignent de la diversité de couleurs, de dessins et de motifs, créés en Occident à cette époque grâce à l’influence du Japon.

Le quatrième essai, de Gabriel P. Weisberg et Janet Whitemore, se consacre à l’Art Nouveau, qui fait de la place aux formes organiques et à la nature. L’Art Nouveau émerge en France au début des années 1890. Il est une interprétation de l’esprit de la Belle Époque et se veut accessible, à la portée de chacun. Eugène Grasset et Carlos Schwabe sont présentés comme d’éminents représentants de ce courant artistique. Parmi les œuvres présentées, la «Divine» Sarah Bernhardt apparait dans un portrait réalisé au fusain d’Alphonse Mucha, tandis que Maurice Dulac la représente au milieu d’admirateurs dans une aquarelle. En plus des dessins, lithographies, impressions, photographies en relief et une pyrogravure peinte sur bois,  expriment la diversité des techniques et des créations de cecourant bouillonnant.

Dans le cinquième essai, Jean-David Jumeau-Lafond, examine le rôle du Symbolisme, depuis l’Ordre de la Rose†Croix de Joséphin Péladan jusqu’aux paysages sublimes d’Alphonse Osbert et de Charles Guilloux: réaction à des problèmes existentiels fin de siècle et moyen de se libérer des principes promus par les Beaux-Arts de Paris et par le monde «réaliste» du naturalisme.

Dans l’exposition, le Symbolisme se dévoile aux visiteurs dans toute sa diversité à travers la trentaine d’œuvres soigneusement sélectionnées et conservées par le collectionneur. Entre paysages envoutants, fantomatiques, univers médiéval et mysticisme, cette étape de l’exposition invite au rêve et au lâcher-prise face à ces créations riches de symboles à analyser ou ressentir de manière spontanée.

André Cariou analyse dans le sixième essai la relation d’amour-haine que des artistes tels que Sérusier, Van Gogh et Gauguin (parmi tant d’autres) ont entretenue avec la Bretagne et en particulier avec Pont-Aven.

Dans l’exposition, les visiteurs découvrent comment les artistes se sont confrontés à la nature sauvage des côtes bretonnes et comment les scènes de vie quotidiennes les ont inspirés. Pont-Aven est à l’origine un petit bourg de pêcheurs. Sa notoriété internationale vient de la présence de nombreux artistes parmi lesquels est Paul Sérusier, rejoint en 1888 par Emile Bernard et Paul Gauguin. L’École de Pont-Aven donne par la suite naissance à plusieurs styles de peinture allant du Synthétisme au Post-Impressionnisme.

Le septième essai, par Nicole Tamburini, étudie le rôle de la couleur et de la lumière pour les Néo-Impressionnistes. Né en France, le Néo-Impressionnisme regroupe deux tendances: le Pointillisme et le Divisionnisme. Il traite essentiellement de l’exploration de la lumière et de la couleur selon une approche scientifique, issue des recherches sur l’optique et les mathématiques. Maximilien Luce et Paul-Edmond Cross sont des acteurs importants de ce mouvement, mais c’est surtout Paul Signac qui contribue à sa reconnaissance.

Nicole Tamburini analyse notamment le travail d’artistes relativement peu connus mais qui ont grandement contribué au mouvement, et, souvent, développé des liens avec la presse anarchiste (tout aussi anticonformiste qu’eux).

Le huitième essai, par Cathérine Verleysen, présente le groupe d’artistes indépendants qui forment le Cercle des Vingt (Les XX), fondé par treize personnalités en 1883 et qui a existé jusqu’en 1893. Les Vingtistes entretiennent des liens étroits avec l’avant-garde parisienne. Parmi les artistes les plus célèbres figurent Theo van Rysselberghe et Fernand Khnopff.

Dans l’exposition, le visiteur a l’opportunité de contempler une vingtaine d’œuvres représentatives du Cercle des Vingt et d’accéder à une photographie de ces artistes d’avant-garde, engagés pour faire revivre l’art en Belgique.

Le neuvième essai, par Gilles Genty, explore la naissance du groupe des nabis, lequel inclut notamment des élèves de l’Académie Julian comme Pierre Bonnard, Édouard Vuillard, Maurice Denis, Henri-Gabriel Ibels et József Rippl-Rónai, qui, inspirés par Sérusier et Gauguin, deviennent, selon l’analyse de Genty, les «prophètes» de la modernité.

Dans l’exposition, les nabis sont représentés par une trentaine d’œuvres allant d’un portrait au pastel par József Rippl-Rónai à une gouache et aquarelle sur carton d’Albert André en passant par une lithographie colorée au pochoir d’Edouard Vuillard. Cette section présente l’approche conceptuelle, radicale et souvent engagée de 14 artistes de la confrérie des Nabis. Maurice Denis résume ainsi la nature du mouvement Nabi (prophète en hébreu): «Se rappeler qu’un tableau – avant d’être un cheval de bataille, une femme nue, ou une quelconque anecdote – est essentiellement une surface plane recouverte de couleurs en un certain ordre assemblées.»

Le dixième essai, par Richard Thomson, rend compte de la grande importance de la caricature dans l’art des divers mouvements et groupes de la Belle Époque. L’auteur présente le travail d’artistes illustrateurs basés à Montmartre tels que Toulouse-Lautrec ou le groupe résolument anticonformiste que sont les Incohérents. Thomson estime que ces artistes ont cherché à échapper aux canons statiques et aux stylisations idéalistes de l’art académique en faveur de visions nouvelles, lesquelles comprenaient des distorsions et des exagérations des traits de la figure humaine, laissant par là l’humour, la satire et la parodie entrer dans le royaume des beaux-arts.

A la fin du catalogue richement illustré, Norma Thibault a rassemblé 22 biographies des personnalités représentées dans de nombreux portraits. Dans l’exposition, grâce aux portraits, les visiteurs ont l’opportunité de mettre un visage sur quelques-uns des nombreux artistes exposés comme Henri de Toulouse Lautrec, Camille Mauclair, Charles Maurin et sur des personnalités de l’époque comme Paul Verlaine, Zo d’Axa ou encore Ernest Coquelin (dit Coquelin cadet).

Ce ne sont que quelques éléments tirés de catalogue bilingue (Français-Anglais) Paris-Bruxelles, 1880-1914. Effervescence des visions artistiques/Paris – Brussels, 1880-1914, An Effervescence of Artistic Visions, in Fine éditions d’art, avril 2025, 304 pages avec 365 illustrations, 19,5 x 26 cm, EAN/ISBN: 9782382032244. Acceptez les cookies – nous recevons une commission, prix identique – et commandez ce catalogue chez Amazon.fr.

Pour faciliter la lecture, les citations et citations partielles tirées du catalogue Paris-Bruxelles, 1880-1914. Effervescence des visions artistiques/Paris – Brussels, 1880-1914, An Effervescence of Artistic Visions ne se trouvent pas entre guillemets.

Critique de catalogue et d’exposition ajouté le 2 juin 2025 à 10h52, Paris.