Victor Emmanuel III

Juin 01, 2016 at 00:03 1818

La biographie du roi d'Italie de Frédéric Le Moal

Manque de sources et roi secret

Dans sa biographie du roi d’Italie, Victor-Emmanuel III (1869-1947; Amazon.fr), Frédéric Le Moal note que ce monarque demeure un inconnu. Aucune biographie à son sujet n’existe en langue française et anglaise, contrairement à ses homologues de l’Europe d’avant 1914, George V, Guillaume II et Nicolas II. “Son nom n’apparaît uniquement dans les études sur le fascisme et sur Mussolini. Et encore est-il toujours vu à travers le Duce, et non le contraire.”

Une biographie de Victor-Emmanuel III en langue française était donc un desideratum. Celle de Frédéric Le Moal est basée sur un travail d’archives – surtout italien et français, dont certaines sources sont inédites.

Le caractère secret du roi explique la pauvreté archivistique. “De plus, les sources directes sont limitées. Le roi agit souvent dans l’ombre, par des entretiens, qui ne laissent pas de traces.”

La fille du roi, Jolanda, a détruit le journal intime de Victor-Emmanuel III ainsi que d’autres documents familiaux. Pourtant, certains historiens proches de la famille royale ont pu les consulter avant qu’ils ne disparaissent.

Le biographe note que les archives du Parti national fasciste ont disparu. Ils restent les documents du secrétariat du Duce et ceux de la police secrète qui a fiché tous les membres de la police royale. Par contre, les courtisans, les aides de camp, les hommes politiques et les intimes du roi ont laissé de très nombreux témoignages. On peut y ajouter les rapports des ambassadeurs et autres observateurs de la politique italienne.

Frédéric Le Moa: Victor-Emmanuel III. Un roi face à Mussolini. Perrin, 2015, 556 pages. Commandez ce livre chez Amazon.fr. Téléchargez ce livre en Format Kindle chez Amazon.fr. – Books about Mussolini at Amazon.com.

Victor-Emmanuel III ne peut être réduit à sa relation avec le Duce

Frédéric Le Moal souligne que ce monarque a régné sur l’Italie de 1900 à 1946. Il ne peut donc être réduit à sa relation complexe, faite de complicité, de fascination mutuelle et de forte tension avec le Duce.

Selon le biographe, Victor-Emmanuel III a pris trois décisions avec des conséquences majeures pour l’histoire de l’Europe: l’entrée en guerre en 1915, la nomination de Mussolini au poste de Premier ministre en 1922 et la destitution de celui-ci en 1943.

Frédéric Le Moal décrit l’enfance du prince, ses années d’apprentissage, son mariage ainsi que sa dernière marche vers le trône. Ce qui nous intéresse plus, c’est le roi parlementaire. Frédéric Le Moal note: “Lorsqu’il monte sur le trône, Victor-Emmanuel III est inexpérimenté. On le dit sans connaissances politiques ni goût pour l’action gouvernemental. C’est surtout un inconnu.”

Il succède à son père Humbert Ier, qui a payé de sa vie sa politique autoritaire et ultraconservatrice; il est assassiné par un anarchiste. Le fils doit quitter Naples pour Rome, où la froide magnificence du palais du Quirinal heurte la simplicité de ses goûts.

Le roi timide se montre peu, disparaît ainsi de la vie politique, ce qui approfondit le fossé entre le peuple et son souverain devenu invisible. Il ôte le faste à la couronne. A l’époque de la démocratie de masse, la pompe aurait été nécessaire pour préserver l’institution de la monarchie. Le roi mène pourtant une vie secrète et terne. Il n’offre ni spectacle fastueux ni exposition bourgeoise. Ainsi, la couronne ne fascine plus personne.

Victor-Emmanuel III s’attelle à sa tâche, mais sans plaisir. Il opte pour un tournant libéral en 1901 lorsqu’il appelle Giuseppe Zanardelli à former le cabinet qui, lui, met Giovanni Giolitti à la tête du ministère de l’Intérieur. Selon Frédéric Le Moal, il s’agit d’un premier coup politique du roi: “Son action dans la formation du ministère Zanardelli a été déterminante.”

