Une nouvelle biographie de Marlène Dietrich

Oct 22, 2019 at 00:32 2048

Le professeur émérité Jean-Paul Bled (*1942), spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe centrale, nous a déjà offert de nombreux livres, l’avant dernier au sujet de Sophie de Habsbourg. Cette année, il vient de publier une nouvelle biographie de l’actrice Marlène Dietrich (1901-1992).

L’auteur nous rappelle que Marlène Dietrich estimait avoir livré sa vérité dans ses mémoires et par définition il ne pouvait y en avoir d’autres. Jean-Paul Bled est d’un autre avis et dit avoir écrit sa biographie notamment grâce à l’accès à l’énorme fonds des archives de Marlène Dietrich, déposé depuis 1993 à Berlin. Dans son avant-propos, Bled remercie Silke Ronneburg, la responsable de ce fonds à la Deutsche Kinemathek. En outre, l’auteur puise dans d’autres biographies et pleines d’autres sources connues.

Jean-Paul Bled nous raconte que la future Marlène Dietrich voit le jour le 27 décembre 1901 à Schöneberg, la même commune suburbaine de Berlin où neuf ans plus tôt est né Ernst Lubitsch, le grand réalisateur qui la fera jouer à Hollywood. Schöneberg compte alors quelque 50 000 habitants, se recrutant principalement dans les classes moyennes. Elle sera intégrée dans le « Grand Berlin » quand celui-ci sera institué en 1920.

Si ses relations avec l’Allemagne ont été tumultueuses, si son hostilité au régime nazi l’a amenée à prendre la nationalité américaine, Marlène se revendiquera toujours comme Berlinoise, se sentant en phase avec l’esprit libre et souvent caustique de cette ville qui, jusqu’en 1933, s’était refusée à Hitler. Dans son Abécédaire paru en 1962, elle le proclame avec force : « Je suis Berlinoise et reste Berlinoise et suis reconnaissante d’être Berlinoise. » Une célèbre chanson « Ich hab’ noch einen Koffer in Berlin » (« J’ai encore une valise à Berlin ») illustre cet attachement. Tout comme le titre « Ich bin, Gott sei Dank, Berlinerin » (« Je suis, Dieu merci, Berlinoise ») que Marlène donnera à l’édition allemande de ses Mémoires. Marque de cette fidélité, décédée le 6 mai 1992 à Paris, elle repose aujourd’hui dans le petit cimetière de Berlin-Friedenau (quartier limitrophe de Schöneberg; en fait, le cimetière s’appelle Friedhof Schöneberg III).

Les parents de Marlène Dietrich et de sa sœur ainée, Elisabeth (Liesel), Louis Otto Dietrich et Joséphine Felsing, se sont mariés en 1898. Il s’agit d’une union arrangée qui en dit long sur les valeurs à l’honneur dans la société wilhelmienne. Âgée de 17 ans, Joséphine est issue d’un milieu aisé. Horlogers depuis 1820, forts d’une patente royale, les Felsing ont pignon sur rue. Ils possèdent à la fois leur boutique et leur logement au 39 Unter den Linden, une des artères élégantes de Berlin qui relie la porte de Brandebourg au Palais royal. Au fil du temps, leur notoriété a grandi. A l’horlogerie ils ont ajouté la bijouterie. S’il ne se distingue pas par la fortune, Louis a pour lui le prestige de l’uniforme. Après avoir servi dans un régiment de lanciers, il a été versé dans la police royale prussienne où il a le rang de lieutenant, une position honorable qui lui vaut à l’extérieur estime et respect. Portant beau, il s’est toutefois acquis une réputation d’incorrigible coureur de jupons. Lasse de ses frasques, sa mère l’a enjoint d’épouser Joséphine, une jeune fille de bonne famille. Il s’est plié à la volonté maternelle, mais sans y mettre de sentiment, alors que Joséphine s’est éprise de ce bel officier. La famille habite à Schöneberg au 53 de la Sedanstrasse (aujourd’hui Leberstrasse), un nom typique de l’ère wilhelmienne qui célèbre la victoire décisive remportée au début de septembre 1870 par les armées allemandes sur la France de Napoléon III.

Le 5 août 1908, le père de la jeune Marlène meurt, officiellement des suites d’une chute de cheval. En réalité, il est décédé des suites de la syphilis pour laquelle il avait été hospitalisé à plusieurs reprises dès 1907. L’honneur de la famille interdisant que la véritable cause de sa disparition soit divulguée à l’extérieur, il faut donc inventer la version d’une fin mieux en rapport avec son triple état d’époux, de père et de soldat.

