Picasso Picabia

Juil 01, 2018 at 18:08 805

Picasso Picabia, la peinture au défi

Jusqu’au 23 septembre 2018, l’exposition Picasso Picabia, la peinture au défi présente au musée Granet en Aix-en-Provence (Amazon.frAmazon.de, Amazon.co.uk) plus de 150 œuvres (peintures, dessins, photographies, archives, etc.) des < frères ennemis > Pablo Picasso (1881-1973) et Francis Picabia (1879-1953).

Cette excellente exposition chronologique et thématique met en parallèle des chefs-d’œuvre de deux amis dont l’échange artistique était plus méfiant que complice. L’art de l’autre a uni, fécondé, intrigué et même parfois opposé Picasso et Picabia. Les deux ont décliné des phases stylistiques allant de l’académisme au cubisme, de l’orphisme au dadaïsme, de la photographie au readymade, du surréalisme à l’abstraction.

Picasso est né à Malaga de parents espagnols. Picabia est né à Paris, fils d’une mère française et d’un père hispano-cubain. Le père de Picasso est un peintre, le père de Picabia profite d’une fortune qui lui garantit une aisance financière qui fut déterminante pour son art durant la première partie de sa vie.

Dès 1901, Picasso exposait ses œuvres au sein des galéries modernes à Paris tandis que Picabia acquérait une notoriété rapide grace à des œuvres post-impressionistes qui plaisaient aux collectionneurs. Ce qui réunissait les deux artistes c’était l’individualisme et le dédain pour tout corporatisme, le goût pour la liberté d’expérimentation en art, la rupture avec l’idée même de style, cette soi-disant marque < unique > du créateur dans l’art occidental. Picasso disait à ce sujet : < Un peintre ne doit jamais faire ce que les gens attendent de lui. Le pire ennemi d’un peintre, c’est le style. > Et selon les auteurs du catalogue, Picasso et Picabia ne firement effectivement jamais ce que l’on attendait d’eux.

L’exposition Picasso Picabia se déploie selon une dizaine de thématiques suivant un fil chronologique. Elle débute avec les cubismes (1907-1915), le premier des styles véritablement modernes unissant les deux artistes. D’abord le cubisme de Picasso de 1907 et 1908, encore imprégnés de références cézanniennes et primitives. En 1912-1913, Picabia reprend à son tour les acquis du cubisme, qu’il reformule de façon singulière jusqu’à l’abstraction – ce que l’eur ami commun, le poète Guillaume Apollinaire, baptisa < cubisme orphisque >.

Le catalogue explique bien la relation des deux peintres aux écrivains. Dans l’introduction, Aurélie Verdier cite Gertrude Stein : < Picasso, qui était un homme s’exprimant uniquement par sa peinture, avait donc besoin d’amis écrivains. > De 1906 à 1915, Max Jacob, Guillaume Apollinaire et Getrude Stein furent les grands témoins du laboratoire formel mis en place par Picasso et Picabia. Chacune des phases de leur développment semble associé à un écrivain, qu’il en fût le témoin occulaire ou bien le modèle : il en alla ainsi de Guillaume Apollinaire et de Gertrude Stein pour le cubisme, de Max Jacob, compagnon des débuts puis modèle d’un virage classique et ingresque chez Picasso pour la question du portrait à partir de 1916. Le tournant de Picabia en 1913 vers une abstraction < physicaliste > et, l’année suivante, l’usage toujours plus grand du mot écrit dans sa peinture résultèrent de son rapprochement avec Gullaume Apollinaire pendant cette période. Le coups d’éclat du dadaïsme de Picabia des années 1920 seraient impensables sans les poètes tels que Tristan Tzara ou André Breton.

Et ici même se manifeste l’absence de goût pour le collectif des deux peintres. En 1924, ni Picasso ni Picabia se rangèrent derrière la bannière surréaliste d’André Breton. Plus tard ce fut au tour de Paul Eduard pour Picasso ou de Pierre-André Benoît pour Picabia d’accompagner intimement leurs œuvres. L’écriture constituta en outre une activité essentielle pour les deux peintres. Picabia publia ses premiers écrits poétique en 1918 et envoya quatre petits volumes de sa poésie à Picasso en 1919. Quant à ce dernier, il se mit à écrire en 1935.

La relation ambivalente entre Picasso et Picabia est largement documentée. Picasso n’aimait pas chez Picabia le goût du scandale, il le réléguait parmi les artistes habiles et les faiseurs. Aurélie Verdier cite à ce sujet Germaine Everling : < Picasso, n’ayant besoin de personne, s’était toujours tenu à l’écart de ceux qui auraient pu le compromettre. > De son côté, en 1917, Picabia raillait contre le retour de Picasso au dessin classique juste pour, deux ans plus tard, écrire que < Picasso est certainement le plus grand artiste peintre du Monde entier. > En même temps, Aurélie Vedier note que l’ironie chez Picabia masqua commodément ses sentiments réels. Il envia toujours la prééminence de Picasso, ridiculisant le règne sans partage de celui qu’il qualifiait de < roi > face à ses sujets. Cette ambivalence extrême qui domina sa relation à Picasso ne fut jamais plus visible que dans les attaques qu’il proféra contre les greffes < historiques > au cœur de l’art de Picasso – sa conversation privée avec les maîtres du passé. Car, souligne Aurélie Verdier, cette < méthode > était en réalité au centre de l’œuvre de Picabia, même s’il devait l’employer très différemment. Il s’agissait d’un sentiment de rivalité et d’envie à sens unique.

A part la période cubiste, l’exposition et le catalogue traitent également du mouvement vers l’objet réel ou en trompe-l’œil, du classicisme et du machinisme, de la période Dada, des Espagnoles et des hispanité, de l’abstraction et de l’opticalité, du surréalisme infidèle, de liberté et réaction des années 1930 et 1940 face au Fascisme ainsi que de l’œuvre tardive (fins de partie) des deux artistes. Une chronologie et une bibliographie enrichissent encore le livre.

Dans notre article, nous n’avons donc touché qu’une infime partie que couvrent l’exposition et le catalogue. La source principale pour cet article est le catalogue d’exposition Picasso Picabia, la peinture au défi, Somogy éditions d’Art, 2018, 280 pages, 250 illustrations, format 24 x 28 cm, langue : Français. Pour une lecture plus simple, les citations (entiers ou partiels) du livre ne se trouvent pas toujours entre guillements. Le catalogue et l’exposition sont l’œuvre d’Aurélie Verdier, conservateur au musée national d’art moderne, MNAM-Cci, Centre Georges Pompidou et Bruno Ely, directeur du musée Granet, Aix-en-Provence. Commandez le livre Picasso Picabia, la peinture au défi chez Amazon.frAmazon.de, Amazon.co.uk.