En 1903, Zanardelli, âgé et malade, est remplacé par Giovanni Giolitti, qui “devient la personnalité dominante de la vie politique” (dans la décennie jusqu’à la Première Guerre mondiale). C’est une période de la modernisation économique.

En même temps, le roi s’accommode des manipulations électorales de Giolitti. Tous les deux interprètent selon leur convenance les votes de la Chambre.

Selon Frédéric Le Moal, il ne faut pas sous-estimer l’influence et le soutien que le roi apporte à Giovanni Giolitti. Ils partagent des idées telles que la défense de la laïcité, une approche douce regardant les conflits sociaux et la volonté d’intégrer le parti socialiste et les masses dans le système politique. C’est un point crucial de la politique de Victor-Emmanuel III: “Le roi croit à la nécessité d’ouvrir les portes du pouvoir à tous les partis.”

En même temps, le roi est d’une grande froideur. Dès que Giolitti quitte le pouvoir, le roi cesse toute relation avec lui. Aucun premier ministre ne peut se prévaloir d’une démonstration de sympathie de sa part.

Selon le Statuto (le Statut albertin), le roi exerce une forte influence sur la diplomatie italienne. Son pouvoir de nomination est grand, notamment en ce qui concerne les ministères de Guerre et des Affaires étrangères; le cabinet et le parlement sont totalement exclus de ces choix.

Frédéric Le Moal souligne que Victor-Emmanuel III influence fortement la politique extérieure dans les années de 1900 à 1914. Contrairement à son père, “il n’éprouve aucune attirance pour l’Afrique”. Cependant, en 1911, le roi accepte une déclaration de guerre à l’Empire ottoman.  Pendant ses années de règne, on note l’intervention en Libye à partir de 1911; cette guerre coloniale coûtera la vie à quelques 100,000 Libyens, 15% de la population du pays ! L’auteur ne s’étend pas sur l’aventure libyenne, ni en 1911 ni sous le fascisme.

A partir du début des années 1930, l’intervention de l’Italie en Afrique du Nord prend une dimension génocidaire. Dans la Cyrénaïque (Libye), un tiers de la population perd sa vie. En Ethiopie, l’Italie fasciste intervient en 1935-36; en 1936, Victor-Emmanuel III devient empereur d’Ethiopie. De 1935 à 1941, plus de 300,000 personnes mourront. Frédéric Le Moal reste silencieux face à ces atrocités.

Selon notre auteur, Victor-Emmanuel III n’est ni un roi socialiste ni un roi démocratique. Le roi considérait le cléricalisme comme l’ennemi, ce qui explique son inclinaison pour les courants de gauche. Durant sa vie, il s’intéresse au socialisme, au nationalisme et le fascisme, des courants qui prennent tous leur distance avec le catholicisme.

Victor-Emmanuel III est déchiré par un conflit intérieur: Sa volonté d’agir se heurte à la répulsion qu’il éprouve pour son métier de roi. Il est habité par la fierté de sa dynastie et défend ainsi les prérogatives que lui confère le Statuto. (commandez la biographie chez Amazon.fr)

De la neutralité à l’entrée en guerre jusqu’à la victoire mutilée

Sur le chemin sinueux vers la guerre Victor-Emmanuel III évite de prendre une position claire. Lorsque l’Italie rompt avec la neutralité, c’est “avec le même manque de clarté qui caractérise la prise de décision depuis l’été 1914.” Le 26 avril 1915, l’Italie signe le traité de Londres avec les trois puissances de l’Entente. En cas de victoire, le gouvernement et le roi espèrent pouvoir annexer de vastes territoires comme promit par le texte secret du traité de Londres.

Le roi se rallie à la cause belliciste mais, par la suite, ne se montre pas au peuple qui acclame sa décision. Le lien de sympathie entre le roi et le peuple si nécessaire dans ces grandes épreuves ne peut se tisser. Le roi soldat fuit Rome et reste invisible.