La mère continue à s’occuper de l’éducation de ses filles. A 15 heures entre en scène une demoiselle ou une miss chargée de les exercer à la conversation soit en français soit en anglais. Trois fois par semaine, une séance de gymnastique est programmée. Deux autres fois par semaine, les deux fillettes s’exercent à l’apprentissage d’un instrument de musique, un complément presque obligé à l’éducation des jeunes filles dans toute « bonne famille ». Pour sa part, Marlène commence à se familiariser avec le piano, le violon et la guitare.

Avec sa grand-mère maternelle, Elisabeth Felsing, Marlène trouve un modèle d’élégance et de raffinement qui la marquera de manière durable. Elle apprend notamment à son contact ce goût du luxe qui deviendra chez elle comme une seconde nature.

En hiver 1914, la mère épouse en secondes noces de nouveau un officier, le lieutenant Edouard von Losch, un ancien ami de Louis Dietrich, qui sert dans un régiment de grenadiers. La faisant entrer dans le monde de la noblesse, cette union a pour effet de l’élever dans la hiérarchie sociale. Au reste, sa belle-famille établie à Dessau dans l’Anhalt regarde cette roturière de haut, estimant ce mariage au-dessous de son rang. Raison de plus pour que ses filles fassent honneur à leur mère, ce qui concrètement veut dire une discipline encore plus stricte et des règles encore plus contraignantes. Ce changement de statut est illustré par le déménagement de la famille dans la Kaiserallee qui la rapproche du centre de Berlin. Edouard y a loué un grand appartement au rezde-chaussée d’un bel immeuble.

Les deux sœurs n’ont que peu d’occasions de voir leur beau-père qui a rejoint son régiment sur le front oriental. Il est gravement blessé le 20 juin 1916 lors de l’offensive Broussilov sur le front russe. Si la mère est autorisée à le rejoindre à l’hôpital où il a été transporté à l’arrière du front, c’est pour lui dire adieu. Edouard von Losch est mort avant d’avoir pu adopter Elisabeth et Marlène qui continueront de ce fait à porter le nom de leur père.

La mère et ses deux filles continuent d’habiter dans la Kaiserallee, mais, à la mesure des changements intervenus, dans un appartement moins grand. La mère y restera jusqu’en 1943. Comme la plupart des familles berlinoises, la famille est confrontée aux fléaux collatéraux de la Première Guerre mondiale, la faim et le froid, conséquences des pénuries toujours croissantes à mesure que le conflit avance. Très tôt il leur faut se soumettre aux rationnements qui mettent les organismes à rude épreuve.

Marlène est suivie par deux professeurs de violon et de piano et s’initie également à la cithare avec une jeune bavaroise qui lui apprend aussi des chants de son pays. Il lui faut pourtant faire le choix de l’instrument dans lequel elle se spécialisera : ce sera le violon. Elle reçoit un superbe violon d’un montant de 2 100 marks, un prix élevé pour l’époque. Son professeur Julius Levin le lui a procuré, la somme a été réglée pour partie par sa grand-mère Felsing, le reste par Joséphine sur sa pension de veuve.

Quant à la vie sentimentale, l’attirance de Marlène ne se limite pas aux garçons. Elle tombe sous le charme d’une comtesse Gersdorf qui l’impressionne par sa distinction et son élégance. Pour décrire ses sentiments, elle trouve les mots d’une jeune fille amoureuse : « L’amour souffre, tolère, espère, confie-t-elle le 14 août 1917 à son journal. J’ai son portrait dans mon médaillon […]. C’est le genre d’amour que je pourrais ressentir pour un homme. Quel dommage qu’elle ne me comprenne pas. […] »

La lecture de son journal révèle une facette de sa personnalité, le besoin d’aimer et d’être aimé, un trait qui se dessine dans les années d’adolescence, mais qui se vérifiera bien au-delà, jusqu’à devenir une constante de sa vie d’adulte. Marlène goûte la saveur des premiers baisers, tout en fixant la limite que la décence lui interdit de franchir. Elle n’envisage d’ailleurs pas son avenir en dehors des chemins tracés. Pour preuve, elle consulte une voyante pour apprendre quand elle rencontrera son futur mari.

