Vers une nouvelle grande coalition en Allemagne

Déc 06, 2017 at 20:40 477

Le jeune chef du parti libéral FDP, Christian Lindner (*1979) se comporte comme les généraux qui essaient de refaire la dernière guerre — dans la coalition de Merkel avec Westerwelle, le FDP s’est brûlé les doigts et a été éjecté du Bundestag suivant par les électeurs — pour se battre dans une nouvelle confrontation, ne comprenant pas le nouveau contexte, les nouvelles technologiques ou stratégies qui ont vu le jour depuis le dernier affrontement qui ont changé la donne.

Christian Linder s’entête dans une position irresponsable, excluant de nouvelles négociations pour la formation d’une coalition dite “Jamaïque” (CDU, CSU, FDP et les Verts – les partis représentés par les couleurs noir, jaune et vert qui sont également celles du drapeau de la Jamaïque) pour toute la législature de quatre ans qui n’a commencé que le 24 octobre 2017, 30 jours après les dernières élections législatives fédérales allemandes.

Christian Lindner est évidemment encore jeune et se dit probablement qu’il a — contrairement à la chancelière Merkel — le temps de son côté, qu’il peut attendre les prochaines élections pour être dans une position encore plus forte. Lorsque le vice-président de son parti, Wolfgang Kubicki, a déclaré le 5 décembre 2017 que le FDP serait évidemment prêt à de nouvelles négociations pour former une coalition “Jamaïque” si CDU, CSU et SPD n’arriveraient pas à former une grande coalition, Christian Lindner a vite déclaré sur Twitter que “Jamaïque” ne serait plus un thème pour personne pendant cette législature. Cependant, dans les sondages, les Libéraux baissent légèrement. Selon un sondage de l’institut infratest dimap réalisé directement après l’échec des négociations pour une coalition dite “Jamaïque”, même 71% des partisans des Libéraux ont regretté cet échec, qui n’a été salué que par 23% des sympathisants du FDP.

Le non de Lindner a radicalement changé la situation pour le SPD. Presque tout le monde attendait une réussite des négociations entre CDU, CSU, FDP et les Verts.

Le Parti social-démocrate d’Allemagne se voit une fois de plus de le rôle de pilier de la démocratie allemande (staatstragende Partei) — le SPD a en effet été le dernier rempart (insuffisant) contre Hitler. C’est à la fois avec un sentiment de responsabilité politique pour l’Allemagne et l’Union européenne et en même temps une bonne dose d’intérêt personnel que certains responsables du SPD se sont vite convertis d’ennemis en défenseurs d’une nouvelle grande coalition en Allemagne.

Sigmar Gabriel veut évidemment rester ministre des Affaires étrangères, voyager à travers le monde et serrer la main de personnages politiques de premier plan ou lieux de finir ses jours politiques sur les bancs d’opposition au Bundestag.

Malheureusement, le chef du parti, Martin Schulz, a tout-de-suite après les législatives annoncées que le Parti social-démocrate allaient se retirer de la coalition avec Angela Merkel (pour se refaire une santé dans l’opposition). A ce moment-là, c’était une position raisonnable dans la mesure où quasi tout-le-monde pensait que la coalition dite “Jamaïque” allaient se réaliser.

Maintenant, les têtes du SPD sont dans une situation délicate pour justifier un revirement totale de leur position. Les avances d’Emmanuel Macron pour “refonder” l’Union européenne sont une bonne excuse car, en effet, l’UE a besoin de réformes qui ne peuvent se réaliser que si l’Allemagne retrouve rapidement un gouvernement.

Le ministre des Affaires étrangères, Sigmar Gabriel, a déclaré dans un discours le 5 décembre 2017 que l’UE doit devenir un véritable acteur de poids dans le monde. Il a également fait clair qu’il aimerait bien garder son poste comme chef de la politique extérieure de l’Allemagne (bien qu’il s’agit dans champ également largement travaillé par la chancelière elle-même).

Est-ce qu’une grande coalition va se former bientôt ? Oui, si c’était aux dirigeants du SPD d’en décider. Malheureusement pour eux, le chef du SPD, Martin Schulz, a promis le 24 novembre 2017 que la base du parti aura le dernier mot à ce sujet (Mitgliederentscheid). Selon le sondage de l’institut infratest dimap réalisé directement après l’échec des négociations pour une coalition dite “Jamaïque”, 55% des électeurs sociaux-démocrates est de l’avis que le SPD ne devrait pas changer de position, donc rester dans l’opposition. Seulement 38% de ces gens pensaient à ce moment que le SPD devrait être prêt à continuer la grande coalition avec la CDU de la chancelière Merkel. L’opinion peut évidemment évoluer, surtout si le contrat de coalition montre que les Sociaux-démocrates pourront probablement réaliser beaucoup de leurs promesses électorales. Cependant, le risque persiste que la base se refuse et dit non à une nouvelle grande coalition.

La CDU de Merkel veut évidemment continuer à gouverner. La tâche pourrait se compliquer un peu à cause du parti frère en Bavière. L’Union chrétienne-sociale (CSU) vient de désigner l’ambitieux Markus Söder (*1967) comme futur ministre-président de la Bavière. Il a tout-de-suite fait savoir qu’il plaide pour une politique de refugiée plus stricte (car c’était son Land, Etat fédéré d’Allemagne, qui avait dû accueillir au début le gros de la vague des réfugiées de 2015). Il pense ainsi pouvoir combattre le parti populiste et nationaliste de droite Alternative pour l’Allemagne (AfD) qui a réalisé 12,4% lors des élections fédérales de 2017. Des élections législatives auront lieu en Bavière en 2018. Sans miracle politique, la CDU risque de perdre sa majorité dans le Land, une catastrophe pour un parti habitué à gouverner souvent avec une majorité absolue. La tâche est d’autant plus compliqué que l’ancien chef volatile voire populiste de la CDU, Horst Seehofer, reste le chef du parti. Et c’est Seehofer qui a tout essayé jusqu’au dernier moment pour éviter l’ascension de Markus Söder au poste de ministre-président de la Bavière. Maintenant, les deux doivent “se partager” la Bavière.

A cause des problèmes mentionnés en haut, la formation d’une grande coalition ne sera pas facile. La chancelière Merkel et le président allemand Steinmeier, qui aura le dernier mot à dire à ce sujet, sont à juste titre contre des élections anticipées car le résultat risque d’être quasiment le même qu’en septembre 2017, n’ouvrant bas de nouvelles perspectives de coalition, donc soit “Jamaïque” soit une grande coalition.

Il reste le grand problème dont aucun personnage politique d’importance ne parle en Allemagne : il est grand temps que Merkel parte. Malheureusement, cela ne risque pas de se réaliser prochainement. Dans son parti, aucun poids lourd ne demande sa démission malgré un résultat électoral catastrophique.

Article du 6 décembre 2017. Ajouté à 20:40 heure de Berlin.

Ajouté le 10 février 2020 :

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