Frédéric Le Moal, qui enseigne entre autre comme professeur au lycée militaire de Saint-Cyr, s’étend largement sur la guerre, qui éloigne le roi encore plus du pouvoir. La victoire est mutilée. L’Italie ne gagne pas les territoires espérés. Le pays est épuisé, le chômage monte, des grèves et d’autres troubles éclatent en 1919-20.

Lorsque le poète Gabriele D’Annunzio s’empare de Fiume, le roi, qui n’éprouve aucune sympathie pour l’écrivain nationaliste qu’il juge insignifiant et dont il déteste l’emphase, convoque un Conseil de la couronne qui finit par se prononcer “contre l’annexion tout en rejetant l’usage de la force. Cette solution ambivalente évite la confrontation militaire, qui aurait de graves conséquences sur la cohésion de l’armée et de la société italienne, et elle rassure les Alliés tout en exerçant sur eux une pression indirecte susceptible de les faire céder.” Frédéric Le Moal par contre ne voit pas de signe véritable que le souverain soutient secrètement cette marche sur Fiume. Lorsque la duchesse d’Aoste, en tant qu’inspectrice de la Croix-Rouge se rend à Fiume pour rencontrer D’Annunzio, le roi la recadre à son retour et lui interdit toute future initiative. Le roi se sent isolé et se désole de ne pas trouver un homme politique fort capable de résister aux Alliés.

Frédéric Le Moal souligne que Victor-Emmanuel III ne verse pas une larme sur la chute des familles royales et impériales en Allemagne, Autriche, Russie, Serbie et ailleurs. Il est depuis longtemps sceptique sur la pérennité des couronnes. Devant des représentants français et suisse, il vante le régime républicain.

Victor-Emmanuel III nomme Mussolini 

Lors des élections parlementaires à la proportionnelle de novembre 1919, “[le] fascisme subit une décroute totale: il ne conquiert aucun siège de député. Le socialisme devient pour la première fois la principale force du pays.” Le roi décide de maintenir Francesco Saverio Nitti (1919-20) à la tête du gouvernement. A l’Assemblée, les députés socialistes crient “vive le socialisme !” et “Vive Lénine.” A Rome, des rumeurs d’une éventuelle abdication du roi commencent à courir. Pourtant, depuis son avènement, Victor-Emmanuel III avait rêvé d’intégrer les socialistes au système parlementaire.

En juin 1920, la Chambre renverse Nitti. Le roi rappelle Giovanni Giolitti au pouvoir (1920-21). Le libéral, âgé de 78 ans, n’a toujours pas digérer la “trahison”, sa mise à l’écart en 1915. Il se venge avec une modification de l’article 5 du Statuto : les traités internationaux ne sont valables qu’après approbation par le parlement, et le gouvernement ne peut déclarer la guerre sans l’accord des deux assemblées. Frédéric Le Moal note que le roi “ne lui pardonnera pas cette intrusion dans ses prérogatives.”

Lors des élections d’avril 1921, Giolitti n’obtient pas de majorité stable et les fascistes gagnent 35 sièges. L’ancien socialiste réformiste Ivanoe Bonomi lui succède (1921-22).

Après une petite parenthèse, Luigi Facta (un proche de Giolitti) en 1922, Victor-Emmanuel III nomme Mussolini au poste de président du Conseil, approuve l’installation de la dictature, accepte la lente mais inexorable érosion de son propre pouvoir, l’alliance avec Hitler, les lois antisémites de 1938 comme l’entrée en guerre en juin 1940.

Pourtant, l’auteur note bien qu’en 1922, “[au] moment où le fascisme se lance à l’assaut du pouvoir, le roi n’éprouve aucune sympathie à son égard. Ses violences, son caractère aventureux, son républicanisme originel tranchent aves ses propres conceptions politiques. Il regarde avec hauteur ces < civils déguisés en soldats > qui s’infiltrent dans l’armée, chasse gardée des Savoie depuis des siècles. Le rejet des principes issus de 1789, dont le libéralisme, auxquels le souverain s’est montré attaché depuis son avènement, crée une distance idéologique très forte.”

L’auteur note qu’il existe cependant une convergence entre le roi et Mussolini en ce qui concerne l’anticléricalisme viscéral des deux hommes, une contestation de la paix de Versailles, l’expérience de la guerre comme fondatrice des valeurs de sacrifice et d’une communauté nationale soudée.