Selon le biographe Bled, des très nombreux témoignages de contemporains il ressort que Marlène n’a rien d’une jeune fille timide et effacée. Elle cherche au contraire à attirer les regards et, pour cela, n’hésite pas à se faire aguicheuse. Elle porte volontiers des robes dans une mousseline légère passablement transparentes.

Marlène achève sa scolarité secondaire en 1919 à l’école Viktoria-Luise. Même si elle la termine sans diplôme, elle a suivi un parcours dont seule une minorité de jeunes filles dans l’Allemagne de l’époque peut se vanter. Elle part à Weimar pour parfaire sa formation de violoniste. A cette fin, elle ne s’entraîne pas moins de cinq heures par jour, une astreinte qui est pour elle une nouvelle école de discipline. Pour sa fille, Joséphine a pris le meilleur des maîtres, le professeur Robert Reitz. Mais celui-ci n’est pas seulement un maestro reconnu. Ce digne pédagogue a aussi la réputation de ne pas être à l’abri des tentations de la chair. Par son comportement, Marlène joue avec le feu. Une boutade circule d’ailleurs parmi les pensionnaires de l’internat « Marlène reizt Reitz », un jeu de mots dont la traduction « Marlène aguiche Reitz » ne permet aucune ambiguïté. Finissant par céder à ses pulsions, le professeur profite d’une leçon pour la culbuter, une scène dont tout romantisme est à l’évidence absent, si l’on en juge par le récit que Marlène en fera à sa fille : « Il grognait, soufflait, poussait, il n’avait même pas enlevé son pantalon. Moi, j’étais sur le divan, les jupes relevées au-dessus de ma tête, avec la peluche rouge qui me grattait les fesses. Très inconfortable 14 ! » On imagine sans mal qu’elle n’a connu aucun plaisir lors de cette première expérience de l’amour physique et même qu’elle a pu en être traumatisée. Le biographe conclut : Peut-être faut-il y voir une origine de son rapport compliqué avec la sexualité, de certaines de ses préférences et de certains de ses comportements.

La leçon a-t-elle porté ? On voit peu après Marlène flirter dans un parc de la ville avec le musicien Ernst Latzko. Joséphine a-t-elle été informée de ces différents épisodes ? Elle se comporte en tout cas comme si elle en savait assez pour y mettre le holà. Marlène rentrera à Berlin. Approché par Joséphine, le professeur Carl Flesch jouit d’une réputation qui lui permet d’être exigeant sur le choix de ses élèves. Avant de s’engager, il veut d’abord auditionner Marlène afin d’apprécier son niveau. Ce cap franchi, le plus dur commence. Marlène est soumise à un régime intensif et éprouvant. Des heures entières, il lui faut jouer à satiété de difficiles sonates de Bach. Le prix à payer est lourd : une inflammation de l’annulaire de la main gauche qui nécessite la pose d’un plâtre. Lorsque celui-ci est retiré, le diagnostic des médecins est sans appel : Marlène pourra certes continuer à jouer, mais elle doit renoncer à tout espoir d’embrasser une carrière de soliste. Elle avouera plus tard que Bach aura dorénavant cessé de compter parmi ses compositeurs préférés.

A défaut, Marlène prend place dans un des orchestres qui accompagnent à l’époque les films muets. Elle n’y reste cependant pas longtemps, sa beauté semant le trouble parmi ses collègues masculins qui en perdent le rythme de la musique.

La jeune femme décide, à défaut d’être soliste, elle deviendra comédienne. Ce choix lui paraît naturel. Amoureuse des grands textes, elle a pris l’habitude de les réciter, à commencer par ceux de ses idoles, Goethe et Rilke.

Ce ne sont que quelques détails sur la jeunesse de Marlène tirés de la biographie de Jean-Paul Bled. Vous pouvez lire la suite dans son livre. Le film qui rendra célèbre l’actrice sortira seulement en 1930 (filmé en 1929) : L’Ange bleu (Der blaue Engel) du metteur en scène Josef von Sternberg. Avec Marlène, von Sternberg croit avoir fait la découverte de sa vie. Il tourne déjà à Hollywood, où il compte amener Marlène.

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Jean-Paul Bled: Marlène Dietrich. La scandaleuse de Berlin. Perrin biographie, 2019, 359 pages. Commandez ce livre chez Amazon.fr.

La biographie de Jean-Paul Bled de Marlene Dietrich est la source pour cet article. Pour faciliter la lecture, les citations et citations partielles ne se trouvent pas entre guillemets.

Article ajouté le 22 octobre 2019 à 00:32 heure de Paris.