Le roi “cherche à panser les plaies de la crise de la décennie 1890, la déchirure du corps social entre socialistes, marxistes et fascistes [lui] est insupportable.”

Au premier gouvernement Mussolini, les fascistes n’occupent pas la majorité des postes ministériels. Frédéric Le Moal mentionne la thèse de l’historien libéral Luigi Salvatorelli, contemporain des évènements, qui parle d’un coup d’Etat. Notre auteur ne va pas aussi loin et note: “En choisissant une voie politique, le roi pense probablement sauver l’essentiel. Il ne faut toutefois pas exclure l’hypothèse qu’il ait fini par penser que le régime arrivait à bout de souffle et qu’une sorte de < dictateur parlementaire >, comme l’histoire politique italienne en avait connu par le passe, s’imposait, du moins pour quelques années.”

Mussolini obtient la confiance de la Chambre avec 306 voix contre 116. Le Sénat le soutient avec 196 voix contre 19. Et tout cela par un parlement “dans lequel les fascistes sont ultra-minoritaires […].”

Pendant l’année qui suit, Frédéric Le Moal accorde à Mussolini “une prudence de félin, alternant atteintes au parlementarisme et normalisation du fascisme pour mieux s’emparer de la réalité du pouvoir et installer durablement son parti au commandes de l’Etat.”

En 1943, le roi Victor-Emmanuel II destitue et fait arrêter Mussolini. “Pourtant, il n’a cessé de le défendre envers et contre tout, et continue d’éprouver pour l’homme et son œuvre une admiration sincère, après s’être s’accommodé de sa dictature.”

Le 15 décembre 1922, le Duce crée dans sa chambre du Grand Hotel à Rome (article en anglais) le Grand Conseil du fascisme. Cet organe sera par la suite réduit à l’enregistrement des décisions de Mussolini jusqu’au moment de la chute du Duce.

Selon notre auteur, au début de son règne, Mussolini “remporte même d’indéniables succès.” Par exemple dans l’affaire de Corfou, sur le statut de Fiume, après le premier traité italo-yougoslave en 1922, qui se conclut avec le traité de Rome de 1924, puis avec le traité de Lausanne de 1923 qui confirme la possession par l’Italie des îles du Dodécanèse. Enfin, le roi George V accepte finalement de séjourner à Rome. Un an plus tard, Victor-Emmanuel III et son épouse séjournent à leur tour à Londres. En 1929 suivent les accords du Latran qui mettent fin à la < question romaine >, survenue en 1870 après la prise de Rome et son annexion par la monarchie italienne.

Lors des élections législatives de 1924, le roi sauve Mussolini, qui à fait passer une réforme électorale qui assure à la liste dépassant les 25% les deux tiers des sièges. Mussolini forme une liste rassemblant fascistes et chefs libéraux (Salandra, Orlando, à l’exception de Giolitti). Notre auteur note bien le climat d’intimidations, de violences et de trucages qui permettent à Mussolini de remporter les élections. Pourtant, les populaires comme les socialistes résistent. Dans ce climat tendu, le 24 mai 1925, le roi prononce son premier discours de trône depuis l’avènement du fascisme et souligne dans plusieurs passages qu’il soutient l’œuvre politique en cours.

Selon Frédéric Le Moal, le roi “n’est pas fasciste et ne le sera jamais. Pourant, pendant les vingt années du fascisme […], il maintient au pouvoir Mussolini sans mener la moindre action subversive contre sa dictature.” Victor-Emmanuel III n’adhère pas au caractère révolutionnaire du fascisme, mais est sensible à certains de ces thèmes et partage un nombre non négligeable de ses valeurs, notamment la dureté de son caractère, l’exigence au travail qui s’impose, l’amour de l’autorité, le goût pour la discipline. Frédéric Le Moal note que le roi, comme Churchill et bien d’autres étrangers, à été séduit par l’œuvre du fascisme.

Selon notre auteur, certains gestes, inhabituels chez le roi, lèvent le voile sur la sincérité de ses sentiments. Il envoie parfois le produit de sa chasse à la villa Torlona, résidence privée de Mussolini. La plus forte marque d’estime du roi est sa visite en 1938 de la maison qui a vu naître le Duce. Jamais le souverain n’a témoigné une telle considération à l’égard d’un chef de gouvernement.

Frédéric Le Moal note dans son livre (Amazon.fr) que, selon l’historien Renzo de Felice, la décennie 1925-35 correspond à la période la plus apaisée entre le roi et le Duce. Une sorte de coexistence. Victor-Emmanuel III laisse gouverner Mussolini qui, lui ne peut rien faire sans l’appui du roi.

Frédéric Le Moal arrive à la conclusion que “jusqu’en 1936, au moins, le souverain approuve, peu ou prou, toutes les actions de Mussolini, aussi bien dans le domaine interne que pour la politique extérieure, même si, sur ce dernier point, il préconise plus de prudence. Avec la consolidation du régime et le renforcement de la popularité du Duce, l’apathie de Victor-Emmanuel III s’accentue, tout comme son isolement. Il ne conserve aucun lien avec les chefs parlementaires, de près ou de loin. La vie de Cour appartient désormais aux accessoires de musée. Toutes les décisions politiques sont prises par Mussolini, et ensuite approuvées par le souverain.” Notre auteur conclut à juste titre: “L’absence d’influence concrète du roi déséquilibre la dualité du pouvoir en faveur du [dictateur].”

Le souverain soutient les réformes de Mussolini telles que les grands travaux agricoles, la bataille du grain, la bonification des terres, “la fin des conflits sociaux”. Le roi a été sceptique quant à l’introduction du suffrage universel par Giovanni Giolitti. “Le temps n’a rien arrangé”, souligne Frédéric Le Moal. Aux yeux du souverain, “ce type d’élection est un mensonge. Seuls ont de la valeur les scrutins avec peu d’électeurs qui votent pour un homme connu. Le roi préfère Venise à Athènes. Le Duce a don les mains libres pour gouverner.”

Frédéric Le Moal souligne en même temps: “Pourtant, le nouveau César ne sera jamais le maître total des institutions et de l’Etat, l’émanation unique du pouvoir, comme Hitler, son élève devenu son maître, le devient en Allemagne dès 1933. Il y a d’abord des détails, mais qui ont leur importance. Ceux du protocole, par exemple. Les règles de l’étiquette obligent Mussolini à se tenir trois pas derrière le souverain lors des visites officielles.” Le Duce en a conscience et fait “interdire la diffusion de la seule photographie le montrant incliné, non sans gaucherie, en serrant la main du souverain.” Mussolini n’est pas le chef de l’Etat, mais le chef du gouvernement du roi, comme celui-ci aime souligner. Selon Frédéric Le Moal, la monarchie joue son rôle en empêchant qu’un seul parti ne s’empare totalement de l’Etat. L’Eglise catholique et le grand capital industriel acceptent le fascisme, mais restent autonomes et défendent leurs propres intérêts.

Frédéric Le Moal se base sur Renzo De Felice lorsqu’il affirme qu’il reviendrait à forcer le trait d’affirmer que le roi était inexistant pendant le temps du fascisme. Le roi ne propose rien, mais tente d’entraver certaines initiatives du Duce qu’il juge néfastes. Aux yeux du souverain, la monarchie reste “le meilleur atout de l’Italie. Il ne s’agit pas de sa personne, mais de l’institution qui protège le pays de l’instabilité chronique dans laquelle la République française s’enfonce dans les années 1930.” En même temps, il est clair que le roi ne dresse que des entraves bien faibles sur le chemin de Mussolini, des entraves concernant uniquement les prérogatives de la couronne. Selon Frédéric Le Moal, le roi pense que le fascisme passera. Il faut attendre et ne pas commettre l’erreur du roi espagnol qui perdit sa couronne après avoir poussé Primo di Rivera à la démission. Mais avec la radicalisation du régime fasciste dans les années 1930, cette stratégie de longue haleine “s’avère asphyxiante”, conclut notre auteur.

Vers l’abîme

En 1925, Mussolini installe le ministère des Affaires étrangères au palais Chigi. Le duce prend la direction de la diplomatie au détriment du roi. Le 20 juillet 1932, Mussolini reprend le poste de ministre des Affaires étrangères.

Sur l’Autriche, la divergence entre le souverain et Mussolini est totale. Le Duce s’oppose à l’Anschluss, tandis que le roi est favorable à la disparition pure et simple de ce pays. Aux yeux de Victor-Emmanuel III, l’Autriche ne vaut pas une guerre.

Par contre, le roi est opposé au projet de Mussolini de conquérir l’Ethiopie pour venger Adoua et bâtir un empire colonial. Mais en 1935, le souverain cède et autorise la guerre. L’année suivante, le Grand Conseil du fascisme officialise l’annexion et confère à Victor-Emmanuel III le titre d’empereur d’Ethiopie.

Dans un premier temps, Victor-Emmanuel III refuse l’envoie de troupes dans ce qui ressemble de plus en plus à un guêpier, c.-à.-d. la guerre civile espagnole. Il finit par se ranger derrière Mussolini et Ciano, tout en pressant en vain à plusieurs reprises Mussolini de mettre fin à cette expédition.

Quant à la France, le roi garde son antipathie forte pour ce pays voisin. Il pense selon Frédéric Le Moal “non sans raison que la rivalité franco-italienne est structurelle, organisé autour de la domination sur la Méditerranée.”

La guerre de l’Italie contre l’Ethiopie en 1935 conduit la SDN à voter des sanctions contre l’Italie. Elles sont le résultat d’une recommandation de Londres, ce qui affecte l’anglophilie de Victor-Emmanuel III qui, selon Frédéric Le Moal, est trop rancunier pour qu’elle y survive. Le roi pense que le Royaume-Uni n’a pas attaqué l’Italie en 1936 à cause du rapprochement du Duce avec l’Allemagne. En même temps, le souverain met en garde Mussolini, de ne pas trop se compromettre avec ces Allemands: “je les connais mieux que vous. Ils sont comme les prêtres et les femmes : vous leur donnez un doigt, ils veulent un bras ! ”

Selon Frédéric Le Moal, “Hitler méprise les rois en général, et celui de l’Italie en particulier, dont le physique rabougri n’évoque que fort peu le projet des surhommes nordiques.” Notre biographe souligne que, lors de la visite du Führer à Rome, le roi et la Cour “prennent un soin tout particulier à marquer leur hostilité et leur mépris à leurs hôtes.” Hitler s’en rend compte et écume de rage devant son entourage contre “cette canaille de Cour”. Mussolini n’est pas de meilleure humeur car il est obligé de s’effacer devant le “nain”, ce qui rappelle à Hitler et aux Italiens qui lui, le Duce, n’est pas le maître chez lui.

La campagne antisémite déclenchée par Mussolini en 1938 prélude les lois raciales. Frédéric Le Moal note que tous les biographes du roi “soulignent l’absence de toute trace d’antisémitisme chez lui. Cela dit, la cause des juifs européens ne suscite pas une réaction spontanée d’indignation de sa part, et il n’éprouve pas pour leur communauté de sympathie particulière, véhiculant à l’occasion certains préjugés classique pour l’époque. Il n’approuve pas les lois raciales […] parce qu’elles ne susciteront que des ennuis – l’Eglise, la bourgeoisie, l’armée ne suivront pas – et parce qu’il y voit une imitation servile du modèle nazi.” Le roi aurait mis le Duce en garde en ces termes: “Président, les juifs sont un nid de guêpes, ne mettons jamais les mains dedans ! ” Frédéric Le Moal conclut tout de même: “En définitive, le roi signe tous les décrets. [… Il] approuve les lois contre les juifs étrangers, mais s’inquiète pour les juifs italiens.”

Quant à la conférence de Munich, Mussolini est à son origine. Le roi est clairement opposé à la guerre et dit qu’il ne veut pas concevoir que fantassins italiens “puissent aller mourir pour des Sudètes.” Il approuve donc les accords de Munich est félicite Mussolini pour son succès. Frédéric Le Moal souligne: “Le roi se berce d’illusions. Mussolini, l’année suivant, unira son sort à celui d’Hitler et scellera celui de millions d’Italiens.”

Mussolini se prépare à liquider la monarchie et l’Italie adopte une fausse neutralité. Le 7 avril 1939, Mussolini envahit l’Albanie. Le n’approuve pas cette aventure, mais, comme d’habitude, laisse faire.

Le 22 mai, Ciano signe le Pacte d’acier avec l’Allemagne nazie. Le pas vers l’alliance militaire avec Hitler est franchi. Le roi cautionne également ce pacte. Cette alliance offensive subordonne Rome à Berlin.

Dans le plus grand secret, le roi tisse des liens avec les hiérarques fascistes opposés à l’orientation du régime, notamment Dino Grandi et Ciano. Selon Frédéric Le Moal, la conversion de Ciano s’opère lors des entretiens de Salzbourg en août 1939 avec les Allemands qui l’informent de vouloir le plus tôt possible attaquer la Pologne.

Lorsque Mussolini refuse l’entrée en guerre en 1939, Hitler est persuadé que c’est à cause du roi: “Mussolini est mis en danger par cet imbécile de roi et cette perfide fripouille de prince héréditaire. […] Apres tout, il y a seulement trois grands hommes d’Etat au monde, Staline, Mussolini et moi. Mussolini est le plus faible parce qu’il n’est pas capable de briser le pouvoir ni de la couronne ni de l’Eglise.”

Jusqu’en avril 1940, le roi maintient sa position favorable à la neutralité de l’Italie. La position du souverain étant connu, toutes les forces opposées à l’entrée en lice se tournent vers lui comme point de référence. Selon Frédéric Le Moal, c’est notamment le cas du nouveau pape Pie XII qui rencontre le roi à deux reprises en décembre 1939. Mais le souverain a vieilli. C’est un homme diminué. Donc le pire partenaire possible.

Le roi ne veut pas rejouer la pièce de 1915 et n’envisage pas d’entrer en guerre avec les Alliés. Il garde de trop mauvais souvenirs du mépris et de l’ingratitude de ces alliés. En même temps, il est persuadé que l’Allemagne perdra la guerre.

Le 28 mai 1940, “Mussolini prend la décision, cette fois irrévocable, de se jeter dans la mêlée. Victor Emmanuel III se soumet et avalise la décision fatale du dictateur.” Le roi ne se fait pas d’illusions, mais en même temps, selon Frédéric Le Moal, deux facteurs ressortent dans la décision du souverain : l’appât du gain territorial et l’impossibilité de renverser Mussolini. Le 10 juin 1940, Mussolini déclare la guerre à la France et au Royaume-Uni. La nuit de ce soir, le roi quitte Rome est restera invisible comme pendant la Première Guerre mondiale.

Selon Frédéric Le Moal, l’accusation faite par de nombreux biographes que le roi se fait complice de Mussolini est “recevable sur le plan moral. Mais elle l’est moins du point de vue strictement historique, puisque les documents montrent que le roi n’est pas associé à la décision du Duce qui a agi seul de bout en bout. Il reste néanmoins indubitable qu’en apposant sa signature sur le décret, il en porte la responsabilité devant l’histoire.” Selon moi, c’est ce dernier point qui compte.

Ce qui suit c’est la descente aux enfers. Lorsque Mussolini revient de Munich avec la promesse d’Hitler que l’Italie pourra occuper une zone jusqu’au Rhône, la Corse, la Tunisie et Djibouti, prélude à leurs futures annexions. Cela permettra de mettre la France hors d’état de nuire. Le roi approuve la démarche. Le roi se montrera intransigeant sur la Corse et le comté de Nice.

Quant aux Balkans, Victor-Emmanuel III s’oppose par exemple catégoriquement au projet de Ciano d’une union personnelle entre l’Italie et le Monténégro. Selon le roi, il vaut mieux donner aux peuples balkaniques l’illusion de l’indépendance pour mieux les placer sous la domination italienne.

Les massacres génocidaires des Oustachis contre les Serbes ne réveillent pas le roi. “Victor-Emmanuel III ne s’en formalise guère.” Il “ramène les massacres en cours à des excès de répression tels que l’Italie en a connu après l’Unité, avec le < brigandage > méridional. Une fois l’autorité de l’Etat établie, tout cela disparaîtra.”

Lors de la mort du fils de l’amiral Horthy en Hongrie en 1942, le président du conseil hongrois Kallay profite de la présence de Ciano aux funérailles pour lui proposer l’union personnelle entre les deux pays. Le ministre reste prudent et en parle à Mussolini, qui ne veut rien entendre, étant donné le caractère antiallemand du projet. Il n’est pas clair si Victor-Emmanuel III a été mis au courant du projet.

En 1942 et 1943, le roi tient des propos contradictoires. “Devant Ciano, il parle à plusieurs reprises d’une victoire allemande inéluctable. En novembre 1942 il dit au nonce : “Le Saint-Père dans sa très haute mission doit maintenir la plus stricte neutralité ; je crois que dans son cœur il ne peut pas désirer la victoire des juifs, des bolchéviques et des luthériens.” Selon Frédéric Le Moal, c’est à sa connaissance la seule remarque de nature antisémite du souverain. Elle a “davantage un caractère de circonstances. Le roi craint sans doute que le Vatican ne rejoue le rôle de l’ennemi dans le dos qui a été le sien jusqu’à la conciliation de 1929”.

L’antigermanisme du souverain ne faiblit pas. Mais il ne fait rien pour remettre en cause l’alliance avec Hitler car cela ne peut se faire qu’en chassant Mussolini.

Le mécontentement des Italiens augmente. Ils grondent contre la guerre, le fascisme et la maison de Savoie.

En novembre 1942, le roi donne des conseils à Ciano dans le sens d’une ouverture des portes. Il faut tout faire pour renouer avec Londres et Washington si possible. En attendant, il condamne toutes les initiatives de paix. En mai 1943 encore, le roi veut agir de concert avec Mussolini. Quant au dictateur, il “continue son travail de sape de la monarchie.”

Ce n’est qu’en juillet 1943 que “Victor-Emmanuel III prend la troisième décision capitale de son règne.” Le roi retire sa confiance à Mussolini au tout dernier moment. Frédéric Le Moal note: “Les Alliés ont débarqué en Sicile, Rome a été bombardée et, dans la nuit, les membres du Grand Conseil du fascisme ont voté un ordre du jour hostile au Duce. Il n’est plus possible de tergiverser.” Cette décision devient possible car “[la] mise sous tutelle des Chambres confère à la Couronne une valeur dans le jeu politique qu’elle n’a jamais eue.”

Le biographe note cependant que le “rôle exacte de Victor-Emmanuel III dans la mise à mort du fascisme reste un sujet de controverse. Plusieurs historiens tendent à le minimiser. Pour Renzo de Felice, c’est le vote du Grand Conseil qui pousse le roi à l’action.” Frédéric Le Moal voit le roi “plutôt” comme “le deus ex machina d’une conspiration qui a raflé la mise.”

Le souverain lui-même ne voit pas son action comme un coup. Il affirme qu’il a agi par “une application légale de la Constitution”. Toutefois, cette volte ne suffit pas au roi pour sauver sa couronne. Il est contraint à l’exil en 1946 et meurt l’année suivante à Alexandrie en Egypte.

Ce qui manque dans cette biographie fouillée de Victor-Emmanuel III sont quelques photos pour illustrer la vie du roi et des informations sur la position et le rôle du souverain dans la guerre coloniale en Libye et ailleurs en Afrique du Nord. Il reste du terrain à couvrir.

Frédéric Le Moal : Victor-Emmanuel III. Un roi face à Mussolini. Perrin, 2015, 556 pages. Commandez ce livre (broché) chez Amazon.fr. Téléchargez ce livre en Format Kindle chez Amazon.fr. – Books about Mussolini at Amazon.com.

Article du 1er juin 2016. Ajouté à 00:03 CEST; dernier détails ajoutés le 1.6.2016 à 16:43 CEST